Télécoms : à Bamako, la troisième licence a tourné au fiasco
La filiale du groupe d’Apollinaire Compaoré, Atel, n’est toujours pas opérationnelle quatre ans après avoir remporté la concession. L’État, lui, s’apprête à lancer une quatrième licence.
C’est un nouveau coup dur pour Planor Afrique. Le 2 octobre, le directeur général d’Atel-Mali, filiale du groupe d’Apollinaire Compaoré, détentrice de la troisième licence de téléphonie au Mali, décidait de quitter son poste.
« Je voudrais prendre cette opportunité pour vous remercier de la collaboration que nous avons développée durant ces nombreux mois afin d’étudier un financement Capex [pour les dépenses d’investissement consacrées à l’achat d’équipements] et de pouvoir lancer notre réseau Atel-Mali. Mais c’est avec regret que je dois vous annoncer ma démission de mon poste de directeur général », écrivait alors Moncef Mettiji, dans un courriel adressé à ses partenaires.
« Cela a été une décision difficile à prendre, mais les divergences de stratégie et de visions pour l’établissement d’Atel-Mali, le déploiement du réseau et le lancement des services commerciaux de télécommunications au Mali (entre M. Apollinaire Compaoré et moi) étaient beaucoup trop larges », ajoutait le Franco-Tunisien.
Une rupture prévisible
Entre Compaoré et Mettiji, la séparation était sur les rails depuis plusieurs mois, alors même qu’Atel-Mali aurait dû lancer ses opérations. « J’ai déjà trouvé meilleur que lui », répond sèchement Apollinaire Compaoré, balayant du revers de la main les accusations portées contre lui par son ancien collaborateur.
Début 2015, l’arrivée de cet ex-dirigeant d’Etisalat en Tanzanie et de l’équipementier Ericsson avait pourtant nourri beaucoup d’espoir du côté du futur troisième opérateur malien du mobile, après une série de déconvenues.
L’aventure téléphonique de Planor au Mali ressemble en effet pour l’instant à un véritable fiasco. Début 2012, c’est avec un associé malien, Cessé Komé, que Planor décroche la troisième licence téléphonique. Les deux alliés s’engagent alors à mettre sur la table un montant record : 84 millions d’euros, dont 40 % doivent être amenés par Cessé Komé.
Les deux principaux concurrents, Bharti Airtel et Viettel, avaient respectivement proposé 30 millions et 16,5 millions d’euros. Mais, rapidement, l’association tourne au vinaigre. Lorsque le Mali réattribue la licence au seul Planor, Cessé Komé déclenche les hostilités sur le terrain judiciaire, avec notamment une procédure d’arbitrage contre Bamako. Quant à Monaco Telecom, le partenaire technique du projet, il tirera sa révérence un peu plus tard.
« Un coup d’accélérateur »
Planor doit donc débloquer seul les 84 millions d’euros nécessaires au paiement de la licence. Surtout, la collecte des montants indispensables au déploiement des opérations s’avère beaucoup plus longue que prévu. Elle n’a pris fin que le 11 octobre, à Lomé, au Togo. Ce jour-là, Apollinaire Compaoré signait avec la BOAD un accord de 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros) pour l’acquisition des équipements d’Atel auprès de Huawei.
Selon le protocole d’entente, le fournisseur chinois devrait livrer le matériel dans trois mois au plus. « Nous avons réglé le problème des équipements. Le projet va connaître maintenant un coup d’accélérateur », confie un connaisseur du dossier Atel.
Au total, un pool bancaire constitué de sept établissements appuie le projet, dont la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce-Mali (à hauteur de 58 milliards de F CFA), la BOAD (10 milliards) et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (7,5 milliards). « Je peux aujourd’hui vous confirmer que le financement de 101 milliards de F CFA est entièrement bouclé. Notre projet est donc prêt à voir le jour », assure Apollinaire Compaoré.
Un marché qui reste en forte demande
Malgré l’évolution du marché malien depuis l’octroi de la troisième licence, le patron burkinabè maintient qu’une place existe toujours pour un nouvel opérateur. Depuis 2012, le taux de pénétration du mobile a pourtant littéralement explosé, passant de 73 % à 142 % mi-2016, avec environ 23 millions d’abonnés pour 15 millions d’habitants. Orange, le leader, a vu le nombre de ses clients bondir au cours de la même période de 8,5 à 11,5 millions.
Celui de Malitel, filiale de Maroc Télécom, est passé de 6 à 8,1 millions. Conscients de l’arrivée d’un nouveau concurrent, les deux opérateurs ont inondé le marché d’offres promotionnelles, au point que le client malien type possède aujourd’hui plusieurs cartes SIM.
Face à cette délicate situation de marché, Atel est peu bavard sur sa stratégie. Seule certitude, l’opérateur pourrait dupliquer le modèle de Telecel, filiale de Planor au Burkina : le numéro trois du marché, loin derrière le leader Onatel (Maroc Télécom) et Airtel Burkina (racheté il y a quelques mois par Orange), a su capter une clientèle avec plusieurs offres, comme les appels entrants donnant droit à des crédits de communication ou les bonus d’appels sur les recharges.
Fin 2015, Telecel pouvait d’ailleurs se prévaloir d’une part de marché de 19 %, soit 2,375 millions d’abonnés, même s’il reste largement distancé par la filiale du groupe marocain, qui contrôle 44 % du parc burkinabè, estimé à quelque 12,5 millions de clients, et Airtel (37 %). Prudent, Planor semble tout de même avoir revu ses ambitions géographiques à la baisse.
« Nous allons déployer progressivement notre réseau à Bamako et dans les grandes villes », explique Apollinaire Compaoré. Avant d’ajouter : « Mais l’objectif est de couvrir l’ensemble du territoire car nous avons besoin de tous les Maliens. »
Vers une nouvelle licence malienne
Après le départ de Moncef Mettiji et en attendant le déploiement, une autre incertitude persiste : le lancement d’une quatrième licence. Jusqu’en février dernier, Planor bénéficiait d’une sorte de clause de protection garantissant qu’aucun nouvel acteur ne viendrait s’implanter. Ce n’est désormais plus le cas et, selon nos informations, le gouvernement malien s’apprêterait à lancer cette quatrième licence.
« Le dossier doit passer bientôt en Conseil des ministres pour requérir son feu vert. Et l’appel à candidatures doit se faire courant 2017, confirme Baba Konaté, conseiller technique en télécommunications au ministère de la Communication. Il y a beaucoup de demandes, notamment des opérateurs économiques maliens qui se présentent avec des partenaires étrangers. »
Malgré le retard accusé par Planor, le gouvernement malien ne semble pas envisager une résiliation de la concession, accordée pour quinze ans. Mais une quatrième licence serait à coup sûr une énième complication dans un dossier qui n’en finit plus. Qu’importe, Apollinaire Compaoré reste profondément optimiste quant à ses chances de succès au Mali.
Droit de réponse de Monsieur Apollinaire Compaoré
Suite à l’article ci-dessus, initialement publié dans Jeune Afrique n°2913 du 6 au 12 novembre 2016, nous avons reçu d’ Apollinaire Compaoré le courrier suivant, que la loi nous oblige à publier :
“Décidément, la 3e licence de téléphonie globale au Mali n’en finit plus d’alimenter des passions articulées sur de malveillantes insinuations. C’est le cas de le penser, à la lecture de la récente livraison de Jeune Afrique en son édition n°2913 du 6 au 12 novembre 2016. Edition dans laquelle le journal panafricain assimile à un prétendu « fiasco » la démission d’un collaborateur, tenant jusqu’alors le poste de directeur général d’Atel-SA. Ceci bien évidemment se démarque de la réalité autour de cette 3e licence pour laquelle, aussi bien au plan financier qu’en ce qui concerne les exigences administratives qui ont effectivement été bouclées le 11 octobre 2016 et entérinées par l’engagement des installations des équipements requis, par le groupe chinois Huawei, leader incontesté dans le secteur. Ignorant très certainement ces réalités bien qu’ils aient été en contact avec le principal initiateur du projet, en l’occurrence Apollinaire Compaoré, les journalistes de l’organe panafricain qui ont commis cet article fallacieux, se sont très certainement laissés influencer par les clairons d’un nationalisme primaire de mauvais aloi.
En effet, le retard pris dans la mise en œuvre opérationnelle ne saurait être imputable au groupe Planor Afrique, dont la filiale Atel-SA est de nationalité malienne tout comme l’ancien associé. Seulement, incapable de libérer à date sa quote-part pour la constitution du capital mais aussi et surtout pour l’attribution de ladite licence, cet ancien partenaire se vit naturellement évincé du projet, tant il est vrai par ailleurs que seul Apollinaire Compaoré s’acquitta de l’ensemble desdites obligations financières. Toutes choses qui lui attribuèrent conséquemment la pleine propriété d’Atel-Mali.
Ces circonstances ont freiné la mise en œuvre du projet, avant qu’au final les juridictions et le gouvernement maliens ne tranchent en faveur d’Atel-Mali et par conséquent d’Apollinaire Compaoré. D’où vient-il donc qu’un retard de mise en œuvre du reste compréhensible, quand on sait les lenteurs procédurales entourant l’exécution des décisions de justice, soit qualifié dans l’article incriminé de prétendu « fiasco » ?
En fait, tout semble plutôt indiquer que la logique de sabordement du projet n’a guère quitté certains esprits retors, tant il est constant que les informations fraîches au sujet de l’adjudicataire de la 3e licence de téléphonie globale au Mali sont rassurantes, même s’il faudra encore attendre janvier 2017 pour bénéficier de ses prestations. Une assertion fondée en ce qu’outre les informations parcellaires énoncées supra, il faut y adjoindre la détermination du principal initiateur dudit projet à offrir le nec plus ultra aux maliens, en la matière. Dès lors on comprend que le choix du partenaire technique chinois n’ait pas été fait au hasard, même si les détracteurs d’Apollinaire Compaoré croient pouvoir démobiliser certains de ses collaborateurs, à l’instar du directeur général démissionnaire.
Les journalistes auteurs de l’article incriminé auraient été bien avisés de s’interroger sur la propension à la mobilité professionnelle accrue de ce dernier en lien avec ses ambitions. En effet, comment comprendre qu’en dépit selon lui « des divergences de stratégie et de vision trop larges », il ait réussi la prouesse de résister jusqu’au 2 octobre 2016 dernier avant de le constater ?
A l’évidence, il croyait certainement asséner un coup de grâce à Apollinaire Compaoré, alors même que la viabilité et la pertinence de son projet lui assurent une attractivité conséquente. A preuve, à peine démissionné le directeur général a été remplacé par un autre qui, aux dires mêmes du promoteur est « meilleur que lui ». Une sorte de fable en somme que livre en fait le magazine panafricain.
Tout au moins, il a permis à Atel-SA, de rassurer davantage les populations maliennes qui l’attendent avec une offre globale différenciée en divers points, qui viendra combler au mieux une attente bien indépendante de la volonté d’Apollinaire Compaoré. Fort heureusement, cette attente ne sera pas vaine, tant il est constant qu’Atel-SA. saura capitaliser sa riche expérience dans le secteur, pour imposer à sa concurrence directe actuelle et même à venir (le Mali envisageant notamment l’attribution d’une quatrième licence de téléphonie globale), une approche aussi différenciée que seront ses prestations. Suffisant dès lors pour comprendre que le projet ait requis l’assentiment d’un consortium d’institutions financières et bancaires à l’instar de la Boad, du fonds de garantie et de coopération économique et d’un pool de banques commerciales sous régionales. Aucune banque sérieuse n’aurait pu courir le risque de voir ses mises financières fondre littéralement comme de la neige au soleil. Suffisant dès lors pour mettre en doute les allégations de Jeune Afrique qui, de toute évidence, semble avoir travaillé avec légèreté (précisons en outre que sur la photo de l’article concerné, ce n’est pas Appolinaire Compaoré que l’on voit à gauche comme écrit faussement).
Aussi espérons-nous humblement que ce magazine s’oblige à publier ce droit de réponse, question à la fois de réparer quelque tort mais aussi et surtout de restaurer la vérité première autour de l’exécution imminente de la 3e licence de téléphonie globale au Mali, sous la dénomination commerciale de Telecel.”
Réponse de la rédaction :
Equipementier, banque, départ du directeur général, etc : vous reprenez en tout point les éléments déjà largement rélatés dans l’article auquel vous entendez répondre et dans lequel vous étiez cité. Preuve que, contrairement à ce que vous avancez, nous n’avons nullement travaillé avec légéreté. Votre courrier n’apporte rien de nouveau, en livrant de surcroît une vision des événements qu’on aurait du mal à qualifier de neutre. Pour les Maliens, comment qualifier autrement que par le terme de “fiasco” le délai (environ quatre ans) mis pour lancer les opérations du troisième opérateur ?
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