Portrait : « Madame Innovation » de Safaricom

Veronica Ogeto ne craint pas les défis. Le dernier en date : redynamiser le leader kényan en misant sur les start-up locales.

Avant de rentrer à Nairobi, cette diplômée en informatique a travaillé aux Pays-Bas et à Bahreïn. © safaricom

Avant de rentrer à Nairobi, cette diplômée en informatique a travaillé aux Pays-Bas et à Bahreïn. © safaricom

Publié le 23 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Infrastructures de télécommunications de la ville de Kribi. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar
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Télécoms et internet

Entre l’arrivée de nouveaux concurrents et le déploiement des câbles sous-marins et de la fibre optique, la compétition fait rage. Contraints de se réinventer, les leaders mondiaux organisent leur contre-attaque.

Sommaire

Beaucoup angoissent à l’idée de voir leur société changer de mains. Veronica Ogeto n’est pas de ceux-là. La directrice de l’innovation de l’opérateur kényan Safaricom a toujours envisagé l’arrivée d’un nouvel actionnaire comme une opportunité. Une positive attitude qui l’a aidée à progresser dans le secteur des télécoms.

En 2001, elle démarre sa carrière chez l’opérateur Kencell, rapidement racheté par le groupe panafricain Celtel, lui-même avalé en 2005 par le koweïtien MTC (devenu Zain en 2008)… avant que ce dernier ne cède la majorité de ses filiales africaines à l’indien Bharti Airtel au bout de cinq ans. Chaque fois, la native de Nairobi, diplômée en informatique mais rapidement convertie au marketing, a su saisir sa chance.

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Découvertes

« À l’arrivée de Celtel, j’ai eu la possibilité d’aller travailler aux Pays-Bas. C’était fantastique », embraie d’emblée cette femme souriante qui nous reçoit au siège de Safaricom, sur la bruyante Waiyaki Way, la grande voie rapide qui traverse la capitale. L’occasion de découvrir de nouvelles cultures, en Europe du Nord, mais aussi en Afrique : « J’étais responsable du marketing pour seize pays, anglophones et francophones. C’est un travail passionnant car d’un pays à l’autre un produit ne rencontre pas le même succès. J’ai rapidement compris que la clé de notre industrie, c’est le consommateur. »

Avec Zain, Veronica Ogeto découvre le Bahreïn et ajoute à son portefeuille africain les marchés arabes. « L’expérience a été très différente, se souvient-elle. Les consommateurs arabes ont un pouvoir d’achat qui leur donne tout de suite accès aux smartphones, à la différence de la majorité des Africains. Cela m’a appris à faire le grand écart. »

En 2010, lorsque Airtel, dont le siège africain est à Nairobi, lui propose de rentrer au Kenya, Veronica Ogeto n’hésite pas : « Je voulais avoir un impact dans mon pays. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à rechercher un projet plus local. » Elle veut « transformer les vies ». L’idée de rejoindre Safaricom, leader incontesté du marché local devant Airtel et Telkom Kenya, s’impose alors. D’autant que le groupe favorise l’accession des femmes à des postes de direction, dans un secteur resté très masculin, assure cette mère de deux enfants.

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« Cela tient à la fois à la personnalité du directeur général, Bob Collymore, et à la politique de la maison mère, Vodafone. Hommes et femmes voient les choses sous un angle différent, et, quand on combine les deux points de vue, les bénéfices sont visibles. Ce processus est très naturel ici », salue-t-elle, avant de signaler que les locaux abritent une crèche et une salle mise à la disposition des mères de famille.

Priorité à l’innovation

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Ouvert, moderne, le groupe attend en contrepartie un surcroît de créativité de la part de ses 4 500 salariés. La directrice incite ses équipes, issues de cette classe moyenne qui constitue le cœur de sa cible, à « penser innovation », insiste-t-elle. Sur les murs de l’open space, digne d’une start-up californienne, des injonctions – conceive, invent, pioneer – à penser hors des cadres établis. De nouvelles idées qui naîtront peut-être dans les grands canapés ou devant les consoles de jeux de la salle de repos…

Pour Safaricom, cette priorité donnée à l’innovation est d’autant plus importante que l’opérateur s’est un peu endormi sur ses lauriers après le succès considérable de M-Pesa, son application de transfert d’argent par téléphonie mobile. Popularisée lors de la crise postélectorale de 2007-2008, cette « appli » a fait du Kenya le leader mondial des transactions sur mobile (plus de 20 millions d’utilisateurs). « M-Pesa nous a beaucoup appris, mais nous nous sommes un peu laissé aller », admet-elle.

Paradoxalement, l’implication du leader du marché dans la bouillonnante économie mobile kényane est très récente. Son département innovation n’est créé qu’en 2013, à l’arrivée de Veronica Ogeto. Safaricom lance l’année suivante le Spark Venture Fund, pour soutenir les start-up kényanes.

La cible : des sociétés de moins de deux ans utilisant si possible les services M-Pesa et présentant un potentiel commercial important. En deux ans, le fonds a investi le million de dollars (plus de 900 000 euros) dont il était doté dans quatre jeunes entreprises, actives dans la livraison à moto (Sendy), l’éducation (Eneza), les sondages en temps réel (mSurvey) et la recherche d’emplois de courte durée (Link).

Nous ne donnons pas uniquement de l’argent, nous offrons l’accès à nos savoirs, à nos capacités techniques, à nos équipes et à des programmes d’accompagnement.

Au iHub, temple de l’innovation locale où sont hébergés une quarantaine de start-up et un Fablab, certains se méfient de l’intérêt que leur porte le mastodonte. « Ce n’est pas si facile de travailler avec eux, il faut être attentif aux copyrights. Ils ont tendance à vouloir dominer le marché. Leur modèle, c’est de dénicher les meilleures idées pour les avaler », confie un habitué des lieux.

Longtemps, Safaricom est resté réticent à ouvrir ses API (interfaces de programmation), des codes qui permettent à un entrepreneur d’intégrer à son produit un paiement via M-Pesa ou d’autres services comme les microprêts (M-Shwari). Le tournant est en train de s’opérer. Depuis huit mois, l’opérateur commence à ouvrir son système, pas à pas. « C’est tout nouveau pour nous, reconnaît Veronica Ogeto. Cela répond à la question suivante : comment Safaricom peut-il rendre son expertise accessible aux partenaires de l’innovation ? »

Outre les API, l’un de ses « grands projets », Veronica Ogeto espère monter un second fonds d’investissement. « J’ai plus de 200 candidats dans les tuyaux », sourit-elle, optimiste. Et de plaider : « Nous ne donnons pas uniquement de l’argent, nous offrons l’accès à nos savoirs, à nos capacités techniques, à nos équipes et à des programmes d’accompagnement. » Safaricom a également créé une académie, hébergée sur le campus de la Strathmore University, l’une des plus prestigieuses du Kenya. Mais sur ce terrain il n’est pas seul. De nombreux groupes liés aux nouvelles technologies ont monté des structures similaires, comme Oracle ou IBM, désireux eux aussi de capter leur part de l’innovation kényane.

M-Akiba : les bons du Trésor sur mobile

Après M-Pesa (système de paiement mobile) et M-Shwari (microcrédit), place à M-Akiba (« épargne », en swahili). Une nouvelle étape dans la révolution bancaire dont le Kenya a fait sa spécialité. Cette application permettra d’acquérir, uniquement sur téléphone portable, des bons du Trésor pour un minimum de 3 000 shillings (environ 26 euros), contre 50 000 shillings dans le système classique.

Soit un montant beaucoup plus accessible aux petits épargnants. Le gouvernement, qui avait annoncé un lancement en octobre, espère récolter quelque 5 milliards de shillings grâce à cette solution mise en place avec Safaricom et la Banque centrale. Une source de financement non négligeable pour les autorités, confrontées à d’importantes dépenses avec le programme Vision 2030, dans un contexte de faible rémunération des emprunts obligataires. Le taux d’intérêt de M-Akiba sera d’ailleurs une clé de son succès. Il n’a pas encore été dévoilé.

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