Investissements : les curieuses méthodes de Goldman Sachs

La Libyan Investment Authority accusait la banque américaine de lui avoir fait perdre plus de 1 milliard de dollars. La justice lui a donné tort, mais a dévoilé les procédés peu orthodoxes du géant de Wall Street.

Illustration. © Antoine Moreau Dusault pour JA

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ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 10 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

«The firm » s’en sort bien. Goldman Sachs, la célèbre banque américaine ainsi surnommée, a remporté le 14 octobre le procès que lui intentait la Libyan Investment Authority (LIA). Ce fonds souverain, créé sous feu le dictateur Mouammar Kadhafi pour placer les pétrodollars libyens, contestait en effet la légalité de contrats passés avec la banque entre 2007 et 2008. Ceux-ci ont entraîné, pour la LIA, la perte de quelque 1,2 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros), soit la totalité des fonds investis en 2008 et gérés par la banque américaine.

Sorties et week-end

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Contrairement à ce que plaidaient les avocats de la LIA, la justice britannique a estimé que Goldman Sachs n’avait pas exercé « d’influence indue » sur le fonds libyen pour qu’il signe ces contrats. Le jugement jette néanmoins une lumière crue sur les méthodes employées par les commerciaux de Goldman Sachs pour tisser des relations de confiance avec leurs clients et leur faire signer des transactions faramineuses. Dans le cas libyen, celles-ci étaient « plus importantes que ce que la plupart des traders voient dans toute leur carrière », relève le jugement.

Tu dois rester à Tripoli. C’est important que tu restes très proche d’eux. Éduque-les, entraîne-les, amène-les au restaurant

Le rôle du Marocain Youssef Kabbaj, un ancien élève du lycée parisien Louis-le-Grand et du Massachusetts Institut of Technology américain, était notamment au centre des débats. En 2007 et 2008, ce commercial de Goldman Sachs est dépêché à Tripoli à de très nombreuses reprises.

« Tu dois rester à Tripoli, lui intime l’un de ses supérieurs, l’Austro-Marocain Driss Ben-Brahim. C’est important que tu restes très proche d’eux quotidiennement. Éduque-les, entraîne-les, amène-les au restaurant. » Kabbaj suit si bien ces conseils qu’il dispose bientôt d’un bureau dans les locaux mêmes de la LIA. Cela fait dire aux avocats du fonds souverain que Goldman Sachs, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, était devenu une « banque interne ».

Offre de stage

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L’institution libyenne gère alors quelque 30 milliards de dollars au bas mot, et souhaite les investir. À plusieurs reprises, Kabbaj invite, dans des conditions « luxueuses », des cadres de la LIA afin de suivre des formations à Londres, où la banque possède des bureaux. Mais il les emmène aussi en week-end à Marrakech ou à Dubaï, sans objectif professionnel immédiat. Kabbaj obtiendra même un « stage » pour Haitem Zarti, le petit frère de Mustafa Zarti, à l’époque directeur adjoint de la LIA, dans la succursale londonienne de la banque.

Bien que temporaire, ce type de poste est rémunéré et surtout très recherché : il est habituellement attribué au mérite, aux meilleurs éléments des plus prestigieuses écoles de finance. Ce n’était clairement pas le profil de Haitem Zarti, et son recrutement a d’ailleurs provoqué des réticences au sein du service ressources humaines de la banque. « Nous risquons d’énerver Zarti », s’inquiète Ben-Brahim dans un e-mail.

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Les supérieurs de Kabbaj confirment donc l’offre de stage. Le 17 avril 2008, alors que la plus importante série de transactions avec la LIA est en cours de discussion, Kabbaj adresse un SMS à Mustafa Zarti : « Bonne nouvelle, Haitem va recevoir une offre de Goldman Sachs pour six à douze semaines, renouvelable s’il est bon. Il sera payé comme un analyste débutant [5 000 à 7 000 dollars par mois]. » Le lendemain, Kabbaj écrit à ses collègues : « Mustafa veut nous donner quelque chose. » Les 23 et 24 avril, les contrats sont signés. À l’époque, un bonus de 9 millions de dollars est envisagé par Goldman Sachs pour récompenser Kabbaj.

Perte de valeur

En réalité, les contrats proposés par Goldman Sachs à la LIA étaient des produits financiers complexes, adossés sur de grandes sociétés occidentales, comme la banque américaine Citigroup ou l’électricien français EDF.

Si la valeur de ces actions augmente entre 2008 et 2011, la LIA peut multiplier ses gains, jusqu’à plus de cinq fois. En revanche, si cette valeur diminue et passe sous leur prix initial, la LIA perd tout. Avec la crise financière de 2008, c’est ce qui se produit. Les Libyens, qui prennent alors conscience de l’ampleur de leurs pertes probables, sont furieux. Cela donne lieu à une très vive explication entre les représentants de la LIA et ceux de Goldman Sachs à Tripoli le 23 juillet – l’une de leurs dernières réunions.

Selon Bloomberg Businessweek, Goldman Sachs se sépare de Kabbaj quelques semaines plus tard, moyennant une compensation de 4,5 millions de dollars et son engagement à garder le silence sur cette affaire. Le reste du management de la banque américaine cité dans ce dossier, en revanche, conserve son poste.

Le jugement n’a pas dévoilé le montant exact gagné par Goldman Sachs. On sait, à sa lecture, que la banque américaine aurait perçu au minimum 130 millions de dollars sur les opérations réalisées pour le compte du fonds souverain libyen. Ce dernier pourrait faire appel.

Société générale aussi…

Goldman Sachs n’est pas la seule banque poursuivie à Londres par la Libyan Investment Authority (LIA) pour des transactions réalisées entre 2007 et 2008. À la même période, le fonds libyen négociait avec la banque française Société générale. Leurs commerciaux se sont d’ailleurs parfois croisés dans la tour qui abritait l’Autorité à Tripoli. Et devant la justice britannique, les Libyens accusent aussi l’établissement français d’avoir influencé illégalement ses cadres pour obtenir des contrats. Mais cette fois, c’est de corruption qu’il est question.

D’après l’enquête, Société générale a notamment versé 58,5 millions de dollars à une société basée au Panama et dirigée par un Libyen, Walid al-Giahmi. Selon la LIA, cette somme aurait en particulier servi à payer des pots-de-vin à ses dirigeants de l’époque. Société générale conteste cette version et assure qu’Al-Giahmi était rémunéré pour des services d’intermédiaire légaux. Le jugement doit être rendu au printemps 2017.

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