Tedros Adhanom, Ministre éthiopien des Affaires étrangères : « L’OMS gagnerait à être dirigée par un homme de terrain »

Candidat à la direction générale de l’organisation, celui qui a aussi été ministre de la Santé met en avant son expérience et son bilan au gouvernement. Entretien.

À Genève, en mai, lors du lancement de sa candidature au poste de directeur général de l’OMS. © Fabrice Coffrini/AFP

À Genève, en mai, lors du lancement de sa candidature au poste de directeur général de l’OMS. © Fabrice Coffrini/AFP

Publié le 12 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Ministre éthiopien des Affaires étrangères depuis 2012, auparavant chargé de la Santé, Tedros Adhanom est un homme très occupé : la guerre civile qui a repris au Soudan du Sud lui laisse peu de répit (Addis-Abeba tente, depuis de longs mois, de jouer les médiateurs entre Salva Kiir et Riek Machar), tout comme les interrogations internationales que suscite la répression de la contestation en pays oromo (près de 600 morts en un an)*.

Cela ne l’empêche pas de voir loin. À 51 ans, il ambitionne de succéder à la Chinoise Margaret Chan pour devenir le nouveau directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Face à lui, cinq candidats, dont l’ancien ministre français de la Santé Philippe Douste-Blazy ou encore le Britannique David Nabarro, qui a eu à coordonner la riposte de l’ONU face à Ebola. Mais Tedros Adhanom en est convaincu : les réformes qu’il a menées en Éthiopie seront autant d’atouts au moment où les pays membres de l’OMS devront passer au vote.

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Jeune Afrique : On résume souvent le développement à l’industrialisation, mais n’est-ce pas une définition un peu courte ?

Tedros Adhanom : L’Éthiopie, qui n’a longtemps été perçue que comme un « pays pauvre », est aujourd’hui montrée comme un modèle de développement. Or l’une des avancées les plus décisives que nous ayons faites a été d’améliorer l’accès aux soins et leur qualité. En effet, si les gens ne sont pas en bonne santé, le reste importe peu. C’est pour cela que nous avons délibérément mis l’accent sur les infrastructures de santé, que nous avons insisté sur la formation et créé de nouveaux mécanismes de financement.

Nous avons travaillé avec les communautés pour identifier les problèmes sanitaires et, ensemble, nous avons élaboré des solutions à la fois viables et culturellement acceptables. Finalement, nous avons réussi à faire en sorte que des dizaines de millions de personnes aient désormais accès aux soins. Nous étions ambitieux, et nous avons réussi. Nous avons fait un véritable bond en avant dans la lutte contre la mortalité infantile, le VIH, le paludisme et la tuberculose.

Concrètement, quelles ont été vos principales réalisations ?

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Nous souffrions par exemple d’une grave pénurie de médecins qui ne pouvait s’expliquer que par la fuite des cerveaux. Le problème avait des causes profondes, et il a fallu une véritable volonté politique pour les appréhender.

Nous avons choisi d’opérer un transfert des tâches en formant des agents de santé à certains actes habituellement pratiqués par des médecins. Un exemple : beaucoup de femmes décédaient en couches dans les zones rurales parce qu’elles avaient besoin d’une césarienne que personne ne pouvait effectuer. Nous avons donc formé des agents pour qu’ils soient capables d’intervenir même en l’absence de chirurgiens.

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Bien sûr, il nous faut aussi former davantage de médecins. C’est un point sur lequel nous avons mis l’accent, mais de manière raisonnée, en tentant de ne pas trop dépenser. Ainsi, plutôt que de créer des centres hospitaliers universitaires à partir de rien, nous avons amélioré des hôpitaux qui existaient déjà. Évidemment, tout cela a nécessité que les ministères de la Santé et des Finances travaillent en étroite collaboration. Mais les résultats sont là : il y a quinze ans, l’Éthiopie formait 150 médecins par an. Cette année, ils sont 2 600.

Mais n’est-il pas encore compliqué d’offrir des soins à des populations qui vivent parfois loin des centres urbains ?

C’est vrai que la plupart des Éthiopiens vivent dans des zones rurales difficiles d’accès. C’est pour cela que nous avons créé un programme sanitaire spécifique, dont le but est justement de compenser cette distance entre les lieux où l’on peut trouver des médecins et ceux où vivent les gens.

Ce programme a permis la formation et le déploiement de 38 000 agents de santé – tous des femmes – qui sont en mesure de fournir un ensemble de services de santé dans les régions reculées et peuvent aussi jouer un rôle en matière de prévention et de contrôle des principales maladies transmissibles, de promotion de l’hygiène ou encore d’éducation sanitaire.

Nous avons également créé ce que nous avons appelé l’Armée du développement sanitaire : trois millions de volontaires – là encore, des femmes – qui vont travailler en collaboration avec les agents de santé et qui seront basés partout dans le pays. Ces volontaires mèneront essentiellement un travail de prévention et d’information et nous aideront à identifier des solutions aux problèmes très précis qui peuvent se poser dans telle ou telle communauté. Cela se fait déjà dans une dizaine de pays sur le continent et pourrait être dupliqué ailleurs.

L’environnement et le changement climatique sont d’autres défis qui auront un impact sur la santé des populations.

Quelle sera votre priorité si vous êtes élu à la tête de l’OMS ?

Notre continent doit faire face à une multitude de défis. L’Afrique porte un très lourd fardeau en matière de santé, le plus lourd sans doute, et l’OMS a besoin du leadership de ceux qui se sont retrouvés sur la ligne de front. Grâce à l’OMS, plus de gens vivent plus longtemps et en meilleure santé. Mais nous vivons dans un monde en mutation, et l’organisation doit être en mesure de changer avec lui.

Il y a beaucoup de défis à relever. Aujourd’hui, près de 400 millions de personnes – soit environ un être humain sur 18 – n’ont pas accès aux services de santé de base. C’est un premier challenge, auquel s’ajoutent les grandes pandémies : notre monde a tellement évolué qu’une urgence de santé quelque part peut rapidement devenir une urgence partout. Et nous parlons d’urgence d’une telle complexité qu’un engagement collectif de haut niveau est forcément nécessaire.

Les autorités nationales et internationales doivent travailler ensemble et mettre les questions de santé au cœur de leurs programmes. Nous ne pourrons pas être prêts si nous ne travaillons pas à la construction de structures capables de détecter et de prévenir les crises sanitaires avant qu’elles se propagent.

L’environnement et le changement climatique sont d’autres défis qui auront un impact sur la santé des populations. Et encore une fois, ce sont des pays comme les nôtres qui souffrent le plus. Nous devons nous en protéger et mettre sur pied une action multilatérale.

Il ne faudrait pas oublier non plus la question de la santé et du bien-être des femmes et des filles – une question longtemps reléguée au second plan. Il y a trop souvent des pratiques culturelles et sociales néfastes, et les violences fondées sur le genre ont un impact négatif sur la santé, la dignité et les droits des femmes et des filles. Un pays se développe mieux lorsque celles-ci se portent bien, et ce sera l’une de mes priorités.

Comment se déroule votre campagne ?

Tout le monde est d’accord pour dire que l’OMS aurait tout à gagner à être dirigée par quelqu’un qui a une expérience de terrain, qui a eu à gérer des problèmes de santé parmi les plus pressants et avec des ressources limitées. Dans le monde qui est le nôtre, l’OMS a besoin d’une combinaison décisive de santé publique et de diplomatie, et je sais que je peux lui fournir le leadership nécessaire pour qu’elle continue à avancer.

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