Djibouti : des liens toujours plus étroits avec la Chine et l’Éthiopie

La Chine et l’Éthiopie sont désormais des partenaires de premier plan pour le pays. Qui a lui-même très bien compris ce qu’il peut tirer de cette entente politique, économique et militaire.

Ismail Omar Guelleh, en septembre 2015 à l’ONU. © Richard Drew/AP/SIPA

Ismail Omar Guelleh, en septembre 2015 à l’ONU. © Richard Drew/AP/SIPA

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Publié le 30 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Le port de Djibouti. © Patrick Robert
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Djibouti : le dernier défi

Réélu en avril pour un quatrième mandat à la tête du pays, Ismaïl Omar Guelleh sait que ls vraies priorités pour ses concitoyens sont l’emploi et l’amélioration de leurs conditions de vie.

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Lorsqu’on demande au président Ismaïl Omar Guelleh si l’intégration économique entre son pays et l’Éthiopie, présentée aujourd’hui par nombre d’observateurs comme « le modèle à suivre en Afrique », aurait été possible sans l’apport des capitaux chinois, la réponse du chef de l’État est aussi franche que spontanée : « Non ! » Mahamoud Ali Youssouf, le ministre djiboutien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, peut bien affirmer que son pays n’a pas attendu l’arrivée de la Chine pour se rapprocher de son puissant voisin éthiopien, les milliards de dollars que Pékin a injectés ces dernières années dans la construction de nombreuses infrastructures de la région ont certainement contribué à renforcer les liens entre Djibouti et Addis-Abeba, qui ne disposaient ni l’un ni l’autre des moyens financiers nécessaires pour concrétiser cette union en marche.

« Destin commun »

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Seule certitude, les deux pays de la Corne de l’Afrique n’ont pas eu besoin des Chinois pour identifier leur destin commun, encore moins depuis que l’Éthiopie a perdu l’Érythrée et son accès à la mer Rouge, en 1991. Depuis, pour sortir de son enclavement et alimenter son vaste marché de 90 millions d’habitants, Addis-Abeba n’a pas d’autre choix que de s’entendre avec Djibouti pour utiliser ses installations portuaires.

D’autant que la présence d’importants contingents militaires américains et français sur le territoire de la petite république interdit toute velléité éthiopienne de tenter une invasion pourtant « possible en moins de quatre heures », selon un expert étranger des questions de sécurité.

Mieux, les deux voisins ont tout à gagner à s’entendre. L’Éthiopie utilise à sa guise les quais de Djibouti, où elle réceptionne chaque année 98 % de ses importations, dopant les résultats du port. Les échanges avec l’Éthiopie représentent en effet 90 % des trafics enregistrés, à l’import comme à l’export. En échange, depuis 2011, Addis-Abeba fournit à son voisin près de 50 % de sa consommation en électricité, pour à peine quelques millions de dollars par an, en attendant l’arrivée d’une deuxième ligne à haute tension, en 2017.

Ce sera la même chose pour l’eau potable, qui sera bientôt livrée gratuitement à Djibouti depuis la région de Dire Dawa, dans l’est de l’Éthiopie. Un projet qui n’est devenu réalité que grâce à la Chine : ses entreprises sont en train d’achever la construction des 358 km de l’aqueduc, et ses banques ont financé l’investissement à hauteur de 300 millions de dollars (276 millions d’euros).

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Et ce n’est pas le seul chantier d’envergure que la manne chinoise a permis de concrétiser ces dernières années. Si, sur ce projet, l’empire du Milieu n’a rien d’autre à gagner qu’une image positive dans la région, c’est évidemment pour satisfaire son immense appétit de matières premières qu’il finance les ports djiboutiens, ainsi que les oléoducs et trains éthiopiens. Ainsi, les Chinois ont investi 80 millions de dollars dans le port de Tadjourah, qui exportera dès l’année prochaine la potasse éthiopienne, et 70 millions de dollars dans celui du Goubet, par lequel transitera le sel djiboutien du lac Assal.

Dans le sud de Djibouti, le terminal de Damerjog, attendu pour fin 2017, expédiera en Chine du gaz éthiopien liquéfié dans une usine en cours de construction pour un coût de 2,6 milliards de dollars. Avec ses 700 km de pipeline tirés depuis l’­Ogaden, le projet pèse plus de 4 milliards de dollars.

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« Le plus gros investissement direct étranger jamais réalisé à Djibouti », précise Aboubaker Omar Hadi, le président de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti. Ce dernier peut d’ailleurs se frotter les mains, car depuis l’arrivée en 2013 de China Merchants Holding International (CMHI), à hauteur de 23,5 %, dans le capital de l’organisme public qu’il dirige, les dollars venus de Chine pleuvent sur le port de Djibouti. À Doraleh, un nouveau terminal à conteneurs est programmé, proche du futur quai polyvalent attendu pour mars 2017.

Juste derrière ces nouvelles installations portuaires, destination finale du train en provenance d’Addis-Abeba , une vaste zone franche de 4 800 ha est en cours de réalisation. Elle devrait recevoir quelques-unes des milliers d’entreprises chinoises que Pékin prévoit de délocaliser dans les années à venir en Afrique, pour permettre aux produits chinois de rester compétitifs sur le marché mondial en profitant des faibles coûts de la main-d’œuvre sur le continent. Avec à la clé la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois rien qu’à Djibouti.

Présence militaire

Tous ces investissements représentent quelques centaines de millions de dollars supplémentaires et pourraient bien, à terme, bouleverser l’économie de l’ensemble de la sous-région, alors que Djibouti et Addis-Abeba commencent à parler de plus en plus ouvertement de la mise en place d’une « zone yuan », susceptible de remplacer le dollar et d’unifier le birr et le franc djiboutien pour fluidifier leurs échanges commerciaux.

Pourtant, la grosse affaire du moment n’est pas économique mais militaire, avec la mise en place, dès l’an prochain, d’une base navale chinoise et de son quai, également dans la baie de Doraleh. Officiellement dimensionnée pour accueillir 300 à 500 marins, elle est la première installation du genre à voir le jour en dehors de la Chine et la première perle du collier que Pékin veut mettre en place pour sécuriser la ligne maritime qui traverse l’océan Indien.

Assise sur ses deux piliers éthiopien et djiboutien, l’influence chinoise grandit pour se faire de plus en plus sentir dans la Corne de l’Afrique

L’autorisation délivrée par les autorités djiboutiennes – un bail de dix ans moyennant une redevance annuelle de 20 millions de dollars – a passablement agacé les alliés américains et japonais, également présents dans la petite république.

Ceux-ci n’auraient pas hésité à faire courir les bruits les plus inquiétants, comme l’affectation par Pékin de plus de 10 000 soldats… « Il n’en a jamais été question et cela n’arrivera jamais », insiste Mahamoud Ali Youssouf, qui comprend l’insistance chinoise à affirmer sa présence militaire, « pour protéger ses intérêts commerciaux et ses milliers de ressortissants présents dans la région ».

Un tiers du trafic maritime transitant aujourd’hui par le détroit de Bab-el-Mandeb est d’origine chinoise, alors que les investissements de Pékin dans la région viennent de dépasser les 10 milliards de dollars. De plus en plus confortablement assise sur ses deux piliers éthiopien et djiboutien, l’influence chinoise grandit pour se faire de plus en plus sentir dans la Corne de l’Afrique, voire au-delà.

Au point d’attiser les jalousies et de faire enfler les pires rumeurs. Comme celle qui verrait la main des États-Unis derrière les troubles qui secouent depuis un an le pouvoir central d’Addis-Abeba, afin de contrecarrer l’avancée chinoise dans la sous-région. Partant du principe que « quand l’Éthiopie éternue, c’est toute la région qui s’enrhume », selon l’expression employée par notre expert militaire.

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