La Tunisie en quête d’investissements pour conjurer une situation économique difficile
C’est le rendez-vous de la dernière chance. La conférence internationale d’appui au développement économique, social et durable Tunisia 2020, qui se tiendra à Tunis les 29 et 30 novembre, doit faire oublier les déceptions du sommet du G8 de Deauville, en juin 2011, et de l’« Invest in Tunisia: Start-up Democracy Conference », organisée à l’initiative du gouvernement de Mehdi Jomâa, en septembre 2014.
Tunisie : en quête de confiance
Loué pour le succès de sa transition démocratique, le pays n’a guère été soutenu sur le plan financier. Et sa situation économique est désormais très difficile. Pour accélérer la reprise, les 29 et 30 novembre, il organise une conférence internationale destinée à rassurer et à réveiller les investisseurs.
Deux grands-messes marquées par une belle affluence et, s’agissant de la réunion du G8, par de mirifiques promesses aussitôt oubliées.
Attirer à nouveau les investisseurs
Citée en exemple pour sa transition démocratique, distinguée par le comité d’Oslo – qui lui a décerné le prix Nobel de la paix en 2015 –, la Tunisie est à la peine économiquement. Une conjoncture dégradée, un chômage qui ne régresse pas, des déficits et une dette qui explosent…
« La bataille la plus cruciale est celle de l’emploi, car elle conditionne tout le reste, y compris la consolidation de notre démocratie : une exception dans le monde arabe. Or qui dit emploi dit investissements », explique Fadhel Abdelkefi, le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale.
Tunisia 2020 vise précisément à mobiliser ces investisseurs, qui se font trop rares, et à promouvoir le Plan de développement 2016-2020, qui prévoit 125 milliards de dinars (60 milliards de dollars) d’investissements sur cinq ans, dont 60 % émaneront du secteur privé. La France et le Qatar ont accepté de « parrainer » cet événement.
Soutien politique
La communauté internationale, qui a dépensé des dizaines de milliards de dollars en pure perte dans l’espoir illusoire de stabiliser l’Afghanistan ou l’Irak, des États faillis, ne s’est guère montrée généreuse envers la Tunisie.
« Depuis cinq ans, les seuls appuis que nous avons reçus sont politiques, regrette Fadhel Abdelkefi. Nous aurions pourtant besoin d’un soutien économique plus fort pour nous aider à franchir un cap difficile. Une telle action serait d’abord dans l’intérêt de l’Europe, ne serait-ce que parce que la Tunisie est à sa frontière. »
Comprendre : le politique pourrait inciter les décideurs économiques du Vieux Continent à se montrer moins frileux, plus entreprenants.
L’investissement est le talon d’Achille de l’économie tunisienne. Et le problème ne date pas d’hier. Dès la fin des années Ben Ali, les analystes s’inquiétaient de ce qu’ils appelaient « la grève de l’investissement ». Laquelle avait sonné le glas d’un « miracle économique » en réalité bien fragile.
L’explication qui prévalait alors était la corruption : la prédation des clans faisait perdre, disait-on, entre 1,5 et 2 points de PIB annuel à la Tunisie. Pour éviter de susciter les convoitises, les opérateurs rechignaient à développer leurs activités (pour vivre heureux…).
Cinq ans après la révolution, le paysage économique s’est assombri. Le rebond espéré ne s’est pas produit. L’investissement est même tombé à un taux historiquement bas : 19,4 % du PIB, soit 10 points de moins qu’au Maroc, le voisin et concurrent traditionnel. La croissance s’en ressent. Entre 2011 et 2015, elle a péniblement atteint 1,5 % en moyenne.
Effondrement des secteurs clés
Impossible, dans ces conditions, de concrétiser les aspirations à la dignité et à un développement régional équilibré, pourtant au cœur de la mobilisation révolutionnaire. Le chômage, qui frappe 15 % de la population active (630 000 personnes, dont la moitié sont diplômées du supérieur), n’a pratiquement pas régressé.
Les industries du tourisme et des mines (phosphates), piliers de l’économie et traditionnellement pourvoyeuses de devises, se sont effondrées. Les comptes de l’État ont viré au rouge écarlate, pendant que la masse salariale de la fonction publique augmentait de manière vertigineuse.
La corruption, qui a changé de nature, s’est démocratisée et décentralisée, opérant une jonction inquiétante avec le commerce parallèle et la contrebande. Depuis 2011, près de 2 000 entreprises, dont 600 étrangères, ont mis la clé sous la porte en Tunisie dans une relative indifférence. La laborieuse transition politique a accaparé toutes les attentions, toutes les énergies.
Des motifs d’espoir
Mais les choses sont en train de changer. Le gouvernement de Youssef Chahed, formé le 20 août, veut renverser la tendance. Il hérite d’une situation très dégradée, mais bénéficie d’une assise politique renforcée – il a reçu, dès le 26 août, le soutien de 169 des 217 élus de l’Assemblée des représentants du peuple et celui de 80 % des partis figurant au Parlement.
Le nouveau Premier ministre travaillera en symbiose avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi – ce qui n’était plus le cas avec son prédécesseur, Habib Essid.
Chahed et ses ministres s’inscrivent dans la durée : leur bail court en théorie tout au long de la législature, jusqu’en 2019.
Un luxe, car la Tunisie a connu six Premiers ministres en cinq ans. Pour l’exécutif, la difficulté va consister à envoyer des signaux à la communauté des bailleurs de fonds et au monde des affaires tout en évitant de braquer les syndicats, l’opinion et les contribuables. Les débats enflammés autour de la loi de finances pour 2017 montrent que le pari n’est pas gagné.
Mesures d’austérité
Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale doivent allouer un programme de soutien de 7,8 milliards de dollars au total dans les quatre ans à venir, sous forme de prêts, mais attendent en retour des garanties de sérieux budgétaire.
Le gouvernement a annoncé son intention de geler les augmentations salariales dans la fonction publique en 2017 et souhaite remettre à 2019 les augmentations déjà négociées, mais l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ne l’entend pas de cette oreille. « Il n’y a pas de raison pour que les salariés soient les seuls à faire les frais de l’austérité, les pauvres n’ont plus rien à donner », martèle le secrétaire général du puissant syndicat, Houcine Abassi.
Les fils du dialogue ne sont pas rompus, mais la tension est palpable. La grogne des citoyens contribuables est un autre paramètre à surveiller.
« Youssef Chahed a promis de s’attaquer à l’évasion fiscale, à la contrebande et aux corrompus. S’il y parvient et réussit à faire tomber des têtes, il se donnera de l’oxygène et pourra faire passer la pilule de l’austérité, pronostique un familier des arcanes du pouvoir. Il doit impérativement changer de braquet. »
Un dispositif favorable à l’investissement
Le gouvernement a mis les bouchées doubles pour rassurer les investisseurs. Le chantier de remise à plat du cadre législatif est bien avancé. La loi sur les partenariats public-privé (PPP), datant de la fin de 2015, est complétée par le nouveau code des investissements, simplifié et modernisé, adopté en septembre 2016.
Une loi d’urgence économique devrait l’être avant la tenue de la conférence, fin novembre. Son but : débloquer une vingtaine de projets phares, embourbés dans des pesanteurs bureaucratiques ou des questions juridiques inextricables, en leur accordant des facilités administratives.
« Pour envoyer un signal fort à ceux qui sont déjà là et à ceux qui souhaitent venir », commente Mourad Fradi, l’un des deux commissaires généraux de la conférence.
« Nous ne nous voilons pas la face, nous sommes conscients des difficultés du moment, mais certaines vérités doivent aussi être mises en avant, poursuit ce spécialiste ès investissements. La résilience de l’économie tunisienne, qui a subi sans jamais s’effondrer une foule de chocs internes et externes depuis cinq ans – la révolution, la guerre en Libye, le terrorisme, les crises politiques à répétition –, en est une. J’en vois une autre, fondamentale : l’attractivité demeure. L’an passé, l’ensemble des investissements directs étrangers a été le fait d’entreprises déjà installées en Tunisie, pour des projets d’extension. Cela signifie qu’elles y trouvent leur compte et croient en notre potentiel. Le pays reste l’un des sites de production les plus compétitifs du bassin méditerranéen. Et ses coûts sont plus bas que ceux de la Chine ! »
Relancer le tourisme
Même si chacun espère qu’elle sera précédée par une ou plusieurs annonces spectaculaires – l’implantation d’un constructeur automobile européen ou d’un géant américain de l’internet et des réseaux… –, Tunisia 2020 doit d’abord permettre de restaurer « l’image de marque » de la destination, qui s’était dégradée ces dernières années.
« À nous de mettre en valeur nos atouts, philosophe Lotfi Ben Sassi, le conseiller spécial du chef du gouvernement. Les nouvelles technologies recèlent de fantastiques gisements d’emplois pour notre main-d’œuvre qualifiée. La Tunisie offre un avantage inégalable aujourd’hui : la liberté numérique. C’est le seul pays de la région Mena [Moyen-Orient et Afrique du Nord] où la censure est devenue inconcevable, donc c’est l’emplacement idéal pour y installer des serveurs et créer un hub numérique. »
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