BAD : Akinwumi Adesina enfin prêt 

Le président de la Banque africaine de développement (BAD) a achevé sa prestigieuse liste de vice-présidents et peut désormais terminer la grande réorganisation qu’il a entreprise. Un défi loin d’être aisé à relever.

Élu lors des assemblées annuelles 
de mai 2015, le Nigérian a pris ses fonctions en septembre de la même année. © Leganan Koula/EPA/MAXPPP

Élu lors des assemblées annuelles de mai 2015, le Nigérian a pris ses fonctions en septembre de la même année. © Leganan Koula/EPA/MAXPPP

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 5 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Plus de quatre cent trente jours : c’est le temps qu’il aura fallu à Akinwumi Ayodeji Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD) entré en fonction le 1er septembre 2015, pour finaliser la liste de ses huit vice-présidents.

Pour changer en profondeur la BAD, et en faire un organisme plus efficace, Akinwumi Adesina s’est entouré d’une équipe de haut vol venue des plus grandes institutions : Banque mondiale, Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi)…Jennifer Blanke, la dernière nommée (le 7 novembre), était jusqu’alors la très réputée chef économiste du Forum économique mondial, spécialiste reconnue de la compétitivité.

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Deux femmes (dont la vice-présidente principale, Frannie Léautier) et six hommes, six Africains (cinq Subsahariens et un Nord-Africain) et deux Occidentaux (un Belge et une Américano-Suisse)… Surtout, autant de francophones que d’anglophones. Sur ce point-là, le nouveau président aura mis un terme à la douloureuse fin de mandat de Donald Kaberuka, qui n’était plus entouré que de personnalités venues de la partie anglophone du continent.

Les tensions internes persistent

Lors de la longue année qui vient de s’écouler, les tensions ne se sont toutefois pas apaisées, et les inquiétudes qui agitent depuis un moment déjà la plus grande banque de développement du continent n’ont pas complètement disparu. Au contraire. « Il y règne encore une certaine anxiété, confesse un cadre sous le couvert de l’anonymat. Les contrats de managers qui expiraient n’ont soit pas été renouvelés, soit l’ont été pour des périodes beaucoup plus courtes que les trois ans habituels ».

Si la raison en paraît évidente – garder la possibilité d’adapter les fonctions à la nouvelle organisation ­–, cette situation contribue au sentiment de trouble. Tout comme la longue finalisation de la liste des vice-présidents.

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« Adesina avait promis que tous seraient là d’ici à décembre, et ce sera le cas, déclare, soulagé, un autre employé. Mais avec la réforme et la réorganisation en cinq directions générales, les gens se demandent à quelle sauce ils vont être mangés. Pour améliorer les performances et instaurer une culture du résultat, la mise en place de processus compétitifs et la création de groupes restreints chargés de définir les grandes priorités stratégiques sont certainement une bonne chose, mais cela n’a pas aidé à la sérénité en 2016. »

Interrogée sur ces différents points, la vice-présidente principale de la BAD annonce la fin de la période transitoire : « Partout où un nouveau dirigeant arrive, il nomme son équipe. La feuille de route stratégique devait être approuvée par le conseil d’administration, ce qui a été fait entre mai et juillet. Ensuite, le cabinet Russell Reynolds a conduit le processus – transparent – de recrutement, explique Frannie Léautier. Entre-temps, il y a eu des vice-présidents intérimaires. Pour la nouvelle organisation plus généralement, nous avons voulu nous donner le temps d’examiner les compétences, la nature des postes, d’où la mise en place pour certains de contrats plus courts. »

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Des experts du développement

En interne, la liste même des vice-présidents chargés de la mise en œuvre suscite des commentaires : Jennifer Blanke, qui aura pour mission de « nourrir l’Afrique », n’est pas une spécialiste de l’agriculture, pas plus qu’Amadou Hott n’en est un de l’électricité ni Pierre Guislain de l’industrialisation. Quant à Khaled Sherif, responsable pendant de longues années de la planification stratégique et budgétaire de la région Afrique à la Banque mondiale, son parcours semble éloigné de sa mission principale à la BAD : « intégrer l’Afrique ».

Mais le secret de leur nomination réside ailleurs : dans leur expertise en matière de développement, leur technicité financière ou leur capacité à optimiser et à rendre plus performant le secteur dont ils sont responsables. Ce que confirme la Tanzanienne Frannie Léautier : « La solution en matière énergétique viendra largement du secteur privé, il nous fallait donc un vice-président avec une forte expérience dans ce domaine. Pour l’agriculture, la problématique est plus large, et l’enjeu était de trouver une personne capable de convaincre un large éventail de partenaires. »

Cinq priorités

Les expertises techniques existent au sein de la banque, et la mise en place de « complexes », comme cela a déjà été le cas pour l’énergie, va dans ce sens : des équipes réduites, constituées en partie en interne, aideront à la mise en œuvre des High 5. À sa manière, un administrateur résume : « Ce n’est pas de spécialistes dont on a besoin pour diriger. L’important, c’est le leadership et la capacité à rassembler et à coordonner pour atteindre des objectifs. »

Lesquels sont particulièrement ambitieux : avec son réel charisme, sa force de conviction et sa vision claire et articulée de spécialiste du développement, le « président AAA » – comme il est surnommé en interne en référence à ses initiales et à la (plus haute) notation de la BAD – a en effet mis la barre très haut.

Ses objectifs stratégiques traduisent sa volonté d’agir fortement et rapidement sur un nombre limité de segments susceptibles de changer les choses à travers le continent. Pour ce faire, Adesina devra garder le soutien des équipes et de son conseil d’administration.

Selon les confidences d’un administrateur de la BAD, une décision a heurté quelques susceptibilités dans les hautes sphères : l’aide budgétaire annoncée de 1 milliard de dollars (environ 912 millions d’euros) en faveur d’un Nigeria à bout de souffle. Difficile en effet d’y voir un lien direct avec les ambitieux High 5, même si Frannie Léautier assure que « cette aide en deux tranches, 600 millions puis 400 millions de dollars, est alignée sur les objectifs stratégiques car elle doit améliorer l’environnement du secteur électrique au Nigeria »…

Le défi de la décentralisation

Autre chantier miné, celui de la décentralisation. Selon Frannie Léautier, entre 800 et 900 personnes quitteront peu à peu le siège pour l’un des cinq bureaux régionaux (Johannesburg, Nairobi, Tunis et deux autres lieux à déterminer) au cours d’une période de dix-huit mois afin d’être plus proches du terrain. Cette décentralisation accélérée agace au plus haut point à Abidjan, qui va demander à son administrateur à la BAD de veiller au grain.

« Il apprend de ses faux pas et de ses erreurs », lâche un proche de la présidence. Pour finir, Adesina et son équipe seront de toute façon jugés sur la réalisation de leurs objectifs. À ce titre, la vice-présidente assure que 2016 n’aura pas été une année perdue : « Nous allons dépasser les limites d’approbation de 16 % et atteindre un niveau de décaissement jamais vu à la BAD, assure-t-elle. Le portefeuille de l’agriculture a été multiplié par trois et celui l’énergie par 1,5. » Et à ceux qui s’inquiètent encore, elle promet : « À partir de janvier, nous passerons à une mise en œuvre totale des High 5. »

Le casus belli ivoirien

« C’est une trahison. Le gouvernement sera saisi, et cette situation débattue en Conseil des ministres. » Même s’il préfère que son identité reste masquée, ce membre du gouvernement ivoirien n’en démord pas : la Côte d’Ivoire a beaucoup donné pour permettre le retour de la BAD, et le projet de son président (confirmé à Jeune Afrique par Frannie Léautier) de transférer 800 à 900 personnes (environ 40 % des effectifs) vers l’un des cinq pôles régionaux suscite une vive hostilité à Abidjan.

D’autres insistent sur l’aspect financier : « Même si une décentralisation bien pensée peut doper l’activité, déplacer autant de personnes aurait un coût énorme. Il n’est pas certain que le conseil d’administration, qui a vu Donald Kaberuka créer des bureaux nationaux sans réelle efficacité, veuille vraiment s’engager dans cette voie », suppose un autre ministre, toujours en off.

Ce qui est sûr, c’est que le chemin est encore long avant que le départ ne prenne réellement forme : « Les choses ne sont pas au point, il existe beaucoup de tiraillements, affirme un proche d’Adesina. Ces grandes institutions bancaires sont des structures assez rigides. Une fois à l’intérieur, vous vous rendez compte que les choses ne sont pas aussi évidentes que ça. En interne, les gens écoutent mais ils savent que certaines promesses ne seront jamais tenues. » D’ailleurs, deux des cinq pôles (les autres étant Nairobi, Johannesburg et Tunis) ne sont toujours pas déterminés…

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