Jean Odoutan, l’oeil du cinéma béninois
Auteur, compositeur, acteur, réalisateur, entrepreneur, le cinéaste béninois occupe une place à part dans l’industrie du septième art. Rencontre à l’occasion de la (seconde) sortie de Pim-Pim Tché, toast de vie.
Il ne fait rien comme tout le monde. Alors que tous les réalisateurs préparent avec le plus grand soin la sortie en salle de leur nouveau film, Jean Odoutan, contre toutes les règles, se permet de lancer son dernier long-métrage… Deux fois ! Doté d’un de ces titres appétissants dont il a le secret, Pim-Pim Tché, toast de vie est donc sorti une première fois il y a neuf mois, et de nouveau ces jours-ci.
Un cas unique nous semble-t‑il et même une impossibilité théorique – on ne peut naître deux fois ! – qui n’a pas suffi à arrêter notre homme. Que s’est-il passé ? C’est simple. Désespérant de trouver un financement suffisant pour payer les frais de mixage et de numérisation en DCP, le bon format pour obtenir des copies de qualité professionnelle selon les canons d’aujourd’hui, Odoutan a choisi de présenter d’abord le film en DVD en février dernier, afin que des critiques et des distributeurs puissent le voir, avant de le retirer au bout de quelques jours de l’affiche pour chercher, fort de l’existence de l’œuvre, aussi précaire soit-elle, un financement sous forme de crowdfunding. Puis de le ressortir aujourd’hui, comme si c’était une vraie première, sous une forme techniquement plus satisfaisante.
Energique
Cette sortie rocambolesque de Pim-Pim Tché, que l’on peut traduire par « ma sale garce », le surnom de la jeune lycéenne béninoise Chimène, qu’un de ses admirateurs appelle « ma croustillante » et qu’on présente à juste titre comme « une virtuose de l’arnaque sentimentale », est très symptomatique du parcours déroutant d’Odoutan. Aujourd’hui quinquagénaire, il a gardé une âme et une énergie d’adolescent.
Parti tout jeune du Bénin pour rejoindre en France un frère « docteur en philosophie et manutentionnaire chez Olida pour survivre », en passant la frontière du Nigeria dans un coffre de voiture – c’était une époque où l’on ne pouvait quitter normalement son pays natal, ivre de marxisme révolutionnaire – puis en transitant par Moscou, il a été abrité (en surnombre) dans une chambre de la Sonacotra puis dans un véritable château – il rit encore aujourd’hui de cette éphémère « vie de château » – transformé en foyer de la Ddass.
Un heureux hasard
Odoutan, bien que toujours très bon élève puis brillant étudiant, mène rapidement une existence semi-nomade : la rue lui sert souvent d’abri, sans que jamais il ne manque pour autant de soutiens grâce à la popularité que lui valent sa gouaille et son inébranlable optimisme. « Galérien » vivant de petits boulots – comme animateur de centre de loisirs et de colonies –, il est remarqué par un directeur de casting alors qu’il traîne dans le quartier des Halles (Paris) avec sa bande de copains.
C’est par un pur coup du sort qu’il découvre l’univers du cinéma comme figurant dans Marche à l’ombre, où il peut voir évoluer les acteurs français Gérard Lanvin et Michel Blanc, mais où il rencontre aussi le racisme, en la personne d’un membre de l’équipe de tournage qui, systématiquement, lui « parle mal ». D’où l’idée d’écrire, par pur désir de vengeance et à l’aide d’une plume bien trempée, un scénario sur ce qui lui est arrivé et qu’il ne supporte pas.
Puis d’en faire un court-métrage. Avec pour unique formation la fréquentation compulsive de la bibliothèque publique de Beaubourg, où il consulte tous les livres qu’il peut trouver sur la « fabrication » d’un film de A à Z. Son seul matériel sera une caméra louée le week-end (on la loue un jour et on s’en sert deux) et sa première idée de décor la rue de la Grande-Truanderie, dont il adore le nom.
Boulimique d’écriture, il couche alors sur le papier des centaines de scénarios vite – trop vite – imaginés qu’il envoie à tout hasard au Centre national du cinéma jusqu’à ce qu’il obtienne un jour, alors qu’il ne s’y attendait plus, une aide à l’écriture, suivie peu après d’une aide à la réalisation.
Histoires abidjanaises
Il a, lui dit-on, et sans que cela lui plaise outre mesure, « un univers » et « un ton ». S’enchaînent alors pour cet autodidacte du cinéma et de la musique – il a appris à jouer sur un clavier avec pour seul appui « le piano en 10 leçons » – des tournages épiques de films à nul autre pareils – Barbecue Pejo, Djib, La Valse des gros derrières, Mama Aloko. Des comédies truffées de dialogues savoureux et de personnages déjantés qui se déroulent parfois en Afrique, parfois dans la région parisienne.
Des films à petit budget dont il est sauf exception le scénariste, le réalisateur, l’un des acteurs, l’auteur interprète de la musique, le producteur et, à l’occasion, le distributeur. Une production qu’il a voulu montrer au public africain privé de grand écran en organisant dans sa ville natale, à partir de rien, un festival de cinéma africain tout aussi improbable que ses longs-métrages, le festival Quintessence de Ouidah.
Une initiative qui ira de pair avec la création d’une école de cinéma et d’une cinémathèque. Et qui durera une quinzaine d’années, malgré les vicissitudes – la salle qu’il a fait construire pour l’occasion a été incendiée – et la disparition progressive des subventions européennes. Après l’édition 2015, Odoutan a décidé de faire une pause pour pouvoir se remettre à tourner et, surtout, éviter la banqueroute. Quand reprendra-t‑il ? « Très bientôt j’espère », nous assure le cinéaste, sans plus de précisions.
Autodérision
Comme rien ne saurait le décourager, il est déjà en train de réaliser le film d’après Pim-Pim Tché. Sans aucune aide mais – comme le personnage est diablement séduisant – avec des acteurs de premier plan au générique, tous prêts à tenter l’aventure malgré les conditions précaires du tournage.
Ainsi, pour Nafi le zèbre, un film dont le scénario est construit autour des questions de dépigmentation, le spectateur retrouvera l’héroïne de Pim-Pim Tché, Aïcha Ouattara, entourée d’Anouk Grinberg, Irène Jacob et Charles Berling ! Dès qu’il en aura le temps, Jean Odoutan continuera d’accompagner Pim-Pim Tché dans les provinces françaises en proposant, à l’issue de la projection, un concert live.
Avec ses musiques, dont il vient d’éditer une compilation, La Dent du bonheur, titre d’un morceau et allusion à la denture de son auteur. Voilà un homme qui semble tout le temps prêt à rire de tout, et surtout de lui-même, mais qui se révèle être un entrepreneur redoutable et un inépuisable concentré d’énergie. Quand il dit que pour garder la forme il fait plusieurs heures de sport par jour, on le croit volontiers, cet homme-orchestre du septième art, aussi « croustillant » que ses actrices…
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