Laila Lalami, pasionaria anti-Trump

Installée aux États-Unis depuis un quart de siècle, la native de Rabat est devenue outre-Atlantique une romancière à succès. Et une voix qui compte dans le débat public.

« Franchement, est-ce que j’ai une tête de Caucasienne ? » demande, ironiquement, Laila Lalami. © April Rocha

« Franchement, est-ce que j’ai une tête de Caucasienne ? » demande, ironiquement, Laila Lalami. © April Rocha

Publié le 17 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Elle en a fait des cauchemars. Et même des « crises de panique ». Installée depuis 1992 aux États-Unis, l’écrivaine maroco-­américaine Laila Lalami a très mal vécu la campagne puis l’élection de Donald Trump, dont l’improbable succès tient au malaise des classes populaires blanches face au changement de visage de l’Amérique, conséquence d’une immigration (latino surtout) importante.

Née en 1968 à Rabat, Lalami sait de quoi elle parle : la question de l’identité et des migrations est au cœur de son œuvre. Sorti en 2005 aux États-Unis et traduit en français, De l’espoir et autres quêtes dangereuses, son premier roman, racontait la traversée de la Méditerranée depuis la côte marocaine par deux hommes et deux femmes désireux de rallier l’Espagne coûte que coûte. Mais c’est The Moor’s Account (« le témoignage du Maure », non traduit en français à ce jour), finaliste du prix Pulitzer en 2015, qui l’a fait accéder à la notoriété.

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La question de l’identité pour trame de fond

Le livre raconte l’expédition du conquistador espagnol Pánfilo de Narváez, qui, en 1527, débarqua sur la côte de ce qui est aujourd’hui la Floride et revendiqua cette terre au nom de la couronne d’Espagne. L’affaire tournera mal… L’originalité de ce récit est qu’il est conté du point de vue d’Estebanico, un esclave marocain à la peau noire que l’auteure présente comme le premier explorateur noir des Amériques. C’est une sorte de contrepoint au récit officiel fait par l’un des rares survivants, Álvar Núñez Cabeza de Vaca, le témoignage de l’esclave Estebanico ayant été pour sa part oublié, effacé, nié… « L’histoire est écrite par les vainqueurs », commente Lalami, citant Winston Churchill.

Cette question de l’identité, la romancière y sera confrontée dès la rédaction de sa thèse de linguistique à la University of Southern California (sujet : « La fréquence lexicale dans la compréhension de la phrase. ») Lorsque vous remplissez un formulaire administratif aux États-Unis, on vous demande systématiquement de préciser votre « race ». « J’étais perplexe, raconte Lalami, parce qu’au Maroc comme en France l’identité est nationale et non raciale.

J’ai donc voulu cocher “africain-américain”, mais il était stipulé qu’il fallait pour cela avoir un ancêtre né en Afrique subsaharienne. Je me suis donc résolue à cocher la case “caucasien” (blanc), mais, franchement, est-ce que j’ai une tête de Caucasienne ? ».

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Mariée à un Américain d’origine cubaine et mère d’une adolescente – la famille est établie à Santa Monica, près de Los Angeles –, Lalami, qui enseigne le creative writing à Riverside, l’université de Californie, se définit donc désormais comme femme, américaine, marocaine et musulmane. Dans l’ordre ou le désordre. Et, sur les fameux formulaires, elle coche désormais la case « other ».

Langue étrangère

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Quant à la langue, elle a très tôt décidé d’écrire en anglais. Pas évident lorsqu’on a grandi dans une famille marocaine modeste où on lisait surtout des livres en français : « Mon père adorait les romans d’espionnage, ma mère préférait les Mémoires. »

La jeune Laila raffolait pour sa part de la comtesse de Ségur. « Il y a entre le Maroc et la langue française une relation qui me met mal à l’aise, explique-t-elle aujourd’hui. Une relation de pouvoir qui vient de l’histoire coloniale et qu’un Driss Chraïbi par exemple a occultée dans Le Passé simple, paru deux ans avant l’indépendance. Du coup, écrire en anglais a été pour moi libérateur. » Son prochain roman ? « Il sera contemporain et se passera aux États-Unis. »

Lors de la primaire démocrate, elle a voté Sanders, puis Clinton – une « évidence », dit-elle. Depuis qu’elle tient dans le très progressiste magazine The Nation une chronique mensuelle, elle est devenue une voix qui compte dans le débat public. Sa spécialité ? La dénonciation de l’islamophobie. Cette dernière a toujours été latente aux États-Unis, mais la situation empire. Les musulmans américains sont des « citoyens conditionnels », explique-t-elle.

« Nous devons constamment prouver notre allégeance en nous montrant reconnaissants envers l’Amérique, en nous abstenant de toute critique à l’égard de la politique étrangère du gouvernement et en condamnant tout musulman qui pourrait être amené à commettre un acte de violence. » Bref, « Donald Trump n’est pas arrivé par hasard ». Elle-même reconnaît volontiers ne pas être une « très bonne musulmane » – il lui arrive de boire de l’alcool –, mais elle se souvient avoir été très choquée par la polémique suscitée en 2011 par le projet de construction d’une mosquée près de Ground Zero, le site new-yorkais des attentats du 11 septembre 2001.

Avec son idée d’interdire aux musulmans l’accès au territoire des États-Unis, Trump a normalisé l’islamo­phobie. Lalami se souvient que, dans les années 1990, les Américains utilisaient plus volontiers le terme « arabe » que le terme « musulman ». Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : « comme en France », dit-elle. Conséquence : « Mes amis de culture musulmane, qu’ils soient ou non pratiquants – certains sont même athées –, se définissent désormais comme musulmans. »

Cette crispation identitaire explique peut-être aussi l’essor des islamistes marocains du PJD, auquel elle ne voit guère d’alternative. De toute façon, elle n’a pas voté aux dernières élections, faute d’avoir fait renouveler sa carte d’identité marocaine. Maudits papiers d’identité !

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