Portrait : Ibrahim Aboubacar, Mayotte au cœur

Après des études parisiennes, Ibrahim Aboubacar a regagné l’île où il a grandi. Ingénieur, syndicaliste et aujourd’hui député PS, ce quinqua engagé veut avant tout « être utile » aux insulaires.

Électron libre, le député s’est singularisé en revenant sur le droit du sol, cher au PS. © Alaxandre Gouzou pour JA

Électron libre, le député s’est singularisé en revenant sur le droit du sol, cher au PS. © Alaxandre Gouzou pour JA

Alexis Billebault

Publié le 3 décembre 2016 Lecture : 4 minutes.

À la maison, chez les Aboubacar, on votait RPR. Et les discussions politiques autour du kakamoukou, l’un des plats traditionnels mahorais, étaient soigneusement évitées. « N’oubliez pas que Mayotte, c’est un peu un territoire africain. Et ce n’est pas très bien perçu de ne pas être d’accord avec ses parents », explique Ibrahim Aboubacar, de sa voix douce et posée.

Est-ce parce qu’il a longtemps dû garder le silence durant les repas familiaux que ce fils de gendarme a tant clamé ses convictions de gauche par la suite ? Peut-être aussi parce qu’Ibrahim, né en 1965 à Fomboni, capitale de l’île de Mohéli, quand l’archipel des Comores était encore français, a constaté durant toute sa jeunesse le dramatique manque de moyens auquel était confrontée la population.

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Un cruel manque d’infrastructures

« On a longtemps vécu à Moroni, avant l’indépendance des Comores, en 1975. J’allais à l’école primaire de la mission catholique. J’étais un bon élève, plutôt sage, qui aimait bien jouer au foot, même si, à l’époque, les équipements sportifs étaient très rares. On jouait là où on pouvait. » Au lendemain de l’accession à l’indépendance des Comores, la famille s’installe à Sada, sur ce territoire mahorais qui a préféré rester français. Et le changement est brutal pour le jeune homme, qui remarque tout de suite qu’il n’y a pas de bibliothèque dans la petite ville.

« Moi qui adorais lire, ce fut un choc. À Mayotte, il n’y avait pas grand-chose à faire à cette époque. On vivait dans le village ou à la caserne de gendarmerie. » Les collèges sont rares, eux aussi, il y en a deux dans toute l’île. « Il fallait aller à Mamoudzou. On était 126 élèves en sixième en 1977. En 1980, mes parents m’ont envoyé poursuivre ma scolarité à La Réunion, où vivait un de mes frères. »

Bac S en poche et boursier, Aboubacar s’installe à Paris et suit des études d’ingénierie dans les travaux publics, « avec une spécialisation dans la construction de bâtiment, et l’objectif de rentrer dès la fin de [son] cursus à Mayotte pour participer à son développement ». Sa ligne d’action est déjà claire : favoriser l’éclosion de nouveaux équipements, contribuer à la modernisation de l’île.

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L’entrée progressive en politique

Dès son retour en 1990, le jeune diplômé s’installe à Sada et reste cinq ans dans un bureau d’études d’aménagement et d’urbanisme. « Cela m’a permis de découvrir l’île et de mieux connaître sa sociologie », insiste-t‑il. C’est également à ce moment qu’il fait ses premiers pas de syndicaliste en militant à l’Union des travailleurs de Mayotte, qui se rangera sous la bannière de la CFDT, dont il devient même le porte-parole. La suite est faite de nombreux tournants qui l’amèneront à diriger le port de Mayotte puis la chambre de commerce et d’industrie de l’île.

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En parallèle, Ibrahim Aboubacar se lance en politique pour aider Mayotte à combler son retard. « En 1992, lors d’une élection municipale partielle à Sada, nous avions constitué une liste de jeunes indépendants qui avait recueilli 9 % des suffrages. Cela ne m’a pas découragé. Un an plus tard, aux législatives, j’ai fait 3 % dans toute l’île. »

Puis 5 % en 1997, et 10 % cinq ans après… La légitimité et la visibilité de cet enfant des Comores ne cessent d’augmenter. En 2008, il devient conseiller général du canton de Sada, puis vice-président du conseil général de Mayotte. Mais ce n’est qu’en 2012, trois semaines après l’entrée de François Hollande à l’Élysée, qu’Ibrahim Aboubacar devient député PS.

Défis mahorais

À présent, l’engagement en politique occupe à plein temps cet élu de 51 ans. « Il y a encore beaucoup à faire à Mayotte, qui est un désert médical (160 médecins pour 210 000 habitants). Il faut améliorer la formation des jeunes, même si l’île est classée en zone d’éducation prioritaire. L’immigration clandestine, qui ne vient plus seulement des Comores et de Madagascar, mais de plus loin, est endémique. Cela pose des problèmes de sécurité, d’urbanisme. Les investisseurs, les salariés extérieurs voire les touristes hésitent à venir à cause de la délinquance. Si les pouvoirs publics ne réagissent pas à la hauteur de ces défis, la société mahoraise, pourtant pacifique, va exploser », prévient l’élu.

Ibrahim Aboubacar réclame à présent ni plus ni moins que l’abrogation du droit du sol, au grand dam de ses collègues du PS, en demandant que les enfants nés à Mayotte de parents étrangers en situation irrégulière n’obtiennent plus automatiquement la nationalité française. « Il faut lutter contre les réseaux de passeurs, qui cachent des trafics en tout genre. Je l’ai expliqué à Manuel Valls [le Premier ministre] et au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Ils ne font pas preuve d’angélisme sur ces questions… »

Le parlementaire a décidé de se maintenir sous l’étiquette PS aux prochaines élections législatives, au printemps 2017, juste après cette présidentielle qu’on annonce dévastatrice pour la majorité. Reste à savoir si, cette fois, la population de Mayotte le suivra. Alexis Billebault

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