Maroc : Aziz Akhannouch, l’homme clé de la difficile gestation du gouvernement

Appelé à la rescousse pour diriger le Rassemblement national des indépendants (RNI), l’homme d’affaires, devenu le ministre préféré du Palais, s’impose désormais comme un acteur clé dans les négociations avec Abdelilah Benkirane pour la formation du nouveau gouvernement.

Au lendemain des législatives du 7 octobre, Aziz Akhannouch décide de se lancer corps et âme dans l’arène politique. © DR

Au lendemain des législatives du 7 octobre, Aziz Akhannouch décide de se lancer corps et âme dans l’arène politique. © DR

fahhd iraqi

Publié le 22 novembre 2016 Lecture : 7 minutes.

Tout le monde l’appelle « Si Aziz ». Signe à la fois de proximité et de respect envers un homme aux multiples facettes. Un ministre au grand portefeuille, au propre comme au figuré, capable de convaincre un petit agriculteur ou de concevoir une vision stratégique pour son secteur ; ami du roi, il est l’une des rares personnalités à pouvoir recevoir le souverain à sa table, et parfois même à l’accompagner en vacances ; un magnat du pétrole au Maroc, dix-huitième fortune africaine, avec 1,4 milliard de dollars, selon Forbes Magazine. C’est aussi une personnalité publique qui aura réussi jusque-là à se protéger en se forgeant une armure de technocrate qui fait de la politique comme on ferait de la philanthropie.

Tenir les rênes du RNI

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Mais au lendemain des législatives du 7 octobre dernier, Aziz Akhannouch a choisi de se lancer corps et âme dans l’arène politique, après que Salaheddine Mezouar eut décidé de jeter l’éponge en raison de la contre-performance du RNI. Fait sans précédent : c’est le président sortant du parti qui a lui-même annoncé le nom de son successeur. « Le bureau politique salue l’initiative de Salaheddine Mezouar consistant à prendre contact avec Aziz Akhannouch et lui demander de revenir au parti », avait annoncé le communiqué du parti de la colombe à l’issue de sa réunion du 12 octobre, actant la démission du président.

Bien qu’arrivant en terrain conquis, Akhannouch refuse néanmoins de prendre le relais de Mezouar sans que la formation politique y mette un minimum de formes : un congrès extraordinaire est organisé en un temps record pour le consacrer à la tête du parti. Le bureau politique du RNI se confond en arguments pour justifier les entorses à son règlement interne, notamment l’organisation de deux congrès extraordinaires la même année (le 7 mai, les RNIstes s’étaient réunis pour prolonger justement le mandat de Mezouar), ou encore l’éligibilité d’un non-congressiste au poste de président (Akhannouch ayant annoncé en 2012 via un communiqué de presse sa démission du parti).

« Le RNI n’a jamais été un parti très à cheval sur la démocratie interne. Son fondateur, Ahmed Osman, en est resté trente ans le président sans avoir organisé plus de trois congrès, et son successeur, Mustapha Mansouri, a été renversé par Mezouar dans des conditions loin de respecter les statuts de la formation. Ce n’est donc pas avec le parachutage d’Akhannouch que les RNIstes vont commencer à devenir pointilleux quant à leur organisation », ironise un politologue sous le sceau de l’anonymat.

De g. à dr., Mustapha Mansouri, Aziz Akhannouch et Salaheddine Mezouar lors du dernier congrès extraordinaire du RNI, le 29 octobre, à Bouznika. © DR

De g. à dr., Mustapha Mansouri, Aziz Akhannouch et Salaheddine Mezouar lors du dernier congrès extraordinaire du RNI, le 29 octobre, à Bouznika. © DR

Indifférent à la vie interne du parti

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L’histoire d’Akhannouch avec le RNI remonte à une dizaine d’années seulement. À la formation du gouvernement Abbas El Fassi, en 2007, l’industriel, alors âgé de 46 ans, revêt le bleu du RNI pour prendre en charge le département de l’Agriculture et de la Pêche. Pourtant Si Aziz était considéré comme un proche du Mouvement populaire (MP, qui avait à l’époque fait le choix de l’opposition), avec l’appui duquel le natif de Tafraout était devenu président de la région Souss-Massa-Draa en 2003.

À l’époque, la transhumance était monnaie courante et Akhannouch était perçu plus comme un technocrate, un électron libre qui n’avait pas d’attache particulière avec un quelconque parti. « Même au sein du RNI, il n’assistait presque jamais aux réunions du bureau politique, alors que son statut de ministre lui en donnait le droit », nous confie un vieux routier du parti de la colombe. D’ailleurs, début 2010, quand Salaheddine Mezouar a provoqué un congrès extraordinaire pour pousser Mustapha Mansouri vers la sortie, Akhannouch a préféré rester au-dessus de la mêlée, un peu comme s’il n’était pas concerné par la vie du parti.

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Son indifférence est encore confirmée lors de la formation du gouvernement Abdelilah Benkirane. Quelques jours avant l’annonce de la composition de l’exécutif, en janvier 2012, Akhannouch annonce par communiqué sa démission du RNI, l’abandon de son siège de député d’Agadir, qu’il vient à peine de remporter aux législatives, et rempile naturellement au département de l’Agriculture. « Après quatre ans d’activité au sein du RNI, Akhannouch a présenté sa démission du parti », annonçait un communiqué de presse relayé par l’agence Maghreb arabe presse.

« L’homme de la situation »

Pourtant, cinq ans plus tard, l’homme nuance ses propos. « En 2012, j’ai gelé mon adhésion au parti pour pouvoir poursuivre des chantiers importants », se justifiait-il, lors de sa désignation, le 29 octobre, devant ses partisans, dont nombreux voient en lui « l’homme de la situation ». Un statut que le concerné n’a aucun mal à assumer.

« Si j’ai sauté ce grand pas, c’est d’abord parce que le parti dont je faisais partie passait par une période de crise et a fait appel à moi pour gérer une situation difficile et contribuer à l’inscrire dans de nouvelles perspectives », a-t-il déclaré à JA depuis Dakar, où il accompagnait Mohammed VI en visite officielle. « Ensuite, j’estime que la scène politique au Maroc a pris un virage regrettable vers le populisme et l’inefficacité », a-t-il ajouté, sans pour autant expliquer concrètement sa stratégie pour sortir son parti de la crise ou redorer l’image de la classe politique.

Car Akhannouch, malgré son nouveau statut, reste très discret : le nouveau président du RNI n’a jusque-là pas donné la moindre interview et ses déclarations sont distillées au compte-gouttes. « Il est vrai que Si Aziz est un grand timide, et son agenda ne l’aide pas non plus à être au contact de la presse. Mais il connaît suffisamment les codes des médias pour savoir maîtriser son image », nous confie un ancien responsable de Caractères, l’un des plus importants groupes de presse du royaume (éditeur, entre autres, du très influent hebdomadaire La Vie éco), et propriété d’Akhannouch.

Une pièce maîtresse dans Akwa Group, ce conglomérat dont il a hérité et qu’il a su faire fructifier durant les années 1990 pour l’intégrer dans le top 5 des groupes privés du royaume avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 30 milliards de dirhams (2,7 milliards d’euros).

Rencontre spontanée avec des jeunes, en 2011, à Tiznit. © DR

Rencontre spontanée avec des jeunes, en 2011, à Tiznit. © DR

Héritage

Médias, pouvoir et business forment le triptyque dans lequel Akhannouch a toujours baigné. Ses proches savent que son engagement est d’abord dû à la fascination qu’il avait pour son père, décédé à la fin des années 1980, mais pas seulement. « Aziz Akhannouch est lucide quant au fonctionnement du système et conscient que l’influence politique permet de couvrir les arrières d’un homme d’affaires comme lui », nous confie un capitaine d’industrie casablancais qu’il a longtemps côtoyé.

Ahmed Oulhaj, le père d’Akhannouch, avait en effet été emprisonné par le protectorat pour avoir été l’un des mécènes du mouvement national. Après l’indépendance, sa petite échoppe de vente de carburant au litre (créée à Casablanca en 1932) décroche une licence de distribution des hydrocarbures, une véritable pompe à fric nommée Afriquia SMDC, vaisseau amiral du futur Akwa Group.

Comme son père, donc, qui avait apporté une aide logistique considérable pour l’organisation de la Marche verte, l’héritier ne ménage pas ses efforts pour se faire bien voir dans le premier cercle du pouvoir. Du temps de Hassan II, ses accointances avec le tout-puissant vizir Driss Basri étaient un secret de polichinelle.

Akhannouch lui devrait notamment sa nomination au think tank hassanien, le fameux G14, malgré son modeste diplôme de gestion décroché à l’université canadienne de Sherbrooke qui détonnait en regard du CV des autres membres, tous lauréats des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs.

Accueilli au siège du PJD par Abdelilah Benkirane, le 30 octobre, à Rabat. © DR

Accueilli au siège du PJD par Abdelilah Benkirane, le 30 octobre, à Rabat. © DR

Avec les hommes forts de la nouvelle ère, les rapports d’Aziz Akhannouch sont depuis longtemps bien établis. Sa proximité avec le conseiller royal Fouad Ali El Himma est révélée au grand jour quand il lui organise, en 2003, un dîner avec les responsables de l’extrême gauche. Idem avec Mounir El Majidi, secrétaire particulier du roi, avec lequel il est sur la même longueur d’onde quant à la nouvelle architecture du capitalisme marocain qui repose sur des « champions nationaux », dont Akhannouch fait justement partie depuis l’acquisition du groupe Somepi, en 2005, grâce notamment au financement d’Attijariwafa Bank (filiale du groupe royal SNI).

La force de Si Aziz est d’être bien vu partout

Même auprès de Mohammed VI, Akhannouch semble occuper un rang particulier depuis qu’il a reçu dans sa villa casablancaise, pour un ftour au ramadan 2013, le souverain avec Lalla Salma.

« La force de Si Aziz est d’être bien vu partout, nous explique l’un de ses proches. Que ce soit auprès du sérail, de la classe politique ou de l’opinion. » Même les collaborateurs d’Akhannouch au ministère de l’Agriculture semblent le vénérer. Rien que de très normal quand on sait que le richissime ministre a non seulement renoncé à sa solde, mais qu’il finance le département sur sa cassette personnelle, n’hésitant pas à mobiliser son avion privé pour ses déplacements ou à verser des primes financées par son holding privé.

Le parcours comme le profil d’Aziz Akhannouch interpellent. Certains s’aventurent à voir dans sa dernière initiative une carte jouée par le Palais et non un simple engagement personnel. Lui s’en défend la main sur le cœur : « Cette démarche reste pour moi une suite logique dans un parcours où je me suis toujours engagé pour contribuer au développement du pays.

C’est une nouvelle phase dans laquelle je m’engage avec tous les défis qu’elle comporte », nous a-t-il déclaré. Quoi qu’il en soit, avec son nouveau statut de patron du RNI, Aziz Akhannouch est devenu le principal acteur dans les négociations avec Abdelilah Benkirane pour la formation d’un nouveau gouvernement. Les pourparlers entre les deux hommes, qui font chambre à part au gouvernement depuis un an, semblent d’ailleurs tourner à un bras de fer qui laisse la voie ouverte à tous les scénarios.

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