Comment protéger l’environnement en Afrique ? Des figures de l’écologie nous répondent
Pour ces six figures de l’écologie, la dégradation de l’environnement n’est pas une fatalité. À condition de prendre des mesures significatives, propres à enrayer le processus, du littoral ouest-africain aux forêts congolaises.
Youba Sokona, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : « Accélérer le déploiement des énergies propres »
«Lorsque je préparais le sommet de la terre de Rio, en 1992, plusieurs ministres africains me disaient que les questions liées au changement climatique n’étaient pas leur priorité. Aujourd’hui, les responsables ont pris toute la mesure de ce problème majeur. Il est toujours difficile de parler d’avenir à un responsable politique qui est confronté à des enjeux immédiats délicats à gérer. Et même si une politique climatique ambitieuse est engagée, cela ne suffit pas pour la concrétiser. Une des questions cruciales aujourd’hui est celle des énergies renouvelables. L’Afrique n’a pas encore défini de modèle énergétique pour son développement. C’est un avantage, car nous pouvons investir dans des choses totalement nouvelles et bénéficier des technologies les plus performantes et les moins polluantes. Il faut accélérer la mise en œuvre de l’Initiative de l’Afrique sur les énergies renouvelables et profiter de l’engouement important qu’elle a suscité à la COP21. »
Haïdar El Ali , ancien ministre sénégalais de l’Écologie et de la Pêche, directeur de l’Océanium de Dakar : « Les populations doivent s’impliquer »
«Au Sénégal, les populations comme le gouvernement souhaitent continuer à développer les aires marines protégées. Mais cela ne suffit pas. En Afrique de l’Ouest, des bateaux de pêche chinois, russes ou européens se livrent à un pillage systématique des ressources halieutiques. Les reproducteurs lents, comme les requins ou les mérous noirs, sont menacés de disparition. La beauté féerique de l’océan est souillée par la pollution, la mer est devenue une poubelle. J’ai plongé plus de 10 000 fois en trente ans le long des côtes sénégalaises. Il y a des déchets innombrables qui dégradent les sous-sols marins. Il faut continuer à mettre en place des aires protégées, mais avec une approche plus participative. Nous devons impliquer les populations locales dans la préservation de leurs écosystèmes, dans l’exploitation de leurs propres ressources et dans la surveillance de leur environnement. Il faut également que nos gouvernements revoient les lois en vigueur pour les rendre beaucoup plus sévères et contraignantes à l’égard des pilleurs et des pollueurs. »
Ali Tapsoba, président de l’association Terre à vie : « Produisons ce que nous consommons »
«J’ai découvert les principes de base de l’agroécologie quand j’étais enfant, dans mon village, près de Ouagadougou. Depuis plusieurs générations, les gens y réutilisent les bouses de vache, le crottin de mouton et les restes de la cuisine, les disséminant dans les champs avant la saison des pluies. Et, lorsqu’un villageois a une bonne semence naturelle, il la partage avec les autres. L’agroécologie permet de respecter la nature et la biodiversité. Elle est aussi une des clés qui permet d’accéder à la souveraineté alimentaire, concept que nous défendons face à celui de sécurité alimentaire et qui laisse le droit à chaque communauté de produire la nourriture dont elle a besoin en fonction de ses réalités sociales, culturelles et environnementales. Comme disait Thomas Sankara, « il faut produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons ». Notre stratégie contre les OGM au Burkina l’a montré : la mobilisation collective paie. Les gouvernements doivent favoriser l’agroécologie plutôt que l’agrochimie. Il faudrait qu’à la COP22 une résolution invite tous les pays à inscrire son adoption dans leurs constitutions. »
René Ngongo, président de la commission environnement et ressources naturelles du Conseil économique et social de la RD Congo : « Accompagner, protéger et reboiser »
«Depuis plusieurs années, nous avons mis en place le programme REDD+ pour réduire les émissions des gaz à effet de serre liées à la déforestation et à la dégradation de nos forêts. Nous menons des projets pour accompagner les communautés locales dans le domaine du reboisement et pour une agriculture durable associée à l’arbre [agroforesterie]. Par exemple, nous leur expliquons comment fertiliser les sols avec des légumineuses plantées dans les allées [alley-croping]. Grâce à cet engrais vert naturel, ils n’ont plus à avoir recours à l’agriculture sur brûlis dans la forêt, qui est un des moteurs de la déforestation dans le Bassin du Congo. Dans un avenir proche, nous souhaitons implanter des minicentrales hydrauliques et solaires, utilisant ainsi deux ressources dont le pays regorge, afin de remplacer le bois-énergie par une énergie propre. Nous avons longtemps été incompris dans notre combat pour protéger la forêt. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Mais il faut désormais que les promesses de financement faites lors de la COP21 de Paris pour l’adaptation au changement climatique soient confirmées à Marrakech. Car les communautés locales ont besoin de ces aides pour faire face à ce défi. »
Il faut réduire la consommation mondiale de pétrole afin de diminuer son exploitation
Nnimmo Bassey, fondateur de l’ONG Environmental Rights Action : « Réduisons la consommation de pétrole »
«L’extraction du pétrole dégrade l’environnement à tous les niveaux : les fuites polluent le sol et le sous-sol jusqu’à cinq mètres de profondeur, les rivières sont contaminées, l’air ambiant est saturé par les émanations de gaz. Le Nigeria, avec le delta du Niger notamment, n’est pas le seul pays touché. Au Ghana, il y a eu trois déversements de brut avant même les premières exportations ! Le problème ne peut pas être réglé qu’au niveau national. Il faut réduire la consommation mondiale de pétrole afin de diminuer son exploitation. Tout le monde serait gagnant : le climat, dégradé par la combustion des hydrocarbures, et l’environnement, pollué par sa production. Il faut également que nos États comprennent que notre dépendance aux pétrodollars affecte l’ensemble de l’économie en empêchant d’autres secteurs de se développer. Il y a quand même quelques lueurs d’espoir. Les communautés sont de plus en plus sensibles et surveillent les pétroliers. Shell, NNPC, Total et Agip ont d’ailleurs cédé face à la mobilisation internationale et accepté de nettoyer l’Ogoniland, dans le delta du Niger [l’opération durera plus de vingt ans et coûtera 1 milliard de dollars]. Le principe de pollueur-payeur doit devenir la norme. »
Ndranto Razakamanarina, président de l’Alliance Voahary Gasy : « Jugeons les criminels environnementaux »
«Nous vivons une situation extrêmement grave. Le pillage des ressources naturelles à Madagascar, qui a pris une ampleur considérable avec la crise politique en 2009, n’a pas cessé en dépit des promesses du président élu en 2014. Des milliers de conteneurs remplis de bois de rose ont été envoyés en Asie ces dernières années. Pour mettre un terme à ce trafic, la première chose à faire, c’est de lutter contre la corruption généralisée, car rien ne serait possible sans la complicité des autorités : des juges, des gendarmes, des militaires et même certains élus profitent de ce trafic. On arrête les activistes qui dénoncent les acteurs de ce commerce illégal, mais les trafiquants, eux, sont en liberté alors qu’ils sont connus de tous. C’est une question de volonté politique. Il faut aussi tarir la demande, qui vient d’Asie. Pour cela, il faut développer la notion de crimes environnementaux, et même le concept de crime d’écocide. Il faudrait une cour internationale pour les juger. »
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