L’Allemagne est la bienvenue en Afrique

«Dis-moi qui vient te voir, je te dirai qui tu es et ce que tu pèses… » Pensez à l’Afrique et à qui lui a rendu une visite remarquée ces derniers jours : la chancelière de la République fédérale d’Allemagne, Angela Merkel, chef de l’exécutif du pays le plus important de l’Union européenne.

La chancelière allemande Angela Merkel à Bamako, au Mali, le 9 octobre 2016. © Baba Ahmed/AP/SIPA

La chancelière allemande Angela Merkel à Bamako, au Mali, le 9 octobre 2016. © Baba Ahmed/AP/SIPA

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Publié le 20 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.

L’Afrique a été, tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, un continent méprisé. À tout le monde, son cas semblait désespéré.

L’une après l’autre, toutes les puissances, y compris celles qui l’avaient colonisée, la quittèrent : leurs banques, leurs entrepreneurs plièrent bagage. La France, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et le Portugal se regroupèrent au sein de l’Europe, cessèrent de regarder vers le Sud, qui avait perdu tout intérêt à leurs yeux.

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Et, dès la fin de la guerre froide, en 1991, les États-Unis d’Amérique, qui avaient disputé à l’URSS l’amitié de l’Afrique du Sud (de l’apartheid), de l’Angola (de Savimbi) ou du Zaïre (de Mobutu), se retirèrent à leur tour de ce continent africain qu’ils jugeaient, eux aussi, « sans aucun intérêt ».

Abandonnée par tous, l’Afrique et son milliard d’habitants virent leur destinée confiée aux bons soins du FMI et de la Banque mondiale.

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Au tournant du siècle, en l’an 2000, arriva en Afrique le plus grand pays asiatique : la Chine. Elle aussi avait été occupée, pillée, humiliée ; elle a connu le désintérêt du monde, mais a fait sa révolution en 1949 et, trente ans plus tard, a décidé de renouer avec le reste de la planète.

Aux Africains, elle a dit : « Délaissés par les Européens et les Américains, votre continent et ses matières premières m’intéressent. Je viens à vous avec mes moyens et vous aiderai à vous industrialiser. »

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Ses actes ont suivi ses paroles et, surtout, son exemple a suscité des émules : l’Inde, presque autant peuplée, et le Japon, plus développé, ont compris à leur tour, mais une dizaine d’années plus tard, que le continent africain ne pouvait plus être ignoré. Les chefs de leurs exécutifs sont venus l’un après l’autre à la redécouverte de cette Afrique autrefois oubliée même des dieux.

Les pays européens ? Ils ont tenté le « grand retour en Afrique » pour s’apercevoir que les places étaient prises

Les pays européens ? À l’exception notable de l’Italie, empêtrée dans ses difficultés économiques et sociales, ils ont tenté « le grand retour en Afrique » pour s’apercevoir… que les places étaient prises et qu’eux-mêmes n’avaient plus « leur savoir africain » d’antan.

Avec ou sans les Européens, en 2016, les deux premières économies du continent – le Nigeria et l’Afrique du Sud – se classent respectivement au 23e et au 32e rang mondial.

On en était là il y a seulement quelques jours. Et qui voyons-nous arriver ? Angela Merkel, chancelière de cette Allemagne devenue la première puissance européenne – la quatrième du monde – et le plus grand exportateur d’Europe.

La discipline, le goût du travail et le sens de la grandeur de ses citoyens lui ont donné en soixante-dix ans de paix ce que Hitler avait échoué à apporter au pays par la guerre.

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Ce n’est pas la première fois qu’Angela Merkel se rend en Afrique en tant que chancelière. Elle avait visité notre continent trois fois, en 2006, en 2007 et en 2011. Mais l’Allemagne n’était pas alors la grande puissance qu’elle est devenue, la deuxième d’Occident après les États-Unis.

Et les Allemands sont un moteur Diesel lent à trouver son rythme : il y a dix ans, on se demandait partout s’ils avaient une politique africaine ou s’ils faisaient seulement mine de s’intéresser à notre continent.

Ce nouveau géant de la politique et de l’économie se souvient-il qu’il a essayé, il y a un siècle, au paroxysme de l’aventure coloniale, de prendre pied en Afrique australe ? Il s’était approprié la Namibie mais en avait été chassé à la première occasion par ses rivaux européens.

Le voyage effectué par Angela Merkel en Afrique du 9 au 11 octobre 2016 n’est cependant pas allemand ; il ne vient pas couronner les périples africains de ses ministres. Il est européen, motivé par des impératifs de sécurité européenne.

Le voyage d’Angela Merkel est le début de l’aventure africaine de l’Allemagne.

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Observant, comme tout le monde, que la population africaine, aujourd’hui de 1,2 milliard d’habitants, va doubler en trente ans, elle en conclut que c’est là un problème central. « Il ne faut pas croire que nous allons le faire disparaître en l’ignorant au maximum, et en se coupant de la réalité. Ces gens sont à nos portes […]. Je suis une réaliste, et c’est une réalité. »

De retour à Berlin, elle recevra à la chancellerie les présidents tchadien Idriss Déby Itno et nigérian Muhammadu Buhari. Il s’agit, a-t‑elle dit, « d’une priorité stratégique », de voir comment, à terme, on peut tarir le flot d’hommes, de femmes et d’enfants arrivant en Europe en provenance de pays qui ne contrôlent pas leur croissance démographique et se révèlent incapables de donner du travail à leur jeunesse.

Mme Merkel vient d’ouvrir la voie à d’autres marques d’intérêt de l’Allemagne pour notre continent, et son voyage est, à mon avis, le début de l’aventure africaine de ce grand pays.

Elle sera lente à se mettre en route mais son action n’en aura que plus d’ampleur.

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Les trois pays africains qu’elle a visités, le Niger, le Mali et l’Éthiopie, ont-ils mesuré l’importance stratégique de ce voyage et les lendemains qu’il annonce ? Je l’espère. Mais je doute fort que l’Union africaine, dont Angela Merkel a tenu à rencontrer les dirigeants à Addis-Abeba, ait compris qu’elle participait à un événement historique.

Par désintérêt ou incompétence, la présidente de sa Commission, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, l’a réduite à l’état de fantôme. Et c’est ce fantôme qui a vu arriver à son siège d’Addis-Abeba, sans s’en rendre compte, le chef de l’Europe et un géant du monde.

C’était l’Europe qui rendait visite à l’Afrique.

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