La linguistique au cœur de la fabrique sociale

Écrire en français, réintégrer les langues africaines dans les cursus scolaires, préserver la riche diversité du continent : la question linguistique dépasse le simple cadre de la littérature. Elle est au cœur même de la fabrique sociale.

Photo d’illustration. © Natacha Pisarenko/AP/SIPA

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Publié le 17 novembre 2016 Lecture : 2 minutes.

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Littérature : cette langue que nous habitons

La question linguistique dépasse le cadre de la réflexion littéraire, c’est une question au cœur de la complexité de la chose sociale.

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L’écrivain algérien Kateb Yacine, auteur célébré de Nedjma, fut le premier à populariser l’expression à la fin des années 1960 : la langue française n’était autre qu’un « butin de guerre » arraché au colonisateur. Et écrire en français ne faisait pas de vous un agent de la France… La formule fit florès, et fut abondamment reprise par de nombreux écrivains s’exprimant dans une langue autre que celle de leur mère.

Dans les milieux littéraires, les débats ne s’éteignirent pas pour autant, et de rares romanciers osèrent s’aventurer sur des chemins périlleux pour leur carrière internationale. Ce fut en particulier le cas de l’écrivain kényan Ngugi Wa Thiong’o, 78 ans aujourd’hui, auteur en 1977 du très remarqué Pétales de sang. Cette année marqua un tournant pour lui puisque sa pièce Ngaahika Ndeenda (« je me marierai quand je voudrai »), jouée en kikuyu et saluée par un fort succès populaire, déplut tellement au pouvoir en place qu’il se retrouva en prison. Interné sans procès, il continua d’écrire, dans les marges de sa bible et sur du papier toilette, et adopta une position radicale : il n’écrirait plus que dans sa langue maternelle. Une position théorisée plus tard dans Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature par l’auteur, qui se qualifie lui-même d’« afro-saxon ». Depuis, Ngugi Wa Thiong’o écrit d’abord dans sa langue avant de traduire lui-même ses œuvres en anglais – et soutient que l’usage des langues africaines doit permettre la « résurrection de la mémoire africaine ».

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En Afrique de l’Ouest, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a adopté une position similaire et créé récemment le label en wolof Céytu (Éditions Zulma & Mémoire d’encrier) avec pour objectif de traduire dans cette langue de grands auteurs comme Mariama Bâ, J.M.G. Le Clézio ou Aimé Césaire. Pour autant, le débat n’est plus cantonné aux hautes sphères de la littérature. Nombre d’études tendent en effet à montrer que l’apprentissage dans les langues maternelles serait plus efficace à long terme que l’enseignement dans une langue étrangère tel qu’il est pratiqué dans la plupart des anciennes colonies. Des choix politiques doivent être faits, mais comment défendre la richesse que représente le patrimoine linguistique du continent sans renoncer au « butin de guerre » bien utile à notre époque mondialisée ? Il ne s’agirait ni plus ni moins que de refondre entièrement certains systèmes éducatifs…

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