Haut débit : les satellites revoient leurs positions

Entre l’arrivée de nouveaux concurrents et le déploiement des câbles sous-marins et de la fibre optique, la compétition fait rage. Contraints de se réinventer, les leaders mondiaux organisent leur contre-attaque.

Infrastructures de télécommunications de la ville de Kribi. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar

Infrastructures de télécommunications de la ville de Kribi. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar

Julien_Clemencot

Publié le 23 novembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Infrastructures de télécommunications de la ville de Kribi. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar
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Télécoms et internet

Entre l’arrivée de nouveaux concurrents et le déploiement des câbles sous-marins et de la fibre optique, la compétition fait rage. Contraints de se réinventer, les leaders mondiaux organisent leur contre-attaque.

Sommaire

L’explosion, le 1er septembre, sur la base de lancement de Cap Canaveral (Floride), de la fusée Falcon 9 de SpaceX, qui devait mettre en orbite le satellite Amos-6, n’aura pas soulagé longtemps les concurrents d’Eutelsat. Le 27 octobre, le groupe français annonçait un accord avec l’émirati Yahsat pour la location de ressources sur deux satellites afin de permettre à sa filiale Konnect Africa de fournir des services haut débit en Afrique subsaharienne dès 2017.

Si les opérateurs satellitaires ne voient plus d’un mauvais œil les échecs de leurs pairs, c’est parce que la compétition se fait de plus en plus forte sur le continent. « L’an dernier, en me rendant en Angola, je me suis retrouvé dans le même avion que deux de mes concurrents. Le lendemain, nous étions tous les trois dans la même salle d’attente, illustre un ex-directeur commercial, sorti du circuit il y a quelques semaines. Les clients sérieux, capables de prendre de la capacité et de payer, ne sont pas si nombreux. »

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Câbles sous marins

Le secteur répond à quatre principaux types de besoins : ceux des gouvernements, auxquels sont vendues des liaisons pour des usages militaires et sécuritaires ; des télévisions, dont la demande explose avec l’arrivée des chaînes en haute définition, l’essor des bouquets payants et le déploiement de la TNT ; des opérateurs de télécoms, qui utilisent des ressources spatiales pour compléter leurs réseaux terrestres ou assurer leurs redondances ; et enfin de tous les groupes, qu’ils soient miniers, pétroliers ou bancaires, qui ont besoin de connecter des sites isolés ou de créer des réseaux sécurisés.

Du jour au lendemain, avec l’arrivée du câble sous-marin, le Congo a arrêté son contrat.

Avec la prolifération des câbles sous-marins et des boucles terrestres en fibre optique, l’industrie du satellite est contrainte de repenser son modèle. « En investissant des milliards de dollars au sol, les opérateurs de téléphonie mobile ont mis la pression sur le secteur tout entier », confirme notre ex-directeur commercial. « Du jour au lendemain, avec l’arrivée du câble sous-marin [en 2012], le Congo a arrêté son contrat [de liaison par satellite] », illustre le directeur commercial d’un opérateur satellitaire.

Et les pays enclavés ne font pas exception. Maroc Télécom et Orange ont ainsi construit de grands réseaux permettant de connecter le Mali ou le Burkina Faso. En Afrique de l’Est, Liquid Telecom a installé plus de 18 000 km de fibre optique en cinq ans. MTN, Etisalat, Millicom, Vodafone, Airtel… Tous continuent de mailler de plus en plus finement les zones les plus denses.

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Reconfiguration

En parallèle, les acteurs historiques comme Eutelsat, Intelsat ou SES ont dû faire face à l’arrivée de concurrents. « Après la crise de 2008, il y a eu un afflux de capitaux qui a aidé à faire émerger de nouveaux acteurs nationaux [l’émirati Yahsat] et internationaux [le hongkongais ABS], tandis que les coûts de production des satellites ont chuté, explique l’ex-directeur commercial. La propulsion électrique, par exemple, a permis, en allégeant les engins, de réduire de manière significative le coût des lancements. » Résultat, on compte aujourd’hui plus de vingt-cinq opérateurs satellitaires, contre dix au milieu des années 2000.

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Cette surcapacité accélère la dégringolade du prix de la bande passante. Une connexion de 1 mégabit par seconde, vendue 2 000 dollars (environ 1 460 euros) il y a cinq ans, coûte aujourd’hui moins de 500 dollars. « La chute du cours des opérateurs est la parfaite illustration de la reconfiguration du secteur », estime un observateur. Le malaise est profond. Il y a quelques années, les leaders du marché auraient sûrement tenté de racheter leurs concurrents plus petits. Aujourd’hui, cela ne suffirait plus. Ils doivent se réinventer.

En 2019, Eutelsat devrait disposer de son premier satellite couvrant l’Afrique.

Au siège parisien d’Eutelsat, on pense battre les challengers à leur propre jeu en misant sur la bande Ka, en plus de la vingtaine d’engins, équipés en bande C, qui couvrent déjà l’Afrique. Depuis le lancement, en 2010, du satellite Ka-Sat pour couvrir l’Europe, le groupe est un pionnier dans ce domaine.

Plus puissants, les nouveaux satellites HTS (High Throughput Satellites) sont désormais capables d’utiliser ces fréquences, qui offrent de très hauts débits mais étaient jusqu’ici délaissées en raison de leur forte sensibilité aux conditions atmosphériques. « La technologie ne cesse de s’améliorer. Il y a dix ans, les satellites avaient une capacité de 10 gigabits par seconde ; en 2010, ils atteignaient environ 80 gigabits et en 2021 ils pourraient franchir la barrière du térabit [1 000 gigabits]. C’est un peu comme quand les téléphones mobiles sont passés de la 2G à la 3G, puis à la 4G », explique François Boullete.

En 2019, Eutelsat devrait disposer de son premier satellite couvrant l’Afrique. Dès l’an prochain, en partenariat avec Yahsat, l’objectif est de développer le portefeuille de clients, via des revendeurs, parmi les PME ainsi que chez les particuliers de la classe moyenne et dans les zones rurales, grâce à l’installation de bornes wifi. « Auparavant, les connexions satellitaires, trop coûteuses, restaient réservées aux grandes entreprises, mais ce n’est plus le cas », juge François Boullete. « Le risque, c’est que la bande Ka, moins chère, cannibalise l’offre classique », estime un concurrent.

Chez l’américain Intelsat, dont la moitié de la flotte (soit 25 satellites) couvre l’Afrique, on mise plutôt sur les bandes de fréquences traditionnelles Ku et C. Le progrès technologique a là aussi permis d’augmenter la capacité des satellites tout en conservant des signaux plus robustes, adaptés aux exigences des opérateurs télécoms.

« Parce que nos nouveaux satellites Epic sont plus puissants, ils permettent à nos clients [dont Orange] de faire des économies au sol grâce à l’utilisation d’équipements, comme les modems, moins gourmands en énergie. C’est important pour les opérateurs car l’alimentation en énergie représente jusqu’à 40 % de la dépense opérationnelle d’une tour de télécoms », explique Jean-Philippe Gillet, vice-président chargé des ventes en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Le premier exemplaire de cette nouvelle génération de satellites a été lancé en août et devrait atteindre sa position définitive en janvier, en attendant un second lancement en 2017.

Intelsat fait par ailleurs le pari de l’innovation en investissant 25 millions de dollars dans le projet de constellation en orbite basse OneWeb. Ce programme, qui regroupe notamment Airbus, Bharti, Hughes Network Systems, Qualcomm et Coca-Cola, a nécessité une mise de départ de 500 millions de dollars. En 2020, sa flotte de 640 satellites devrait offrir un accès très haut débit en bande Ku.

Une première phase comprenant dix engins sera réalisée en 2018. Intelsat a négocié une exclusivité pour fournir des services à certains secteurs, notamment l’industrie pétrolière et l’aérien. Mais de nombreux défis techniques demeurent, comme la capacité des constructeurs et des lanceurs à tenir la cadence, la question du devenir des satellites en fin de vie ou le risque d’interférence au sol avec les autres systèmes satellitaires.

Le luxembourgeois SES investit quant à lui dans une flotte de satellites offrant un accès haut débit en bande Ka, mais en orbite circulaire intermédiaire. Le groupe contrôle depuis peu l’intégralité du capital de l’américain O3b, qu’il a acquis pour 730 millions de dollars. Douze satellites sont déjà positionnés, et huit nouveaux sont prévus en 2018-2019. À cette orbite, les temps de transmission de données sont là aussi réduits, avec des débits allant jusqu’à 1 gigabit par seconde.

Un mix technologique où vont cohabiter fibre optique, technologies radio, sans-fil et liaisons spatiales

Mais, pour certains observateurs, le projet imaginé en 2007 par Greg Wyler – parti depuis développer OneWeb – pour connecter les zones privées d’internet a perdu de son intérêt avec l’extension très rapide des câbles sous-marins et des réseaux terrestres en fibre.

« En plus des opérateurs de télécoms, qu’O3b compte déjà parmi ses clients, les cibles porteuses de croissance sont entre autres les activités de mobilité, comme les croisières et le cargo maritime », précise Laurent Petit, responsable Afrique de SES. En parallèle, l’opérateur continue d’offrir des services sur continent grâce à huit satellites géostationnaires classiques.

En dépit de divergences sur leurs stratégies, les leaders mondiaux des télécommunications par satellite restent persuadés de la pertinence de leurs services. « En Afrique comme ailleurs, la généralisation de l’accès à internet passe par un mix technologique où vont cohabiter fibre optique, technologies radio, sans-fil et liaisons spatiales », estime Jean-Philippe Gillet.

D’autant que seulement 70 % des territoires sont actuellement couverts et que la pénétration des smartphones est encore faible (environ 20 %). Mais ils savent aussi que les niveaux de rentabilité de leurs groupes devraient encore baisser, en même temps que le prix de la bande passante. Tous attendent beaucoup du développement de champs d’application comme la mobilité, avec l’ambition de connecter des milliers de bateaux et d’avions de ligne, avant de s’attaquer au marché automobile.

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