Business : success-stories tunisiennes en série

Si les difficultés traversées par le pays mènent la vie dure aux entreprises, certains patrons ont trouvé des idées pour développer leur activité, voire en créer de nouvelles.

Boutique du quartier El Menzah 1, à Tunis. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Boutique du quartier El Menzah 1, à Tunis. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 16 novembre 2016 Lecture : 7 minutes.

Tunis, le 10 juillet 2015. © Sophia Barakat pour JA
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Tunisie : en quête de confiance

Loué pour le succès de sa transition démocratique, le pays n’a guère été soutenu sur le plan financier. Et sa situation économique est désormais très difficile. Pour accélérer la reprise, les 29 et 30 novembre, il organise une conférence internationale destinée à rassurer et à réveiller les investisseurs.

Sommaire

Une histoire de gourmandise

Radhia et Taleb Kamoun ont repris en 1988 le flambeau transmis par leur mère, Souad Kamoun, qui avait fait de sa passion pour la confection de gâteaux traditionnels un métier en créant Gourmandise dès 1976. La PME a misé sur la régularité dans la qualité (certifiée ISO 9001 et 22000) et s’est adaptée aux goûts d’un marché très exigeant en proposant pour chaque saison une nouvelle collection.

Avec un chiffre d’affaires de 13,5 millions de dinars (environ 2,5 millions de dollars) en 2015, 360 employés et désormais 17 boutiques en Tunisie, Gourmandise veut conforter sa position de leader de la pâtisserie tunisienne et occidentale haut de gamme.

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Début 2015, le capital-investisseur AfricInvest est entré au capital de l’entreprise (à hauteur de 3 millions de dinars), ce qui lui a permis d’engager une stratégie de développement national et international : nouvelle identité visuelle, mise en place de concept stores avec espace dégustation (comme la Maison Gourmandise, ouverte en début d’année à La Marsa, près de Tunis) et commercialisation de nouveaux produits du terroir sur le segment épicerie fine.

Après avoir ouvert sa boutique en ligne, destinée en particulier aux livraisons à l’étranger, Gourmandise compte désormais se développer sur les marchés du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest.

Dans la chaleur de La Cinquième Saison

Dans les années 1990, nul n’aurait parié sur le potentiel agricole de la zone d’El Khebayet, située à El Hamma, près de Gabès (Sud). Mais le miracle de la géothermie, allié à la technologie et à une bonne dose de compétence, a permis à La Cinquième Saison – société fondée par Adel Tlili – de produire hors sol, sous des serres chauffées par des eaux géothermales (dont la température est d’environ 65 °C), des primeurs de grande qualité, tant gustative que physique, avec des rendements allant jusqu’à 300 tonnes par hectare (t/ha).

Tomates, poivrons, fraises et melons s’arrachent à bon prix sur les marchés européens, notamment autrichien et allemand.

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L’exploitation, qui se résumait à deux serres-tunnels de 5 ha en 1988, s’étend aujourd’hui sur 40 ha et emploie près de 900 salariés. Depuis 2008, elle est gérée en partenariat avec le groupe espagnol SanLucar et elle est devenue un exemple de réussite dans la région, qui souhaite reproduire son modèle à travers des projets impliquant des jeunes.

Avec son partenaire valencien, l’entreprise compte essaimer dans d’autres régions de Tunisie. Son plan de développement, engagé en 2015 à Bizerte, prévoit un investissement de 169 millions d’euros sur sept ans pour aménager 3 000 ha (pour y cultiver principalement baies, agrumes et fruits à noyaux). Ce qui devrait créer des milliers d’emplois directs dans les zones de production.

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Au Domaine Fendri, royaume de l’huile bio

Médaille d’or au concours Biol à Bari (Italie), médaille de bronze au concours international Extra Virgin Oil à Los Angeles (États-Unis)… Cette année encore, l’huile d’olive extra-vierge biologique produite par les moulins du Domaine Fendri, situé à Meknassy (Centre, dans la région de Sidi Bouzid), a raflé les meilleurs prix du monde.

Slim Fendri, 49 ans, héritier du savoir-faire familial, travaille dans l’exploitation depuis 1995. Avec la démocratisation du bio, il a choisi de privilégier la qualité plutôt que la quantité pour valoriser les propriétés organoleptiques (tout ce qui est susceptible d’exciter un récepteur sensoriel) des crus locaux (une approche peu répandue à l’époque, où l’on visait le vrac et la quantité). Et cela a payé. En 2011, il a remporté son premier prix international. Depuis, il collectionne les récompenses.

Aujourd’hui, le domaine ne produit « que » 150 à 200 tonnes par an d’or vert, dont plus de 100 t sont destinées à l’exportation. L’oléiculteur, qui a démontré par un travail minutieux que la variété Chemlali, considérée comme commune, pouvait donner un cru d’excellence, envisage d’augmenter sa capacité de production en plantant 10 000 pieds d’olivier supplémentaires, tout en préservant la dimension humaine de son entreprise. Avec d’autres exploitants de sa région, Slim Fendri élabore une nouvelle norme, l’indication d’origine contrôlée (IOC).

Slim Fendri a toujours misé sur la qualité. © Kamel Agrebi

Slim Fendri a toujours misé sur la qualité. © Kamel Agrebi

La Badira privilégie l’exclusif

A contre-courant, Mouna Allani Ben Halima a choisi de miser sur l’hôtellerie de luxe alors que le secteur était en pleine tourmente. « Toute conjoncture est relative, argumente la jeune femme. Et celle de ces dernières années m’a encouragée à monter en gamme. »

Contrôleuse de gestion et spécialisée dans les audits, mais surtout fille d’hôteliers, Mouna Allani Ben Halima s’est forgé une solide expérience au sein du groupe familial, notamment en pilotant le chantier de rénovation de l’hôtel Taj Sultan à Yasmine-Hammamet (désormais sous enseigne Golden Tulip).

Après une étude de marché, elle a investi 16 millions d’euros dans La Badira, un « cinq-étoiles de luxe » ouvert en décembre 2014 à Hammamet, dont les prestations se démarquent de celles offertes par les autres établissements haut de gamme de la station balnéaire. Afin de remplir ses 120 suites, elle cible une clientèle individuelle, recherchant des services très haut de gamme et le calme – l’hôtel refuse les enfants de moins de 16 ans pour préserver le confort de ses clients.

Mouna Allani Ben Halima a ouvert son hôtel en décembre 2014. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Mouna Allani Ben Halima a ouvert son hôtel en décembre 2014. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Le succès a été immédiat auprès des Tunisiens et, depuis cette année, auprès de la clientèle du Moyen-Orient. Mouna Allani Ben Halima compte aussi sur le réseau The Leading Hotels of the World (LHW), qui lui a décerné son label, pour assurer plus largement la promotion de La Badira à l’international.

BeThree, trois geeks pour sauver des vies

Depuis sa création en 2015, dans le giron de l’incubateur d’Esprit – école d’ingénieurs privée du nord de Tunis –, la start-up BeThree (Be Protected, Be Rescued, Be Safe) a fait du chemin. Dans tous les sens du terme. En mai 2016, ses cofondateurs Youssef Aissa (22 ans, au centre sur la photo), Mohamed Rhodesly (25 ans, à dr.) et Bechir Zakkour Farhat (22 ans, à g.) ont en effet quitté Tunis pour Los Angeles, où ils ont intégré le Wonka Lab. L’accélérateur californien est devenu partenaire de la jeune entreprise tunisienne, qu’il héberge et soutient pour l’aider à valoriser le bracelet intelligent qu’elle a mis au point.

Les fondateurs de BeThree au complet. © DR

Les fondateurs de BeThree au complet. © DR

Fréquence cardiaque, saturation de l’oxygène dans le sang, pression artérielle… Grâce à un algorithme conçu avec l’aide de médecins, ce bracelet connecté, baptisé WellBeat, capte tous les signaux biologiques et peut détecter en temps réel les syncopes, possibles annonciatrices d’accidents cardiaques et vasculaires cérébraux (AVC).

En cas d’anomalie, le dispositif déclenche l’envoi d’un SMS aux proches et/ou au médecin du patient, en indiquant ses coordonnées GPS, ce qui permet d’intervenir rapidement. Et de sauver des vies. L’application permet par ailleurs d’assurer un monitoring médical et de faciliter les échanges de données avec les médecins.

Actuellement, le prototype est en phase d’évaluation. Quant au trio du génie biomédical, il est à la recherche de partenaires pour achever le développement de WellBeat, puis le commercialiser au niveau international. Et les trois garçons comptent bien assurer l’avenir de BeThree en concoctant des algorithmes et applications qui permettront de suivre des patients atteints d’autres pathologies, notamment l’épilepsie.

À l’IMS, pas de pitié pour les mannequins

La simulation médicale est un concept innovant, peu développé dans les pays francophones, mais très en vogue dans le monde anglo-saxon. C’est à la fois une méthode d’apprentissage et une technique de formation continue. Elle consiste à faire interagir des personnels soignants avec des mannequins high-tech bardés de capteurs, placés sous monitoring et réagissant aux stimuli.

L’Institut des métiers de santé (IMS), fondé par Ghazi Darghouth, l’a importée en Tunisie en 2014. Ses mannequins peuvent simuler des arrêts cardiaques, des détresses respiratoires, un choc septique ou servir de cobayes pour la pose de cathéters. « Nos formations s’adressent aussi bien aux personnels paramédicaux – infirmiers, aides-soignants – qu’aux médecins.

L’idée consiste à placer les apprenants en situation de stress, en reproduisant des cas critiques qu’ils pourraient rencontrer dans leur pratique, pour juger leurs réactions et les aider à acquérir les bons réflexes. Nous transposons à la médecine des techniques qui ont fait leurs preuves dans l’aviation civile. Car les soignants, comme les pilotes de ligne, n’ont pas droit à l’erreur. »

En 2015, 2 000 professionnels ont bénéficié de ces formations, et, moins de deux ans après sa création, l’IMS réalise déjà plus de 1 million de dinars (plus de 445 000 dollars) de chiffre d’affaires, emploie six salariés et fait appel à quelque 40 formateurs, dont plusieurs médecins de l’hôpital militaire. L’institut dispose de quatre mannequins connectés, qui coûtent la bagatelle de 100 000 dinars l’unité.

Neuf des principales cliniques du pays ont investi dans le projet de Ghazi Darghouth. Venu de l’industrie textile, cet entrepreneur a abandonné la confection à la fin des années 2000, car il voyait les avantages comparatifs de ses produits s’effriter inexorablement. C’est au cours d’un MBA effectué à Londres, en 2009, que lui est venue l’idée de se lancer dans la simulation médicale. Le marché tunisien était alors vierge.

Un mannequin coûte la bagatelle de 100 000 dinars. © DR

Un mannequin coûte la bagatelle de 100 000 dinars. © DR

Aujourd’hui, Darghouth ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Il nourrit des ambitions à l’international : « Je veux exporter le savoir-faire tunisien. Le continent recèle des opportunités qu’il faut saisir dès maintenant, avant que d’autres acteurs n’investissent ce créneau. » Il compte organiser à Tunis, dans le courant de 2017, le tout premier congrès africain de simulation médicale.

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