Amine Bouabid (BOA) : « La bancarisation ne progresse pas tant que ça »

Ouverture d’agences, implantation en Afrique centrale, banque digitale, stratégie pour les PME et l’informel : Amine Bouabid, directeur général de Bank of Africa, dévoile sa méthode et les ambitions du groupe panafricain.

Le Marocain veut doper le segment des petites et moyennes entreprises. © Bank of Africa

Le Marocain veut doper le segment des petites et moyennes entreprises. © Bank of Africa

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 7 novembre 2016 Lecture : 10 minutes.

Arrivé au poste de directeur général du groupe Bank of Africa (BOA) en janvier 2015, Amine Bouabid a formé pendant quelques mois un tandem avec Mohamed Bennani, PDG depuis janvier 2011. Tous deux issus de BMCE Bank, actionnaire de contrôle du groupe subsaharien, les deux Marocains ont travaillé ensemble afin d’assurer la transition et la sortie d’un Mohamed Bennani en grande partie épuisé par le travail réalisé à la tête de BOA. Le groupe, autrefois peu structuré et à la gouvernance fragile, a en effet peu à peu mué vers un modèle de banque universelle et une organisation plus claire. La gouvernance, elle, est sans doute encore perfectible, dans un groupe où plane en permanence l’ombre tutélaire d’Othman Benjelloun, parfois au mépris du subtil équilibre actionnarial qui a longtemps été la marque de fabrique du groupe. Le président de BMCE Bank, grande figure de la finance marocaine, mène en effet avec BOA son grand dessein panafricain, parfois en poussant la machine à aller un peu vite. Fort heureusement, les échecs connus par BOA et Mohamed Bennani dans l’exécution de la volonté d’Othman Benjelloun de racheter une grande banque nigériane et de s’implanter en Guinée équatoriale ont sûrement permis au groupe d’éviter une véritable catastrophe industrielle.

Malgré ces soubresauts, le travail a été fait : le groupe BOA et ses filiales bancaires dans 17 pays africains se sont structurés et largement professionnalisés pour séduire notamment le segment des particuliers. Les agences se sont multipliées, les commerciaux se sont spécialisés, les produits ont été segmentés. Résultat : le groupe a ouvert 470 000 nouveaux comptes au cours de la seule année 2015 (pour un total de 2,7 millions de comptes) ; son total de bilan consolidé a progressé de 18,9 %, pour passer de 3 983,6 milliards de F CFA en 2014 à 4 737,6 milliards de F CFA (de 6,1 à 7,2 milliards d’euros) un an plus tard ; les revenus ont progressé de 13 %, pour atteindre 440 millions d’euros ; le groupe est désormais un fort contributeur aux bénéfices de BMCE, avec un résultat net de 56,2 millions d’euros à fin 2015, en croissance de 14,4 %. De quoi, a priori, réjouir un Amine Bouabid seul aux commandes de BOA depuis juin 2015, sous la supervision d’un président nommé en même temps, Brahim Benjelloun-Touimi. Deux hommes aux tempéraments tellement différents que l’on peut se demander comment se déroulent leurs réunions…

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Tranchant, précis, financier plus que banquier, Amine Bouabid est-il complètement serein face à la machine laissée par ses prédécesseurs ? Le groupe, toujours en construction, entend doper son activité avec les PME, mais opère sur des marchés qui restent étroits et difficiles. Interview.

Propos recueillis par Frédéric Maury, en septembre 2016

Jeune Afrique : Vous avez été nommé directeur général du groupe Bank of Africa en janvier 2015. Vous qui aviez passé votre carrière au Maroc et en Occident, avez-vous été surpris par ce que vous avez découvert dans les 17 pays subsahariens où le groupe est présent ?

Amine Bouabid : Tout d’abord, nos implantations constituent une mosaïque tellement contrastée qu’on ne peut pas mettre tous les pays africains sur un pied d’égalité . L’est du continent est ainsi beaucoup plus avancé en matière de régulation que l’ouest. Il existe cependant des points communs : ce sont souvent des économies encore en devenir qui comptent un nombre important d’acteurs bancaires. Sur le segment des grands comptes, ils se partagent les mêmes clients.

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Il y a tout de même un véritable dynamisme, avec une croissance à deux chiffres des banques…

Il faut faire attention à bien différencier ce qui relève de l’augmentation de l’activité bancaire pure et les placements en bons du Trésor. Au Maroc, on a connu il y a dix ans un essor fulgurant du secteur, principalement grâce au crédit immobilier. Mais il a fallu mettre en place un véritable écosystème, les États, les promoteurs et les financiers jouant chacun son rôle. Les banques ne peuvent pas agir seules. Dans les pays subsahariens dans lesquels nous sommes présents, je ne constate pas une telle expansion du crédit, sans même parler des pays comme le Kenya, qui connaissent en ce moment une contraction du crédit. De manière générale, la croissance de la bancarisation n’est pas si importante. Il y a évidemment un problème de pouvoir d’achat, mais aussi de disponibilité des produits : comment accorder des crédits immobiliers lorsque les logements économiques manquent ?

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Quels sont les objectifs stratégiques du groupe ?

L’essentiel de mon travail depuis un an a consisté à analyser le positionnement de chacune des banques de BOA par rapport à leurs marchés respectifs et par rapport aux champions de ce marché. Nous avons identifié les faiblesses de chaque filiale bancaire et mis en avant les leviers à actionner dans le cadre de son plan triennal. Il va sans dire que l’approche pédagogique a prévalu dans l’élaboration des plans triennaux, sachant que l’approche commerciale avait toujours primé dans le passé, au détriment de l’approche financière. La dynamique commerciale est certes importante, mais la rationalisation impose des analyses financières plus fines. Le couple rendement-risque devient une composante essentielle de notre politique de crédit.

Oui, nous avons fait le choix d’aller vers les PME.

Vous avez donc fixé des objectifs par filiales, mais y a-t-il tout de même une ligne commune forte ?

Oui, nous avons fait le choix d’aller vers les PME. Celles-ci représentent aujourd’hui 11 % de notre portefeuille global, et nous souhaitons que leur proportion atteigne 20 %. Notre exposition aux particuliers, environ 27 % de notre portefeuille, est satisfaisante. Il s’agit donc de diluer les grands comptes pour doper le segment des PME. Nécessairement, le risque va augmenter, et le pricing [fixation des taux d’intérêt des crédits] va s’adapter. Nous visons ainsi une augmentation de la rentabilité de la partie bancaire de notre activité de 9 % à 12 % en 2018, et la diminution relative de la contribution des revenus de placement en titres souverains.

Vous avez rejoint BOA après avoir passé dix-sept ans chez Salafin, filiale de BMCE spécialisée dans le crédit à la consommation. Pensez-vous que cette expérience soit l’une des raisons de votre nomination à BOA et vous sert-elle ?

Chez Salafin, la clientèle est grand public. La gestion des risques, le scoring [la technique d’évaluation des risques] et le pricing sont des éléments centraux de l’activité. En ce sens, cela aide à développer l’activité de crédit aux PME au sein de BOA. Car même si la clientèle n’est pas identique, certaines méthodes d’évaluation des risques sont proches. De nombreuses PME subsahariennes opèrent encore dans l’informel, n’ont pas d’états financiers. Donc nous devons travailler sur des « profils comportementaux » pour établir des grilles de score. Et mettre en place un département recouvrement efficient.

BOA n’était pas vraiment connue pour être une grande banque de détail. Comment expliquez-vous l’ouverture de près de 470 000 comptes en 2015 ?

Il faut rendre hommage à mon prédécesseur, Mohamed Bennani, qui a eu la lourde tâche de diriger un groupe de banques indépendantes très tournées vers les entreprises. Il a d’abord fallu en prendre le contrôle, ce qui n’était pas simple, puis développer la clientèle des particuliers, avec des produits packagés adaptés. C’est ce qu’il a fait, et ces centaines de milliers de nouveaux comptes sont le fruit de son travail. En parallèle, il a mené plusieurs projets d’expansion géographique, au Ghana, au Rwanda et au Togo.

Développements que vous comptez poursuivre ?

Nous sommes dans une phase de consolidation et de rationalisation. Intégrer une nouvelle banque n’est pas chose facile. Au Rwanda, la reprise de l’institution de microcrédit et sa transformation en banque universelle ont mobilisé près de 50 personnes des structures centrales pour former les salariés, intégrer l’informatique et les process, définir de nouveaux produits… Réaliser ce travail tout en consolidant les banques existantes est difficile.

BOA est très bien implantée dans l’ouest comme dans l’est du continent, mais vous ne semblez pas vouloir développer rapidement BOA en zone Cemac, où vous attendez depuis quatre ans un agrément au Cameroun…

Les expansions géographiques sont du ressort des actionnaires, notamment de notre actionnaire majoritaire, BMCE Bank. Au Cameroun, nous venons d’obtenir notre agrément auprès de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), et nous avons aussi l’autorisation de Bank Al-Maghrib, la Banque centrale du Maroc. Le mode de participation et le timing pour aller dans ces pays seront décidés au moment opportun par les instances du groupe.

Il faut avoir une couverture minimale en matière d’agences, notamment dans les villes

Comme vos confrères marocains, vous investissez beaucoup dans les agences physiques, reproduisant en grande partie le modèle que vous avez fait prospérer au Maroc. Est-ce rentable dans un continent où la densité de population reste faible ?

Il faut avoir une couverture minimale en matière d’agences, notamment dans les villes. Ce n’est pas encore le cas, loin de là. Nous avons donc pour objectif de faire croître notre réseau, de 500 agences aujourd’hui à 650 en 2018, sans pour autant faire l’impasse sur le digital.

À ce sujet, on a un peu l’impression que BOA reste à l’écart du phénomène de la banque digitale…

Nous travaillons à une refonte globale de notre système d’information, avec une équipe de professionnels dédiée. La migration est en cours vers un système plus souple, préalable à notre offensive dans la banque digitale. Dans nos implantations en Afrique de l’Est, qui sont déjà bien avancées dans ce domaine, nous devons faire avec les moyens du bord, et c’est compliqué. Dans l’Ouest, nous sommes en phase d’observation.

Vous expérimentez au Sénégal un modèle de banque de l’informel pour les populations non bancarisées. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

Notre filiale sénégalaise octroie des microcrédits via des associations professionnelles, par exemple des regroupements de pêcheurs. Puis nous en réalisons le suivi et nous observons le comportement du client. Nous allons bientôt lancer un produit un peu similaire au Niger. L’idée générale consiste à lancer des laboratoires un peu partout qui seraient des lieux d’innovation en matière de produits. Je ne crains pas que chacune de nos filiales lance dix produits par an, car si seulement deux d’entre eux fonctionnent je serai heureux, et cela permettra de développer des expériences pour le reste du groupe. N’oublions pas que 95 % de l’argent circule en cash et échappe aux banques : c’est lui que nous devons aller chercher.

Au Kenya, le retournement est en train de se produire : les créances en souffrance ont bondi de 30 %

Nombre d’observateurs et de financiers évoquent un spectaculaire retournement de conjoncture pour les banques africaines depuis un an environ. Le ressentez-vous également ?

Au Kenya, le retournement est en train de se produire : les créances en souffrance ont bondi de 30 %, et les crédits diminuent. Phénomènes auxquels s’ajoute une réglementation devenue trop contraignante, avec plusieurs réformes compliquées pour les banques. Mi-septembre, un taux maximal pour les crédits à 14 % – alors que le marché se situait autour de 22 % à 23 % – et un taux minimal de rémunération des dépôts à 7 % ont ainsi été fixés. Dans ce pays, je pense qu’il va y avoir un spectaculaire retour vers l’informel. Plus globalement, il y a un peu partout une dégradation des risques, et ce même dans les pays qui connaissent une croissance économique. C’est notamment lié à la forte concentration des risques. Au Ghana, une grande aciérie a fait faillite et mis toutes les banques en difficulté.

Banque Atlantique, qui appartient au marocain Banque centrale populaire, vient de lever 100 millions de dollars auprès d’un investisseur, Development Partners International (DPI). Pourriez-vous procéder à une telle opération ?

Je ne me suis pas beaucoup penché sur cette opération, mais, de manière générale, il faut avoir une histoire à vendre pour trouver des investisseurs, et c’est ce que nous mettons en place. BOA Group est d’ailleurs en train de lever près de 100 millions de dollars en dette auprès d’investisseurs internationaux pour les besoins des filiales bancaires.

Cela fera dix ans que BMCE Bank a investi dans Bank of Africa. Quel est aujourd’hui le degré d’intégration entre les deux entités ?

L’intégration est assez forte, et elle a notamment commencé par les aspects risques et conformité. Je ne sais pas quelle forme elle prendra par la suite, sachant que chaque groupe garde sa gouvernance.

Vous êtes donc plus souvent à Dakar, siège de BOA, qu’à Casablanca, siège de BMCE Bank ?

Oui, je suis moins d’une semaine par mois au Maroc, et je passe le reste du temps entre Dakar et nos filiales.

BOA est présente dans 17 pays subsahariens. Comment se passe la supervision croisée que les différentes banques centrales tentent de mettre en place depuis la crise qu’a connue Ecobank il y a quelques années ?

Chacune de nos filiales est surveillée depuis longtemps par sa propre autorité de contrôle. Depuis environ un an, une supervision croisée a été instaurée, avec des collèges de superviseurs pour les groupes panafricains, qui réunissent tous les six mois les banques centrales d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale, de Madagascar et du Maroc.

Il y a un an, FinanceCom, qui contrôle BMCE Bank, et Saham ont annoncé une alliance dans le domaine de la bancassurance au sud du Sahara. Quelle forme concrète cette alliance a-t-elle prise, et la coentreprise annoncée a-t-elle été créée ?

C’est un partenariat commercial non exclusif organisé autour de trois axes : la bancassurance, la gestion d’actifs et l’immobilier. Il a commencé à être développé au Sénégal et en Côte d’Ivoire, principalement le volet bancassurance, avant d’être étendu aux autres pays où nous avons une présence commune.

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