Allemagne : Berlin renomme ses rues en l’honneur de résistants africains au colonialisme
Les noms de plusieurs rues de la ville glorifient encore le défunt empire africain de l’Allemagne. Un siècle plus tard, cet anachronisme va prendre fin. Au profit de grandes figures de l’émancipation.
Mnyaka Sururu Mboro, 65 ans bien sonnés, a toujours le cœur un peu lourd quand il arpente les rues de l’Afrikanisches Viertel, le « quartier africain » situé au nord de la capitale allemande. Rue du Togo, rue du Cameroun, rue de Zanzibar… Comme nombre de Berlinois, il a longtemps cru que ces noms avaient été choisis à la fin du XIXe siècle en l’honneur de son continent natal.
Quelle naïveté ! Il a fini par comprendre qu’il s’agissait en réalité d’un très anachronique hommage à l’empire colonial du défunt Reich. Cent ans après, on recense encore à Berlin une dizaine de rues portant le nom d’anciens colonisateurs.
Une diminution des hommages aux colonisateurs
« Quand je vois que l’Allemagne glorifie ces hommes alors que, pour nous, ce passé de domination brutale reste une plaie ouverte, ça me fait mal », s’emporte ce Tanzanien d’ordinaire fort calme. Il y a deux décennies, il a donc créé une association, Berlin Postkolonial, qui se bat pour faire disparaître ces honteux vestiges du passé. Non sans résultats. Trois rues seront rebaptisées l’an prochain : la Lüderitzstrasse, la Petersallee et la Nachtigalplatz.
Négociant en tabac et fondateur de la première ville de l’ex-Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie), Adolf Lüderitz (1834-1886) passe pour l’un des instigateurs du massacre des Hereros et des Namas. Haut-commissaire pour le district du Kilimandjaro, son collègue Carl Peters (1856-1918) multiplia les exactions contre les populations locales au point de devoir, en 1897, rentrer prématurément en Allemagne. Gustav Nachtigal (1834-1885) était quant à lui un scientifique et un explorateur colonial originaire de Halle, en Saxe-Anhalt.
En dépit de ce premier succès, Mboro reste circonspect. « Je ne serai vraiment satisfait, dit-il, que lorsque les changements de nom seront effectifs. » Dans le passé, il est souvent arrivé que des projets du même type soient enterrés en raison de l’opposition d’un parti politique, voire d’un simple particulier. Qu’en sera-t-il, cette fois ? « Le processus de décision sera ouvert à tous, afin que chacun se sente concerné », veut croire Sabine Weissler, une conseillère municipale (Les Verts).
Héros oubliés
Selon la mairie, les nouveaux noms seront connus à la mi-2017. Il devrait s’agir de grandes figures de la lutte pour l’émancipation des Noirs. Et notamment de femmes. Bien que celles-ci soient peu nombreuses, Berlin souhaite rendre hommage à leur combat trop méconnu. On songe à Yaa Asantewaa (1840-1921), reine d’Ejisu, dans l’empire Ashanti (actuel Ghana), qui, au début du XXe siècle, prit la tête d’une rébellion contre les colons anglais. Ou à la Camerounaise Maria Mandessi Bell (1896-1990), autre grande figure de la lutte anticoloniale.
Chez les hommes, Rudolf Duala Manga Bell (1872-1914), qui s’opposa à la mainmise allemande sur le Cameroun et à un projet d’apartheid à Douala, semble faire l’unanimité. De même que Kinjikitile Ngwale (mort en 1905), à l’origine de la rébellion des Maji-Maji en 1905-1907, notamment en Tanzanie. Ou Hendrik Witbooi (1825-1905), héros national namibien qui, en 1904, participa au soulèvement des Hereros.
« On nous accuse parfois de vouloir gommer l’histoire coloniale de l’Allemagne, mais c’est faux. Nous voulons au contraire la rendre plus vivante et critique », plaide Mnyaka Sururu Mboro. Des exemples ? Toujours dans la capitale, le quai Gröbenufer, débaptisé en 2010, porte aujourd’hui le nom de May Ayim, une poétesse et activiste germano-ghanéenne. Un panneau a été installé pour expliquer le changement de nom. Quand devoir de mémoire rime avec pédagogie…
La redécouverte du passé colonial de l’Allemagne est en effet récente. Ici, à la différence de la France ou de l’Angleterre, la décolonisation prit fin dès 1918. Puis cette histoire fut occultée par le second conflit mondial et les atrocités nazies. Entre 1884 et 1918, le Reich avait pourtant réussi à constituer l’un des plus vastes empires coloniaux africains, qui s’étendait de l’actuelle Namibie à la Tanzanie, en passant par le Cameroun, le Togo, le Rwanda et le Burundi.
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