Nigeria : la méthode Buhari pour sauver l’économie ne convainc pas
Dans un contexte fragilisé par les attaques sur les infrastructures et par les faibles cours du baril, les changements se font attendre malgré les grandes réformes annoncées.
Nigeria : « Happy recession, Mr President ! »
Engagé dans la réforme du secteur pétrolier et dans la lutte contre la corruption, le chef de l’État nigérian doit aussi faire face à l’insécurité grandissante, entre Boko Haram et les attaques de pipelines par les militants du delta du Niger. Un combat sur plusieurs fronts auquel s’ajoutent les difficultés économiques que connaît le pays.
Après l’envoi, il y a plusieurs mois, de troupes gouvernementales pour combattre les militants qui avaient fait sauter des oléoducs dans le delta du Niger, Muhammadu Buhari a tenté une autre tactique. Le président nigérian a invité début novembre les leaders de la région et les dirigeants traditionnels dans sa villa pour des pourparlers. Objectif : stopper la vague de sabotages qui a coûté au pays des milliards de dollars depuis janvier.
Un coup dur pour l’économie nigériane
Buhari a qualifié de « criminelle » la destruction d’infrastructures énergétiques dans le delta. Ses visiteurs ont quant à eux soutenu qu’elle reflétait une colère compréhensible dans cette région appauvrie et constituait un appel légitime à une meilleure répartition des revenus générés par leurs terres. Des réponses à leurs revendications – parmi lesquelles de meilleures routes, une fourniture d’électricité régulière et une université promise depuis longtemps – auraient montré la bonne volonté du gouvernement, estiment-ils.
Mais, après plusieurs heures de délibérations, les militants sont sortis frustrés. « Le gouvernement ne prend pas nos demandes au sérieux », a déclaré Ledum Mitee, avocat et défenseur des Ogonis, l’une des communautés de la région. Dans la foulée, un groupe appelé les Vengeurs du delta du Niger (Niger Delta Avengers) a sabordé un autre pipeline. Une attaque bientôt suivie par d’autres.
Les sabotages des militants aggravent une situation économique déjà fragilisée par deux années de baisse des cours du pétrole – il a perdu plus de la moitié de son prix de mi-2014 (115 dollars le baril). La chute des exportations de brut a fait fondre les réserves de change de plus de 13 milliards de dollars. Début septembre, le pays entre en récession pour la première fois depuis 1991.
« Le Nigeria voyait déjà les rendements de son secteur pétrolier décroître pendant les années de prospérité, rappelle Aaron Sayne, du centre de recherche et de développement Natural Resource Governance Institute (NRGI). Les prix élevés permettaient au gouvernement de masquer les problèmes, mais aujourd’hui le coût de l’inaction apparaît plus terrible encore. »
Réformes
L’impossibilité de mettre fin aux attaques illustre les difficultés auxquelles est confronté le président dans sa tentative d’apporter des changements au Nigeria. Ayant suscité de grands espoirs lors de son élection, il y a dix-huit mois, Buhari a promis de nombreuses réformes, notamment au sein de la Nigerian National Petroleum Corp (NNPC), symbole de la mauvaise gestion financière de son prédécesseur, Goodluck Jonathan – même si les problèmes n’ont pas commencé sous son administration.
Quatre mois après sa prise de fonctions, l’ancien général de 73 ans a placé sous sa tutelle le ministère du Pétrole, renforçant ainsi l’image autoritaire qu’il avait lorsqu’il était un chef d’État militaire au milieu des années 1980. Il a annulé les contrats du secteur énergétique négociés sous l’administration précédente, jugés moins lucratifs pour le gouvernement que pour les autres parties.
Les dettes avec les compagnies pétrolières internationales ont été renégociées. La direction de la NNPC a été remaniée. Il a commandé des audits de la société d’État et a accordé moins de contrats de vente de pétrole brut et d’achat de carburant raffiné, un mécanisme longtemps considéré comme favorisant le détournement d’argent. Mais l’action de Buhari a été ralentie par la lutte contre les islamistes de Boko Haram, dans le Nord-Est et, plus récemment, par les attaques des militants dans le sud du delta du Niger.
Une nouvelle gouvernance pour lutter contre la corruption
Il mène également une guerre contre la corruption, qualifiée par certains de chasse aux sorcières. D’autres affirment que l’administration n’a pas réussi à convaincre les responsables d’arrêter de siphonner des milliards de dollars de recettes pétrolières. Tout en reconnaissant la nécessité de s’attaquer à cette gangrène, cadres du secteur et acteurs privés se plaignent de la méfiance du président envers les entreprises nationales et l’accusent de mauvaise gestion de l’économie.
Ce qui a contribué, selon eux, à l’étouffement du financement local et à la réticence des groupes étrangers à investir. « Buhari pense que s’il peut stopper la corruption, il peut tout arranger », estime un ancien responsable du secteur. « Oui, nous devons lutter contre ce fléau, mais il y a 180 millions de personnes au Nigeria. Qu’en est-il de tous ceux qui n’ont rien fait de mal et qui souffrent ? Il y a beaucoup d’autres problèmes à régler dans le pays. »
Des patrons et des proches du gouvernement considèrent que le style de gouvernance du président et sa préférence pour une économie dirigée par l’État compliquent les choses. « Buhari lui-même fait partie du problème, même s’il est bien intentionné », analyse un dirigeant d’entreprise à Lagos. Selon les observateurs, le fait qu’il se place à la tête des affaires pétrolières et qu’il opère avec un cercle de confiance restreint témoigne de son désir de contrôler le secteur de manière étroite et stricte.
« Il pense que comme à l’armée il lui suffit de de prononcer une ordonnance pour que tout le monde fasse ce qu’il dit, dit une autre source. Mais les réformes radicales et sectorielles du secteur de l’énergie et de l’économie ne peuvent être menées par la force. Or, pour l’instant, il y a beaucoup de bâtons, mais pas de carottes. »
Ceux qui ont conseillé le président pendant la période de transition, avant qu’il prenne le pouvoir, se sentent mis de côté. Il a bien suivi certaines de leurs recommandations, comme la réduction des subventions aux carburants, mais d’autres, telles que la fin des nominations gouvernementales non fondées sur le mérite, ont été ignorées. « Beaucoup de gens qui se sont mobilisés pour le faire élire ont un sentiment de trahison. Buhari était censé à nous unir tous », assure un conseiller du gouvernement selon lequel « nombreux sont ceux qui prennent leurs distances. »
Pour d’autres, Buhari a reporté des décisions qui auraient dû être prises plus tôt. Ils signalent par exemple des retards dans la dévaluation du naira qui ont épuisé les réserves de devises étrangères, et l’arrêt des versements accordés aux militants du delta dans le cadre d’une amnistie négociée par son prédécesseur – ils ont finalement repris en août. De plus, malgré la répression de la corruption, les mauvaises pratiques seraient de retour. Les entreprises qui ont obtenu des contrats d’énergie sous le gouvernement Jonathan et qui étaient connues pour leurs délits ont réapparu sous l’ère Buhari.
Emmanuel Ibe Kachikwu, ministre d’État aux Ressources pétrolières (l’adjoint de Muhammadu Buhari sur ces questions) et responsable de la NNPC jusqu’en juillet, a publié le mois dernier un plan de réforme, baptisé 7 Big Wins, qui promet d’apporter des réponses aux questions telles que la sécurité dans le delta, la réforme du secteur du gaz et une transparence accrue. Mais ses détracteurs se demandent s’il a le pouvoir de tenir ses promesses. Ils soulignent en outre que la réforme la plus importante à leurs yeux, la restructuration de la NNPC, est manifestement absente de la feuille de route.
Accords internatioanux
Pour Buhari, les structures du secteur sont solides, le changement de leadership et une meilleure gouvernance devraient suffire à améliorer la situation. Kachikwu, ex-dirigeant d’ExxonMobil, défend l’approche du gouvernement et reste déterminé à s’attaquer aux réformes. Il a d’abord cherché à tirer davantage de profits de l’industrie pétrolière pour tenter de combler le manque de recettes dont souffre actuellement le pays.
Il explique être en pourparlers avec l’Inde et d’autres pays sur des accords de vente à terme, ajoutant que le gouvernement envisage d’autres sources de financement en provenance notamment du Qatar. Un défi crucial, car les bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale ne veulent plus accorder de prêts au gouvernement Buhari, inquiets de ne pas le voir mettre en œuvre des plans de réforme crédibles.
La privatisation de certaines parties du secteur énergétique du pays, y compris des segments de la NNPC, est sur la table. Mais Kachikwu est bien conscient des obstacles. Au cours de son mandat à la tête de la société nationale, un audit interne a par exemple révélé que la société avait 1 500 à 2 000 employés de trop. Malheureusement, a déclaré le ministre, il n’avait aucun moyen de les congédier – soulignant ainsi la difficulté de réformer un secteur qui a été la pierre angulaire du système pendant des décennies.
Et toute vente d’actifs de l’État au secteur privé est perçue avec méfiance par le président. Ayant été témoin de l’enrichissement de nombre de compagnies pétrolières et gazières privées sous le gouvernement Jonathan, il se méfie d’elles. Il les appelle les « petits porteurs de mallettes ».
Comme pour Goodluck Jonathan, la performance de Muhammadu Buhari dans le secteur pétrolier pourrait faire ou défaire sa présidence. Et déterminer si le Nigeria est ou non en mesure de récolter enfin les fruits de sa ressource la plus précieuse.
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