Abdoulkader Kamil Mohamed : « La grande priorité de Djibouti reste l’emploi »
Six mois après avoir constitué sa nouvelle équipe, le Premier ministre fait le point sur les dossiers les plus urgents.
Djibouti : le dernier défi
Réélu en avril pour un quatrième mandat à la tête du pays, Ismaïl Omar Guelleh sait que ls vraies priorités pour ses concitoyens sont l’emploi et l’amélioration de leurs conditions de vie.
Nommé le 31 mars 2013, Abdoulkader Kamil Mohamed est resté le chef d’un gouvernement pourtant profondément remanié au lendemain de la réélection d’Ismaïl Omar Guelleh pour un quatrième mandat, le 8 avril dernier. À 65 ans, il apparaît comme le garant d’un nouvel équilibre entre les anciens, membres des partis traditionnels, et la nouvelle génération, issue de la société civile. Avec un objectif très clair : redistribuer les fruits de la croissance et faire en sorte que celle-ci soit perceptible pour la population.
Jeune Afrique : C’est un gouvernement profondément remanié que vous dirigez depuis le mois de mai. Comment décririez-vous votre équipe ?
Abdoulkader Kamil Mohamed : En effet, seuls dix membres du précédent gouvernement ont conservé leur poste, dont moi-même, alors que quatorze nouveaux ont été nommés pour la première fois. En outre, la plupart d’entre eux viennent de la société civile, et non de partis traditionnels. C’est donc une équipe composée de personnes qui connaissent le terrain, une équipe de techniciens bien plus que de politiciens.
Et, six mois après leur nomination, je constate que c’était une très bonne idée de faire appel à cette nouvelle génération, par ailleurs très bien encadrée par des ministres expérimentés, qui ont une parfaite connaissance de leurs dossiers. C’est un gouvernement d’action !
Quelle est votre feuille de route ?
L’un de nos premiers objectifs est de rapprocher l’administration de la population, en raccourcissant notamment les délais d’obtention des documents officiels. C’est l’une des principales demandes exprimées par les Djiboutiens pendant la dernière campagne présidentielle, et c’est dans ce but qu’un ministère de la Décentralisation a été mis en place. Mais la grande priorité reste l’emploi et la lutte contre le chômage des jeunes. L’État s’est engagé à trouver une solution adaptée à tous les Djiboutiens, qu’ils soient diplômés ou non.
Nos besoins sont aujourd’hui importants, tant dans les postes d’encadrement intermédiaire qu’en matière de savoir-faire technique spécifique, comme la soudure par exemple. Il n’est pas question d’importer de la main-d’œuvre alors que tant de Djiboutiens n’ont pas d’emploi. Cela fait partie des dossiers sur lesquels nous devons pouvoir obtenir rapidement des résultats palpables. D’ici à deux ans, le chômage n’aura pas disparu mais il aura considérablement baissé, et une grande partie des services publics aura été déconcentrée.
Comptez-vous sur la livraison des grands projets d’infrastructures pour développer l’emploi ?
Tout à fait. Rien que la ligne de chemin de fer peut créer un millier d’emplois, entre sa gestion au quotidien et sa maintenance. Nos ingénieurs sont actuellement en formation en Turquie, en Éthiopie et en France, auprès de la SNCF. Le secteur du gaz, avec son pipeline et son usine de liquéfaction à Damerjog, au sud de la capitale, va aussi avoir besoin de main-d’œuvre.
Nous voulons faire disparaître les bidonvilles qui ceinturent la capitale
Quels sont les principaux objectifs du processus de décentralisation et de déconcentration voulu par le président Guelleh ?
Le but est d’apporter les services publics dans les régions et les communes afin que les gens ne soient plus contraints de venir systématiquement à Djibouti pour obtenir les papiers dont ils ont besoin. Il nous faut pour cela des infrastructures, que nous commençons à mettre en place et, surtout, une véritable volonté politique. Un ministère spécifique a ainsi été créé, doté des moyens financiers nécessaires à sa mission et, étant donné que les effets doivent être visibles très rapidement par la population, directement géré par la primature. Tout doit commencer à se mettre en place dès 2017, les transferts de compétences comme les finances.
Le chef de l’État fait également de la question du logement l’un des axes forts de son nouveau mandat. Quelle est l’urgence en la matière ?
Nous voulons faire disparaître les bidonvilles qui ceinturent la capitale et accélérer l’attribution de logements décents aux ménages les plus pauvres. C’est exactement le but de la fondation que vient de créer le chef de l’État. Il souhaite que les premiers logements soient attribués avant la fin de cette année. Cette question est d’autant plus importante que nous devons faire face à un afflux de plus en plus important de réfugiés, pour lesquels les infrastructures de Djibouti n’ont pas été dimensionnées.
La présence chinoise est de plus en plus marquée et remarquée à Djibouti. Comprenez-vous que cela puisse inquiéter les chancelleries étrangères, en particulier celles des pays occidentaux ?
Ces derniers font pourtant la même chose : ils vont chercher des investisseurs et des capitaux chinois. Pourquoi ce qui serait bon pour leur économie ne le serait pas pour la nôtre ? J’aurais aimé vous dire que les premiers investisseurs du pays sont les Français… Mais ils ne viennent pas.
Que ce soit dans les ports, les chemins de fer, l’énergie ou l’aménagement urbain, Djibouti a multiplié les investissements ces dernières années. Que répondez-vous aux bailleurs de fonds qui craignent que le taux d’endettement du pays devienne insupportable ?
Tous ces investissements seront rentables à l’avenir. Destinées à alimenter le marché éthiopien, les infrastructures actuellement en construction ne suffiront même pas à satisfaire ses besoins. Nos installations construites dans le Nord seront également rentables, d’autant qu’elles participent, en plus, à nos objectifs de décentralisation. Donc nous ne sommes pas inquiets, tous ces investissements s’autorembourseront.
L’Éthiopie est devenue un partenaire incontournable de Djibouti. Comment qualifieriez-vous vos relations ?
L’Éthiopie est un modèle d’intégration pour tout le continent. Même le président kényan, Uhuru Kenyatta, le dit et cherche à s’en inspirer pour l’Afrique de l’Est. L’axe Djibouti - Addis-Abeba peut s’imposer comme la base d’un réseau plus vaste en matière d’intégration régionale, tant au niveau économique que politique. L’Éthiopie devient un peu moins arrogante que par le passé et souhaite développer des relations avec l’ensemble de ses voisins. Et c’est une très bonne chose pour Djibouti.
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Au point d’envisager un jour une union monétaire ?
Nous sommes très fiers de notre franc djiboutien, qui est amarré à la zone dollar et présente une excellente garantie pour nos échanges commerciaux. C’est une devise convertible, reconnue et appréciée. Il n’est donc pas question de la voir disparaître. Nos échanges avec l’Éthiopie s’effectuent pour l’instant en dollars, d’où les retards permanents de paiement auxquels nous sommes confrontés. Avoir une devise commune serait une très bonne chose, mais c’est à eux de venir vers nous. Pas le contraire.
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