Tunisie : les grandes sœurs de l’Instance vérité et dignité
L’Instance vérité et dignité (IVD), qui a démarré ses auditions publiques jeudi 17 novembre, n’est pas sans précédent sur le continent. Avant la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Maroc ont connu des expériences de justice transitionnelle, dans des contextes très différents.
La Commission Vérité et Réconciliation (CVR) sud-africaine, une référence internationale aujourd’hui encore, a été instituée en 1995, au lendemain de l’élection de Nelson Mandela à la tête du pays, après la fin de l’apartheid. Compétente pour juger tous les crimes commis depuis le massacre de Sharpeville, en 1960, elle a accordé une amnistie entière aux accusés en échange de leur confession publique.
Le Rwanda, dans l’impossibilité d’enfermer et de juger tous les complices du génocide de 1994, a instauré des tribunaux communautaires, les gacaca. Au nombre de plusieurs milliers, ils ont été mis en place entre 2001 et 2005. Les suspects collaborant pleinement et exprimant des remords lors des séances publiques hebdomadaires pouvaient espérer purger leur peine sous forme de travaux d’intérêt général.
Au Maroc, Mohammed VI a créé l’Instance Équité et Réconciliation (IER) peu après son avènement, pour faire la lumière sur les « années de plomb » qui avaient marqué le règne de son père, Hassan II, et réhabiliter les victimes (20 000 identifiées). Son mandat s’est achevé fin 2005. Les responsables des crimes n’ont pas été inquiétés ni appelés à témoigner.
L’instance tunisienne en conflit avec l’exécutif
L’IVD tunisienne présente une double singularité par rapport aux deux expériences jugées les plus probantes, celles de l’Afrique du Sud et du Maroc.
Son champ d’action et sa compétence tout d’abord, car elle s’étend aux crimes économiques et aux faits de détournement de fonds et de trafic d’influence. Elle a d’ailleurs souvent donné le sentiment de privilégier cet aspect de sa mission (pour laquelle elle ne paraît guère outillée, humainement) plutôt que le volet torture et violations des droits de l’homme, qui furent pourtant légion du temps de la dictature.
Mais la différence la plus flagrante tient au caractère controversé de sa composition. Les membres de l’instance ont été élus, en 2013, par les députés de l’Assemblée constituante (dominée par les islamistes d’Ennahdha et les « révolutionnaires » du Congrès pour la République, ou CPR).
Sa présidente, Sihem Ben Sedrine, est une personnalité provocatrice et clivante, très éloignée d’un Desmond Tutu (le Prix Nobel de la paix 1984 avait dirigé la CVR sud-africaine) ou d’un Driss Benzekri (ex-président de l’IER marocaine, embastillé injustement durant dix-sept ans).
Perçue comme excessivement politisée, ce qui nuit à sa légitimité, l’IVD vit une cohabitation conflictuelle avec le nouvel exécutif tunisien issu des élections générales de 2014.
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