Diabète : l’Afrique se fait du mauvais sang
Conséquence d’un changement des modes de vie, le diabète explose sur le continent. La prise en charge de cette maladie dont on ne guérit pas est un véritable défi pour les systèmes de santé africains.
À Bamako, Dakar, Yaoundé ou Conakry, c’est une même sonnette d’alarme que tirent les médecins, alors que les files d’attente s’allongent inexorablement devant leurs cabinets. Qu’il soit celui de l’enfant – lié à la génétique – ou de l’adulte – associé plutôt au mode de vie –, le diabète explose en Afrique. Cette affection caractérisée par un excès de sucre dans le sang n’y était jusque-là pas très développée, mais on compterait désormais plus de 20 millions de diabétiques au sud du Sahara, dont les deux tiers ne sont pas diagnostiqués.
Et en 2030, ils seront plus de 42 millions. Le nombre de malades s’accroît logiquement avec l’allongement de la vie. Même si, dans huit cas sur dix, ceux-ci ont moins de 60 ans. « Si on ne fait rien, on assistera au même phénomène qu’en France avec une prévalence qui double tous les dix ans », s’inquiète Stéphane Besançon, directeur général de l’ONG Santé Diabète à Bamako.
La propagation du diabète est aujourd’hui dix fois plus importante que celle du sida. Avec 15 % à 20 % de la population atteinte d’obésité et de plus en plus d’enfants souffrant du diabète de l’adulte, la mécanique semble malheureusement bien enclenchée, avec des conséquences déjà dramatiques.
« Il constitue la cause première d’amputation non traumatique et de cécité, et la seconde cause d’entrée en dialyse », annonce le professeur guinéen Naby Baldé, prochain président pour la région Afrique de la Fédération internationale du diabète. Cette maladie est responsable de plus de 9 % des décès au sud du Sahara, il a fait 320 000 morts l’année dernière.
De mauvaises habitudes responsables de la maladie
Le diabète est également une bombe pour la santé publique parce qu’il entraîne de graves complications : hypertension artérielle, cancer, affection respiratoire chronique, accident vasculaire cérébral. D’autant plus que les facteurs de risque auxquels sont exposées les populations progressent dangereusement. En cause, la mutation des sociétés africaines : des dizaines de millions d’individus ont quitté, et quittent encore, les campagnes pour s’installer en ville, adoptant un nouveau mode de vie qui ne permet pas de maintenir le même niveau d’activité physique.
Les Africains ont accès trop facilement à une nourriture trop grasse, trop sucrée, trop salée, et trop peu aux fruits et aux légumes.
« Tout le monde utilise désormais des voitures ou des taxis pour se déplacer. Quant aux plus pauvres, c’est pire, ils font appel aux motos-taxis qui viennent les chercher directement à la porte de leur domicile, déplore le professeur Baldé. Il faudrait réinventer la manière dont les villes se construisent, avec des trottoirs qui permettent de marcher et plus d’équipements sportifs. »
Cette évolution s’accompagne d’une transition nutritionnelle. « L’urbanisation affecte très fortement les circuits d’acheminement et de préparation des aliments, poursuit-il. On a accès trop facilement à une nourriture trop grasse, trop sucrée, trop salée, et trop peu aux fruits et aux légumes ».
Particulièrement dans le viseur de ces spécialistes, les yaourts, que les industriels sucrent encore plus quand ils sont destinés au continent, ou les cubes alimentaires, qui ont tendance à remplacer les épices traditionnelles dans les cuisines africaines et qui regorgent de sel. Ces derniers jouent un rôle majeur dans l’augmentation des cas d’hypertension artérielle, dont les complications sont communes au diabète.
Améliorer la prise en charge
Une meilleure prévention et un changement des comportements pourraient permettre d’enrayer l’explosion de la maladie. « Il faut s’y mettre très vite, on est à un moment charnière, prévient Stéphane Besançon. En Europe, il s’est déjà produit et on ne peut plus le faire reculer. » Pour y parvenir, il y a notamment urgence à renforcer les structures médicales permettant une prise en charge de la maladie.
Les plateaux techniques – avec lecteur de glycémie, tensiomètre, balance pour le pied diabétique – sont pourtant simples à mettre en place et pas très chers. Mais il y a encore trop peu de spécialistes, généralement un à deux par pays en Afrique de l’Ouest, alors que les systèmes de santé sont surtout structurés pour traiter les maladies transmissibles comme le sida. Le diabète reste par ailleurs un terrain délaissé par la plupart des ONG urgentistes et humanitaires.
« Au Mali, 110 millions de dollars [environ 100 millions d’euros] ont été distribués à la suite du conflit de 2012, mais pas un seul pour le diabète, alors que la maladie croît par temps de guerre », déplore Stéphane Besançon.
Néanmoins, les filières se structurent, la formation progresse, même si celle-ci réclame du temps, en général quatre ans pour les médecins. « Tout comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun, la Guinée, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin ont mis en place un diplôme commun il y a cinq ans. Une trentaine de médecins ont déjà bénéficié de la formation. À Bamako, 48 candidats venant de ces quatre pays passent actuellement le concours, dont le taux d’admission est en général de 50 % », expose le professeur Baldé, qui va prochainement piloter une formation spécialisée pour les paramédicaux.
Le Mali et la Tanzanie bons élèves
Si les gouvernements autorisent maintenant les infirmiers à détecter les patients, de plus en plus de médecins généralistes sont également préparés à une prise en charge plus spécifique du diabète. « Au Mali, on a installé des consultations spécialisées dans des structures médicales qui existaient déjà. On a identifié des structures périphériques qui disposaient d’une formation médicale continue pour que les médecins se mettent à jour », détaille le responsable de l’ONG Santé Diabète, qui a assisté le gouvernement dans cette mise en œuvre.
Dans le cadre de certains programmes nationaux de santé, le diabète est maintenant intégré aux diagnostics globaux. En Guinée, « pour chaque patient qui arrive avec de la fièvre, par exemple, on détecte en même temps s’il a le diabète, le paludisme, la typhoïde ou s’il présente des risques cardio-vasculaires », explique le professeur Baldé, qui fut chargé du programme national pour le diabète, désormais élargi à toutes les maladies non transmissibles.
Et ces avancées ne se limitent pas aux grandes métropoles. Si le Mali, s’inspirant du modèle tanzanien, pionnier dans cette voie, a structuré dans la capitale un service de diabétologie et la première unité de prise en charge du diabète de l’enfant d’Afrique de l’Ouest, il a aussi ouvert une trentaine de consultations dans tout le pays, y compris dans le Nord, qui ont permis de prendre en charge 15 000 patients.
Ces dispositifs ont montré leur efficacité. « Par exemple, 450 enfants sont soignés au Mali, 600 en Guinée, 1 000 en Tanzanie, contre une dizaine dans chacun de ces pays auparavant, détaille Stéphane Besançon. Jusqu’ici, la plupart mouraient. »
Pesant très lourd sur les budgets des familles, sachant qu’il n’y a pas de prise en charge et que les malades doivent payer à l’acte pour une maladie dont ils ne guérissent jamais et à laquelle ils succomberaient en l’absence de suivi, le diabète va poser des défis considérables aux systèmes de soins africains. En France, il coûte chaque année l’équivalent de 10 milliards d’euros à l’assurance-maladie.
« Il y a eu une prise de conscience de la part des États. Mais tous les gouvernements sont coincés : ils ne parviennent pas à mobiliser suffisamment de fonds propres, et les bailleurs ne sont pas prêts à financer les maladies chroniques », analyse Stéphane Besançon. « Ce n’est pas seulement au système de santé de réagir mais à tous les pans de la société. Avant d’être considéré comme un problème sanitaire, le sida a été vu comme un problème de développement », souligne pour sa part le professeur Baldé.
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