Maroc : il était une fois la Koutla

Les dernières législatives ont porté le coup de grâce à une alliance qui aura marqué la vie politique pendant plusieurs décennies avant de se faire damer le pion par les islamistes.

De g. à dr., Ali Yata (PPS), Abderrahmane Youssoufi (USFP), M’hamed Boucetta (Istiqlal), Abdellah Ibrahim (UNFP) et Mohamed Bensaïd Aït Idder (OADP) lors de la signature de la charte constitutive de la coalition, en 1992. © najibi

De g. à dr., Ali Yata (PPS), Abderrahmane Youssoufi (USFP), M’hamed Boucetta (Istiqlal), Abdellah Ibrahim (UNFP) et Mohamed Bensaïd Aït Idder (OADP) lors de la signature de la charte constitutive de la coalition, en 1992. © najibi

fahhd iraqi

Publié le 18 novembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Certains l’appellent déjà la « Koutla historique ». C’est dire si ce front démocratique n’est plus aujourd’hui qu’une simple relique sur l’échiquier politique marocain. « Cette coalition a été une alliance de circonstance. Elle a toujours servi à faire bloc lors des grandes réformes qu’a connues le Maroc pour leur donner, in fine, plus de légitimité, nous explique un politologue. Son véritable poids était purement symbolique. Sauf qu’actuellement elle ne représente plus rien. »L’histoire de cette alliance a effectivement été marquée par des rebondissements, dictés par une conjoncture particulière et par les dissensions qui ont traversé ses partis membres.

Une alliance incontournable

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La naissance de la Koutla en 1970 avait scellé les retrouvailles entre l’Istiqlal et l’Union nationale des forces populaires (UNFP). Les deux formations, dont la seconde est née d’une scission avec la première en 1959, avaient alors constitué un front uni pour s’opposer à la révision constitutionnelle de juillet 1970. Cinq ans plus tard, une scission au sein de l’UNFP donnera à son tour naissance à l’USFP, l’Union socialiste des forces populaires, mettant en veilleuse l’alliance pendant plus d’une décennie.

L’appellation disparaît du vocabulaire politique jusqu’au début des années 1990, date de la résurrection de ce front commun. Le 17 mai 1992, une charte constitutive de la « Koutla addimoqratiya » est en effet signée par les leaders de cinq partis : outre Abderrahmane Youssoufi, de l’USFP, et M’hamed Boucetta, de l’Istiqlal, figuraient aussi parmi les signataires de cette « alliance historique » Ali Yata, du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Mohamed Bensaïd Aït Idder, de l’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP, ancêtre du PSU), et Abdellah Ibrahim, de l’UNFP.

La victoire des islamistes du PJD aux législatives de 2011 marque le début de la fin du Front démocratique. © Abdelhak senna/AFP

La victoire des islamistes du PJD aux législatives de 2011 marque le début de la fin du Front démocratique. © Abdelhak senna/AFP

La Koutla restera soudée, boycottant le référendum constitutionnel de 1992 et dénonçant le « hold-up » des législatives au suffrage direct et indirect tenues en juin et en septembre 1993. Le poids politique de cette alliance durant les années 1990 est tel que Hassan II et ses conseillers se retrouvent contraints de négocier avec elle. Les leaders de l’opposition sont ainsi consultés pour constituer un gouvernement dans une conjoncture économique qui, dixit Hassan II, menaçait de conduire le pays « à une crise cardiaque ».

Les tractations durèrent plusieurs mois et furent les plus ouvertes du long règne du monarque. Selon un ancien leader socialiste, c’est l’époque où Hassan II a « montré le plus de flexibilité, de souplesse et de patience dans les négociations ». Le défunt souverain aurait non seulement accepté de nommer un Premier ministre issu de la Koutla, mais aussi concédé quelques ministères de souveraineté comme la Justice, les Affaires étrangères et les Habous. Une pomme de discorde demeura néanmoins : le maintien de Driss Basri à l’Intérieur.

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La Koutla se montra intraitable sur ce point, conduisant le Palais à mettre fin aux négociations en 1995, via un communiqué officiel resté dans les annales : « Ahmed Réda Guédira, conseiller de Sa Majesté le roi, a reçu au cabinet royal MM. Elyazghi, Boucetta et Bensaïd Aït Idder. Tous trois s’opposaient fondamentalement à la présence, à leurs côtés, de M. Driss Basri au sein du gouvernement d’alternance. […] Sa Majesté le roi a décidé de renoncer, pour le moment, à la constitution du gouvernement d’alternance. »

Tensions internes

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Mais, dès 1996, les tractations reprennent entre les leaders de la Koutla et le Palais. Des signes d’apaisement sont émis de part et d’autre : Hassan II autorise le retour d’exil de Fqih Basri, l’un de ses plus farouches opposants, tandis que les leaders de la Koutla appellent à voter en faveur de la révision constitutionnelle annoncée en août 1996 et participent aux législatives organisées dans la foulée. Mais l’alliance commence déjà à battre de l’aile, notamment avec le retrait de l’UNFP et de l’OADP.

C’est donc le trio USFP, Istiqlal et PPS qui représente finalement le front commun au sein du gouvernement d’alternance nommé en 1998 et emmené par le socialiste Abderrahmane Youssoufi. Outre les partis de la Koutla, quatre autres formations et une kyrielle de ministres de souveraineté technocrates, dont le vizir Driss Basri, constituent une équipe gouvernementale composée d’une quarantaine de membres.

Le roi Hassan II (à dr.) avec le Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi,le 3 mars 1998,à Rabat. © Abdelhak senna/AFP

Le roi Hassan II (à dr.) avec le Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi,le 3 mars 1998,à Rabat. © Abdelhak senna/AFP

Mais, exercice du pouvoir et crises internes aidant (surtout au sein de l’USFP), les partis de la Koutla se montrent de moins en moins soudés, si bien qu’ils ne seront pas en mesure de constituer un gouvernement au lendemain des législatives de 2002, les premières sous le règne de Mohammed VI. Le désaccord entre l’Istiqlal et l’USFP, arrivés respectivement premier et deuxième avec deux sièges d’écart, sur la couleur politique du Premier ministre va faire traîner les consultations et conduire le Palais à nommer un chef de gouvernement technocrate en la personne de Driss Jettou.

Avec ses 109 sièges sur 325 à la Chambre des députés, la Koutla est cependant invitée à participer au gouvernement d’union nationale. En 2007, quand le parti de l’Istiqlal accède enfin à la primature, il ne dispose avec ses deux alliés que du tiers des sièges à la Chambre des représentants. Pour gouverner, il lui aura donc toujours fallu cohabiter avec plusieurs autres formations. « La Koutla n’a jamais vraiment eu le poids politique pour gouverner seule à l’issue des élections législatives. Mais elle représentait néanmoins la première force politique avant l’émergence des islamistes du PJD », explique notre politologue.

Et d’ajouter : « Le renouvellement du personnel politique au sein de la Koutla a décomplexé davantage les partis par rapport à cette alliance. Hamid Chabat ou Driss Lachgar (respectivement leaders de l’Istiqlal et de l’USFP) ont construit leur légitimité sur le populisme, la provocation, parfois même la démystification des grandes figures du mouvement national. »

Un parti désormais affaibli

L’une des illustrations phares des crises entre l’USFP et l’Istiqlal est le caricatural procès en diffamation intenté en 2009 par la Jeunesse ittihadie à l’encontre de Hamid Chabat, à l’époque membre du comité exécutif de l’Istiqlal, pour avoir « insulté la mémoire de Mehdi Ben Barka ». Il y a aussi ce chantage à peine déguisé exercé par Driss Lachgar sur Abbas El Fassi pour décrocher un maroquin ministériel sous peine de quitter la majorité en 2009.

Les législatives de 2011 marqueront l’implosion définitive de la Koutla. Après l’annonce de la victoire du Parti de la justice et du développement (PJD), l’Istiqlal fait cavalier seul pour rejoindre le gouvernement d’Abdelilah Benkirane. Un an plus tard, le parti dirigé par Hamid Chabat décide néanmoins de se retirer de l’exécutif pour revenir à l’opposition, aux côtés de l’USFP, qui jusque-là refusait toute alliance avec le PJD. Le PPS, de son côté, avait accepté, dès le départ, de se ranger dans le camp du parti islamiste pour en devenir le meilleur allié.

Au cours du mandat de Benkirane, les rivalités et les tensions entre les anciens alliés d’hier se sont faites encore plus visibles. Jusqu’à la veille des législatives de 2016, Driss Lachgar et Nabil Benabdallah se renvoyaient les accusations, par presse interposée, de « vol de candidats potentiels ». L’Istiqlal, pour sa part, va jusqu’à chasser sur les terres des salafistes dans une tentative désespérée de barrer la route aux islamistes du PJD. « Cela démontre que ces partis se retrouvent à court de candidats crédibles, capables d’adhérer à une vision, comme c’était le cas par le passé », constate notre source.

Les résultats du scrutin du 7 octobre dernier ont porté l’estocade à la Koutla. Les trois partis qui la composent ne totalisent plus que 78 sièges, 20 % de la Chambre des représentants, le score le plus faible jamais réalisé par cette coalition. Un poids qui ne lui permet même plus de s’imposer comme un bloc incontournable pour la constitution du prochain gouvernement. L’Istiqlal, l’USFP comme le PPS déroulent d’ailleurs le tapis rouge à Abdelilah Benkirane pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Sauf que le chef de gouvernement nommé ne manque pas d’options.

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