Maroc : à Oum Azza, une décharge pionnière
Le royaume voit aujourd’hui dans la gestion des déchets une source d’emplois et d’énergie. Visite d’une usine pionnière en matière de tri et de traitement.
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En haut de la colline souffle un vent froid. Sous les pieds, le sol est meuble, couleur terre de Sienne. Des touffes d’herbe et même quelques vaillants buissons ont pris racine. À part quelques effluves putrides qui piquent un peu les narines, rien ne permet au visiteur de deviner qu’il foule 4,5 tonnes d’ordures, réunies en un tas de 30 m de hauteur, enfoui puis recouvert de terre. À intervalles réguliers, de grands tuyaux noirs se dressent.
Plantés au cœur du magma de déchets, ils extraient du biogaz, ce mélange complexe dont seul le méthane est exploitable. Transformé, il permet de produire de l’électricité. Ce n’est pas encore le cas dans le centre d’enfouissement d’Oum Azza, mais c’est l’une des pistes envisagées par le groupe français Pizzorno Environnement, qui exploite ce site depuis 2007.
Un traitement utile des déchets pour 2020
La décharge, qui reçoit la collecte des ordures ménagères de 13 communes, dont Rabat, Salé et Témara, a remplacé un dépotoir à 12 km de là. Le Maroc compte encore 220 lieux hors de tout contrôle, où échouent même des matières dangereuses. Le plan national de gestion des déchets ménagers prévoyait de les éliminer en 2015, mais, prudemment, la date a été reportée à 2020. La tâche est ardue mais le royaume ne renonce pas. L’enjeu n’est pas uniquement de limiter les dommages environnementaux, mais d’appréhender le déchet comme une ressource à exploiter.
Les ordures seraient responsables de 7,5 % des émissions de gaz à effet de serre au Maroc, alors que la moyenne mondiale est de 3 % à 5 %. Aujourd’hui, à l’échelle du pays, seuls 10 % des déchets sont triés. À Oum Azza, sur les 2 000 t réceptionnées chaque jour, la moitié sera bientôt triée, avec l’entrée en fonction d’une deuxième ligne de traitement, pour un investissement de 1,3 million d’euros.
Dans la cour, derrière le centre de tri, des tas multicolores de matériaux récupérés, classés par genres. « Ici l’aluminium, là le fer-blanc et, dans le garage fermé, le plus précieux : le cuivre », explique Yassine Mazzout. Ce trentenaire est le président de la coopérative At-Tawafouk (« l’accord »). Créée en 2010, elle regroupe les chiffonniers de l’ancienne décharge, qui ont désormais un statut légal, avec des conditions de travail sûres et encadrées.
La valorisation des déchets représente aussi un défi social. Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) estime à plus de 7 000 les emplois informels générés par l’exploitation sauvage des déchets.
« J’ai été trieur, se souvient Yassine. J’ai commencé à 15 ans. Je travaillais la nuit, dans des conditions catastrophiques : la pluie, le froid, les déchets médicaux. C’était la loi de la jungle, les forts écrasaient les faibles. Aujourd’hui, les salariés sont payés 2 500 dirhams [environ 230 euros] par mois, les femmes et les plus âgés sont dispensés des tâches pénibles. Le travail des enfants est interdit. »
De bonnes conditions de travail
Les camions de collecte déversent leur cargaison en contrebas du centre, les déchets montent ensuite sur un tapis puis passent dans une cribleuse, qui opère un premier traitement en détachant les amas. Autour d’un tapis mécanique, chaque employé récupère un type de matière. Les rôles changent régulièrement. Pizzorno Environnement a investi pour permettre à la coopérative de travailler dans de bonnes conditions. La station est aérée, et les employés disposent de gants et de chaussures de protection.
Le site pionnier d’Oum Azza espère diffuser de nouvelles manières de faire. Rendue obligatoire par les autorités, l’intégration des chiffonniers conditionne notamment l’obtention de subventions. Avant cela, à Fès par exemple, où les trieurs n’ont pas été intégrés, beaucoup sont partis à Tanger, sur d’autres décharges. Les autres continuent leur tri en amont, directement dans la ville, au grand mécontentement des riverains.
La coopérative, elle, verse un salaire à ses 147 employés, dégage des bénéfices et prévoit une dizaine d’embauches. « Nous avons engrangé 660 000 dirhams cette année, dit en souriant Yassine Mazzout. Nous allons pouvoir acheter un deuxième camion. »
Le président d’At-Tawafouk a décroché un diplôme en gestion d’entreprise. Cet ancien chiffonnier qui plongeait les mains dans les ordures vérifie aujourd’hui son chiffre d’affaires sur son smartphone : « On devrait dépasser les 5 millions de dirhams en 2016. » Pas question pourtant d’oublier d’où il vient et comment tous sont arrivés là : « J’aimerais transmettre mon expérience à travers le pays, former les autres chiffonniers et les encourager à s’organiser. »
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