Arts du spectacles : la belle leçon de plurilinguisme de « Lenga »

Dans un spectacle inspiré, « Lenga », des artistes sud-africain, malgache et français réfléchissent à l’extinction des langues et à la « résistance » africaine au phénomène.

Lenga, où comment montrer que chaque idiome se danse, se chante, se vit. © Nathalie Sternalski

Lenga, où comment montrer que chaque idiome se danse, se chante, se vit. © Nathalie Sternalski

leo_pajon

Publié le 18 novembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Image d’illustration. © AP/SIPA
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Littérature : cette langue que nous habitons

La question linguistique dépasse le cadre de la réflexion littéraire, c’est une question au cœur de la complexité de la chose sociale.

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La voix est rauque et douce. Les mots dévalent en torrent avec cet accent rocailleux, tonique qui fait rouler les « r » et tonner les syllabes. C’est l’accent occitan, une langue du sud de la France fragilisée, que Christophe Rulhes, a voulu donner à écouter sur scène dans son nouveau spectacle, Lenga (« langue », en occitan). Petit garçon, alors qu’il n’avait que 8 ans, celui qui est aujourd’hui anthropologue et homme de théâtre a eu la bonne idée d’enregistrer la voix de son grand-père paysan. C’est elle que l’on entend sur le plateau du théâtre de Vidy, à Lausanne, en Suisse. Dans l’extrait diffusé, le papy raconte comment la maîtresse d’école le punissait, étant enfant, pour qu’il arrête de parler catalan et se mette enfin à utiliser le français, obligeant la forte tête à répéter devant ses camarades : « Âne j’étais quand je suis né, âne je serai quand je crèverai ! »

Sauvegarde des langues régionales en Afrique

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Le rapport à l’Afrique ? « Il est évident, précise Christophe Rulhes. La France, comme la plupart des États-nations européens, a tenté de détruire les langues régionales. Alors que sur d’autres continents, et notamment en Afrique, il existe encore une incroyable diversité linguistique. C’est le cas en Afrique du Sud, où l’on parle en plus de l’anglais le zoulou, le xhosa qui compte 8 millions de locuteurs, l’afrikaans, le ndébélé parmi beaucoup d’autres langues.

C’est également le cas à Madagascar, où, à côté du français, minoritaire, existent la langue du peuple merina, aujourd’hui langue officielle, celle des Betsileos… » De là l’invitation lancée au Sud-Africain Lizo James, et au Malgache Maheriniaina Pierre Ranaivoson, tous deux danseurs et acrobates, pour venir évoquer leur rapport à la langue.

Il y a une urgence à enrayer l’effacement des mots anciens

Sur scène, toutes les disciplines sont convoquées pour montrer à quel point le verbe est chevillé à l’âme et au corps. Lizo James et Maheriniaina Pierre Ranaivoson dansent leur langue, s’appuyant sur des styles traditionnels comme le gumboot (danse percussive où l’interprète se frappe les jambes), le stick fighting (discipline entre la danse et les arts martiaux se pratiquant avec des bâtons) ou les danses des cérémonies funéraires malgaches. Christophe Rulhes empoigne guitare, saxophone, cornemuse… et chante dans un dialecte improvisé, imaginaire. Son comparse français Julien Cassier, danseur, se fait son porte-parole entre deux chorégraphies.

Carnage

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Tous s’adressent directement au public dans leur langue (sous-titrée). Parfois, en fond de scène, sont projetés des entretiens vidéo avec les grands-mères de Lizo et Pierre, filmées dans leur pays. Ce que tous donnent à entendre, au-delà des expériences personnelles, c’est une urgence à enrayer l’effacement des mots anciens. Ces mots qui contiennent en eux la voix des ancêtres, les musiques, les poèmes d’antan, un certain rapport au monde et à la nature. Ces mots qui tout simplement nous définissent en tant qu’humains.

Or la guerre des langues fait déjà de nombreuses victimes. À en croire la pièce, « les colons, les touristes, les professeurs, les explorateurs, même les natifs »… ont participé ou participent au carnage. « On estime aujourd’hui qu’il existe entre 5 000 et 7 000 langues toujours vivantes à travers le monde… et que jusqu’à 50 % d’entre elles vont disparaître dans le siècle à venir », précise Christophe Rulhes.

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Il cite le linguiste australien Nicholas Evans, qui compare cette extinction massive à celle des espèces animales. « Évidemment, des langues s’inventent, comme les tsotsitaals, ces parlers de rue créées dans les townships sud-africains dans les années 1940, mais ce n’est rien en comparaison de l’érosion de toutes les langues régionales en concurrence avec des modes de communication internationaux, notamment de l’anglais. »

La solution ? Continuer à prononcer les anciens mots, à faire parler la diversité. Lenga, en donnant à entendre des langues plurielles, y contribue déjà à sa façon.

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