Stratégie : Condor, histoire d’une réussite algérienne
Le groupe Benhamadi et sa principale filiale sont considérés comme un modèle de réussite. Ils fabriquent leurs produits dans le pays et ont gagné nombre de marchés à l’étranger.
L’Algérie à l’heure africaine
Le gouvernement et les entreprises cherchent de nouveaux partenaires, de préférence sur le continent. Un tournant majeur que vient consacrer le Forum africain d’investissements et d’affaires, organisé par l’État et le patronat du 3 au 5 décembre.
Lorsque, le 9 avril 1954, Mohamed Tahar Benhamadi lance son petit commerce à Bordj Bou Arreridj, modeste bourg des Hauts Plateaux (à 250 km à l’est d’Alger) connu pour ses activités agropastorales, il est loin de se douter que son échoppe deviendra un demi-siècle plus tard un véritable empire économique.
Homme avisé et dur à la tâche, il fait fructifier son commerce, et son solide bon sens paysan lui dicte alors d’investir ses premières économies dans l’achat de camions pour le transport de marchandises et de matériaux de construction. Malgré la guerre et son corollaire de disettes et de misère, le petit business de Mohamed Benhamadi prospère.
Libéralisation de l’économie
À l’indépendance du pays, en 1962, le pouvoir opte pour le modèle socialiste, qui laisse peu de place à l’entrepreneuriat. « Le privé était considéré comme un danger, voire comme un ennemi », rappelle son fils, Abderrahmane Benhamadi, président du conseil d’administration du groupe. C’est à peine si les entrepreneurs privés ne sont pas considérés comme de vils bourgeois, agents du capitalisme et de l’impérialisme réunis, et ennemis de la révolution. Les choses changent cependant avec l’ouverture au libéralisme, amorcée au milieu des années 1980.
Dans la wilaya de Bordj, qui s’étend de la Kabylie au Sétifois, Mohamed Tahar Benhamadi inaugure alors une unité de fabrication de carrelage puis, dix ans plus tard, la première briqueterie privée du pays, dont le lancement coïncide avec le début des attaques terroristes de la décennie sanglante, qui fera plus de 100 000 victimes. « Les gens nous regardaient bizarrement, confie Abdelmalek Benhamadi, le PDG de Condor.
On persistait à investir alors que les entrepreneurs tentaient de fuir ou fermaient boutique. » Les techniciens étrangers ayant déserté l’Algérie, il a d’ailleurs fallu lancer la briqueterie avec des compétences locales. Les activités de l’usine démarrent en 1997, année au cours de laquelle les autorités décident de libéraliser le commerce extérieur. « J’ai commencé à importer des matériaux de construction – principalement des tuyaux de cuivre –, depuis l’Espagne et la Corée du Sud », raconte l’industriel.
Montage de récepteurs satellites
À l’époque, émergeant des années noires du terrorisme, les Algériens voient leur pouvoir d’achat s’améliorer. Ils peuvent enfin commencer à rêver d’appartements dotés d’équipements modernes et, en particulier, d’acquérir un démodulateur pour capter les chaînes satellitaires. Abderrahmane Benhamadi flaire rapidement le filon et décide d’importer le premier récepteur satellite en Algérie.
L’engouement est tel que les appareils s’arrachent. À tel point que le patron ne se contente pas d’importer et de vendre des équipements ; il réalise alors sa première opération en SKD (semi knocked down) en assurant, dans ses ateliers, l’assemblage de pièces détachées importées pour fabriquer des téléviseurs.
L’avantage n’est pas négligeable pour le groupe, qui n’est redevable que de 5 % de droits de douane sur les pièces détachées, au lieu des 30 % dont il devait s’acquitter auparavant en important des produits finis. « C’était une loi révolutionnaire, concède Abdelmalek Benhamadi, et nous en avons profité pour investir. »
L’entreprise passe alors de l’import à la production. Les frères Benhamadi acquièrent un terrain de 2 000 m2 dans la périphérie de la ville de Bordj (qui deviendra l’une des plus importantes zones industrielles d’Algérie) pour y installer l’usine de montage, qui se résume au départ à quelques chaises et tournevis, dans un grand hangar froid et nu… Et les premiers téléviseurs assemblés à Bordj se vendent comme des petits pains. Le groupe passe alors à la vitesse supérieure et se dote d’une « vraie » usine, livrée clés en main par des partenaires chinois.
« Il ne nous restait plus qu’à fabriquer la carte mère du téléviseur, note Abdelmalek Benhamadi. Étant donné que l’on importait plusieurs grandes marques d’électroménager, on s’est très vite retrouvés avec des problèmes de traçabilité et de service après-vente. J’ai alors pris la décision de créer notre propre marque. » Ce sera Condor. Pourquoi ce nom de rapace des Andes plutôt qu’un autre ? « C’est venu comme ça, répond l’industriel. Sans doute à cause de la reprise de la chanson El Condor Pasa, par Simon and Garfunkel, que j’avais dans la tête à ce moment-là ! »
Une explosion dans l’électroménager
Nous sommes en 2002. Condor est alors une PME d’une cinquantaine d’employés. L’un de ses atouts : le rapport qualité-prix et, surtout, le service après-vente. Après le téléviseur, l’entreprise se lance dans la fabrication de climatiseurs et, dans un pays où les étés sont torrides, elle fait rapidement un carton.
Importer en CKD (completely knocked down), monter sur place et augmenter le taux d’intégration, Condor applique ensuite sa recette à succès à tous les produits électroménagers : après les téléviseurs et les climatiseurs, c’est au tour des réfrigérateurs, des congélateurs, des cuisinières, des récepteurs satellite, des machines à laver, des chauffages domestiques… Jusqu’à ce que la petite entreprise devienne un géant de l’électroménager.
« Notre base industrielle s’élargissait, et les unités de fabrication poussaient comme des champignons », se souvient Abdelmalek Benhamadi. En aval de la production de ses nombreuses usines, Condor avait besoin d’unités de soutien pour l’emballage, pour la fabrication et le stockage de tôle, de peinture, de plastique et de pièces détachées.
C’est ainsi que le groupe se dote d’une usine d’emballage en polystyrène, d’une unité d’injection plastique, d’un atelier pour la fabrication de tiroirs de réfrigérateurs, d’une unité spécialisée dans la fabrication de machines à laver. Sans oublier la création d’une flotte de camions aux couleurs de l’entreprise pour livrer les produits de la marque sur le territoire national, dans tous les points de vente et tous les showrooms.
Condor recrute à tour de bras et connaît une croissance fulgurante. « On voulait créer de la richesse, argumente le PDG. Ce n’était pas une question d’argent, mais de survie. On fixait les prix, et nos concurrents étrangers étaient obligés de se mettre à notre niveau. » Ces mêmes concurrents, raconte-il, ne faisaient auparavant que vendre des produits finis sans garantie et ils se sont retrouvés dans l’obligation d’investir dans la formation du personnel, les showrooms et le service après-vente.
« Smartphone made in Algérie »
À partir de 2009, des multinationales tentent de racheter le groupe, qui repousse les offres. « Alors qu’on s’était lancés dans l’informatique en 2006, avec la fabrication d’ordinateurs et de tablettes, des amis m’ont suggéré de m’intéresser à la téléphonie. C’était d’autant plus capital que, avec l’arrivée des smartphones, le secteur de la téléphonie devenait plus proche de notre métier », reprend le patron.
Fidèle à sa démarche, Condor importe d’abord des téléphones avant de lancer l’homologation du partenaire choisi et d’assurer le montage du produit ciblé au niveau local. En 2013, le groupe fabrique le premier smartphone made in Algérie, le fameux C1. « Cela a tout de suite été un succès fou », se souvient Abdelmalek Benhamadi.
Société mixte. Désormais leader incontesté en son pays, Condor Electronics se lance à la conquête de nouveaux marchés. « Nous exportons depuis des années vers la Tunisie, la Jordanie, le Mali et la Mauritanie, entre autres. Avant la fin de cette année, nous allons réaliser nos premières opérations d’exportation de téléviseurs à écran LED et de smartphones vers la France et la Belgique », annonce Abdelmalek Benhamadi.
Le groupe compte aussi poursuivre son développement sur les marchés africains. En décembre 2015, Condor Electronics a signé un protocole d’accord avec le groupe industriel soudanais Giad, présent dans la distribution, l’assemblage automobile et l’immobilier, qui prévoit dans un premier temps l’exportation de réfrigérateurs et de climatiseurs de la marque algérienne, puis la création d’une société mixte pour la fabrication de ces produits au Soudan. Prochaine destination des produits Condor ? Le Bénin.
De quoi se sentir pousser des ailes
Depuis le lancement officiel de Condor Electronics, en 2002, le groupe Benhamadi a diversifié ses activités au point de devenir un puissant conglomérat présent dans l’industrie électronique, l’informatique, le BTP, les matériaux de construction, l’agroalimentaire, les transports et la logistique, la fabrication de panneaux photovoltaïques, l’hôtellerie et, bientôt, l’industrie pharmaceutique. Le groupe dispose de 15 filiales et unités de production, qui emploient 6 500 personnes et réalisent un chiffre d’affaires de plus de 553 millions de dollars (plus de 514 millions d’euros). Coaché par le cabinet d’affaires E&Y, qui a effectué son audit, Condor se sent pousser des ailes. Avec le renforcement de l’équipe de direction et l’arrivée de nouvelles compétences, notamment internationales, il vient de créer un département du développement commercial à l’international afin de partir à la conquête de nouveaux marchés.
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