Burundi : l’enfer, c’est les autres

Bujumbura paraît plus isolé que jamais. Pourtant, sa rhétorique anti-occidentale lui vaut encore quelques amitiés à Moscou, à Pékin et jusqu’au sein de l’Union africaine.

À l’Assemblée nationale, le 12 octobre, le vote à main levée en faveur du retrait de la CPI a recueilli une écrasante majorité. © ONESPHORE NIBIGIRA/AFP

À l’Assemblée nationale, le 12 octobre, le vote à main levée en faveur du retrait de la CPI a recueilli une écrasante majorité. © ONESPHORE NIBIGIRA/AFP

Publié le 12 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Tout est allé très vite, le 12 octobre. Les députés puis les sénateurs ont massivement voté en faveur du retrait de la Cour pénale internationale (CPI). En quelques heures, le Burundi, plongé dans une violente crise politique depuis un an et demi, venait de franchir le Rubicon : si le président, Pierre Nkurunziza, notifie ce choix à l’ONU – ce qu’il ne devrait pas manquer de faire –, le Burundi sera le premier pays à quitter la CPI. « On est au fond de la piscine, et on ne sait pas si on va remonter ou si on va sortir la pelle et creuser un peu plus encore », ironise un diplomate européen chargé du dossier burundais.

Théorie du complot

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Se présentant comme les cibles d’un complot international, les maîtres du Burundi se posent depuis le début de la crise en victimes de l’Occident, notion aux contours flous qui englobe, à Bujumbura, l’Europe, les États-Unis, l’ONU, les ONG, la presse internationale et même l’Union africaine (UA). Le retrait de la CPI n’est que le dernier épisode d’une fuite en avant qui a commencé par de simples (mais lourdes) accusations contre le Rwanda et la Belgique avant de se traduire par des actes. Il y eut d’abord, en octobre 2015, le retrait de l’agrément de l’ambassadeur belge, Marc Gedopt. Puis le refus systématique de tout déploiement de missions d’interposition dans le pays.

Rapport onusien

Un stade supplémentaire a été franchi début octobre, quelques jours après la publication d’un rapport des Nations unies accablant pour le pouvoir, qui a poussé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à mettre sur pied une commission d’enquête sur les crimes commis au Burundi. Le 10 octobre, les autorités interdisaient l’entrée sur son territoire aux trois auteurs dudit rapport. Le 11, elles annonçaient la suspension de toute forme de collaboration avec le bureau du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. Et le 12, le Parlement votait le retrait de la CPI.

En quête de nouveaux alliés 

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« Il s’agit, pour les tenants du pouvoir, de se protéger contre d’éventuelles poursuites judiciaires », affirme un analyste burundais qui a requis l’anonymat. Mais cela répond aussi à des choix mûrement réfléchis. « S’ils adoptent cette stratégie belliqueuse, c’est parce qu’ils ne sont pas si isolés que ça. Le ministre des Relations extérieures multiplie les voyages sur tous les continents en quête de soutiens. L’opposition à l’Occident est un gage de nouvelles amitiés », poursuit l’analyste burundais. Le régime Nkurunziza peut ainsi compter sur le soutien des Chinois, des Russes et d’une partie des chefs d’État africains.

Le vote du 20 septembre à Genève, à l’issue duquel a été créée la commission d’enquête sur les crimes au Burundi, décrit le rapport de forces actuel. Ce jour-là, 19 pays, parmi lesquels une majorité d’européens et un seul africain, le Ghana, ont voté en faveur de la résolution ; 21 États se sont abstenus, dont dix africains (notamment l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Congo, la Côte d’Ivoire), et sept s’y sont opposés : le Burundi évidemment, mais aussi le Maroc ou encore la Russie.

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Discrets soutiens africains

Les observateurs ont cru, un temps, que Nkurunziza ne bénéficierait pas d’une telle solidarité africaine. L’UA s’était montrée très virulente à l’égard des autorités burundaises à la fin de l’année dernière. Ce n’est plus le cas. Dépossédée du dossier par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et remise à sa place par les chefs d’État les plus influents, elle a mis de l’eau dans son vin.

« Les autocrates se sont réveillés, déplore un diplomate ouest-africain. Ils ne pouvaient pas accepter un tel interventionnisme, au risque d’en être un jour les victimes. » Le changement de ton d’Idriss Déby Itno, le président en exercice de l’UA, illustre ce revirement. En janvier, il avertissait Nkurunziza dans Jeune Afrique : « Si la situation dégénère, l’UA interviendra militairement. » Mi-octobre, il prenait sa défense sur une radio allemande.

Nkurunziza peut aussi compter sur l’appui de José Eduardo dos Santos, Jacob Zuma, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et Abdel Fattah al-Sissi – des poids lourds sur le continent. Ces soutiens sont toutefois discrets et, si l’on excepte l’Angola, ils ne se sont pas traduits par ce dont le régime a le plus besoin : une aide financière. « Aucun n’en a les moyens ni même l’envie », souffle un diplomate ouest-africain.

Un appui précaire de la part de la Russie et la Chine

Il en va de même avec Pékin et Moscou. Si Chinois et Russes refusent de s’aligner sur la position de l’Europe et des États-Unis et jouent le rôle de parrains du Burundi au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, cette protection est fragile. Ainsi, aucun des deux n’a fait usage de son droit de veto lors du vote, en juillet, de la résolution autorisant le déploiement de 228 policiers onusiens au Burundi – Moscou l’a même approuvée.

« Le Burundi ne représente rien pour eux, note un diplomate onusien. Ce n’est pas la RD Congo, il n’a rien à leur offrir hormis quelques constructions de routes. » De fait, les investisseurs chinois ou russes ne courent pas les rues de Bujumbura. Le gouvernement burundais a bien signé avec Pékin un accord de coopération économique portant sur un montant de 12 millions de dollars (10,8 millions d’euros) en juillet.

Mais c’est très peu comparé à ce que représentait l’aide européenne avant que la crise ne décide l’UE à la suspendre (430 millions d’euros étaient prévus sur la période 2014-2020). Depuis que cette manne s’est envolée, le pays « est exsangue », note un diplomate européen. Il n’y a plus d’investissements, les routes sont laissées à l’abandon, le budget a été fortement revu à la baisse (– 40 %), et c’est à peine si l’État arrive à payer ses fonctionnaires.

Un rapport accablant

Le rapport final de l’enquête indépendante des Nations unies sur le Burundi, publié le 20 septembre, est on ne peut plus clair : « Des violations graves des droits de l’homme ont été et sont commises principalement par des agents de l’État et ceux qui sont liés à eux. Ces violations graves sont systématiques et constantes, et l’impunité est omniprésente. » Les enquêteurs évoquent des disparitions forcées, recensent de nombreuses techniques de torture (fixation de poids aux testicules, broyage de doigts, détention dans un conteneur fermé, etc.), parlent d’emprisonnements arbitraires « à une échelle massive » et pointent du doigt les éléments du Service national de renseignement (SNR), de la police, de l’armée, ainsi que les Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir.

Le régime burundais réfute en bloc ces accusations.

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