Hommage : adieu Malek Chebel

Écrivain et historien, ce spécialiste du monde arabo-musulman s’est éteint le 12 novembre, à Paris, à l’âge de 63 ans.

Malek Chebel. © Vincent Fournier pour J.A.

Malek Chebel. © Vincent Fournier pour J.A.

Fawzia Zouria

Publié le 22 novembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Originaire de Skikda, en Algérie, Malek Chebel s’installa en France à la fin des années 1970 pour y étudier la psychanalyse, avant d’enseigner dans de nombreuses universités à travers le monde et de publier une quarantaine d’essais consacrés aux textes fondateurs de l’islam et à l’érotisme arabe. Il aura donné à ses deux passions – le Coran et Les Mille et Une Nuits – trente ans de sa vie, muni de son savoir d’anthropologue et de psychanalyste, en digne héritier des udaba, ces grands érudits humanistes de la tradition arabe.

Tel était Malek. Un Arabe au grand cœur. Un musulman des Lumières, pour retenir l’expression qu’il avait lui-même inventée. Et un maître de la langue, ou plutôt de deux langues : l’arabe et le français. Son grand et doux sourire, ses yeux pétillants de malice et sa parole fluide lui rallièrent nombre de fans, en Occident comme dans le monde arabe.

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Mille et un livres n’auraient pas suffi à Malek pour raconter les Nuits. Car il avait trouvé dans Schéhérazade le prototype de la musulmane rebelle, capable de bousculer les interdits et de prendre sa revanche sur le silence qu’on impose aux femmes. Il mit l’islam sur le divan, sonda l’inconscient de ses sujets, déploya ses plus beaux récits d’amour et nous fit visiter ces « jardins parfumés où s’ébattent les plaisirs », comme disait Cheikh Nefzaoui dans son fameux traité d’érotologie rédigé en 1420, auquel Malek se référait souvent. Essai après essai, l’anthropologue parvint ainsi à fissurer l’idée répandue en Occident d’un monde arabe misogyne et d’une religion fâchée avec le sexe.

À ce travail d’historien et de psychanalyste va s’ajouter celui de traducteur. En 2009, il s’attelle en effet à une traduction française du Coran, au grand dam des barbus, qui crient à la profanation. Qu’à cela ne tienne ! Malek reçoit la bénédiction de certains gardiens officiels de la maison islam. Son Coran paraîtra. Mieux : il veut mettre en exergue non seulement le contenu du texte, mais l’objet-livre lui-même, dans ses différents formats, supports, styles calligraphiques.

Il part sillonner le monde et ramène moult copies. Ce trésor, il le révèle en juin 2015 à La Revue en ces termes : « L’idée de collectionner le texte sacré ajoute une dimension spirituelle qui me donne beaucoup de joie. Chaque fois que je regarde ces corans, j’imagine et je ressens l’aventure qui dure depuis quatorze siècles, signant l’attachement et la fougue des musulmans pour ce livre, cette violence de la beauté qui fait qu’on ne peut imaginer un coran qui ne soit pas beau. De fait, je crois que je participe à ce souffle, à l’idée que le Coran peut illustrer la beauté elle-même ! »Quel sort réservait-il à cette collection ? « Peut-être qu’elle ira rejoindre un jour un lieu que j’appelle de tous mes vœux : un futur musée international du Coran auquel participeraient tous les pays. Ce jour-là, je me verrais bien lui faire don de ma collection. »

Mais voilà. Malek ne verra pas ce musée. Ni ne pourra lui offrir sa collection. Il laisse derrière lui une œuvre fleuve et une notoriété assurée. Des ennemis aussi, bien sûr. Ses détracteurs l’accusent d’avoir fait de la sexualité dans l’islam un « fonds de commerce » pour appâter les Occidentaux. De tomber dans « l’orientalisme du dedans ». À une époque où pullulent les ennemis de l’islam tout autant que ses fils fossoyeurs, les écrits de Malek ne peuvent en définitive que rééquilibrer la balance. On lui reprocha d’écrire beaucoup. C’était ne pas comprendre qu’une telle frénésie était le signe d’un trop-plein de savoir, peut-être l’intuition que le temps lui était compté. À quelques mois de sa disparition, Malek confiait à Béchir Ben Yahmed qu’il avait encore beaucoup de choses à dire et craignait de ne pouvoir le faire.

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Mais sa disparition ne signe en aucun cas la fin de sa parole ni ne réduira au silence cet hymne à la vie qu’il n’a cessé de faire vibrer au cœur d’une religion que d’autres ont changée en idéologie mortifère.

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