Bénin : convaincu que Talon est à l’origine de ses déboires, Ajavon prépare sa revanche
En homme d’affaires avisé, Sébastien Ajavon sait qu’il aurait tort d’agir dans la précipitation. Mais il est convaincu que le chef de l’État est à l’origine de ses déboires et il est bien décidé à le lui faire payer.
On donne aux événements qui peuvent bouleverser le cours de nos vies des explications différentes selon nos croyances. Sébastien Ajavon, 51 ans, est un catholique fervent. Après son échec au premier tour de l’élection présidentielle d’avril, l’homme d’affaires béninois a répété à ceux venus le consoler que « Dieu n’avait simplement pas voulu [qu’il soit] élu ».
Sept mois plus tard, il a vu dans le dénouement de la rocambolesque affaire de trafic de drogue à laquelle il fut mêlé un signe de la providence. Le 4 novembre, tout juste relaxé par le tribunal de première instance de Cotonou, c’est Dieu qu’il s’est empressé d’aller remercier entre les murs de l’église Saint-Michel. Il était presque minuit, l’atmosphère était lourde, la ville prête à exploser.
Une semaine ubuesque, où l’histoire avait semblé revenir à la figure des Béninois comme un boomerang, s’achevait. La trajectoire politique de Sébastien Ajavon, propulsé opposant numéro un d’un régime qu’il avait contribué à faire élire, venait de prendre un tournant inédit.
« Complot ! »
À Cotonou, tout le monde s’attendait à ce qu’il se positionne un jour contre Patrice Talon. Mais pas si tôt. Lui-même ne l’imaginait pas. Il réfléchissait bien depuis le mois d’août aux contours de sa stratégie politique, mais se voyait collaborer avec le chef de l’État encore un moment. La saisie, le 28 octobre au matin par la gendarmerie, de 18 kg de cocaïne pure dans l’un des deux conteneurs en provenance du Brésil destinés à sa société Comon Cajaf a tout changé. Fou de rage, Ajavon convoque alors une conférence de presse et frappe fort. Mâchoire serrée, yeux exaltés, il accuse directement le pouvoir d’ourdir un complot contre lui.
« Ses déclarations nous ont poussés à l’interpeller. Au départ, la justice devait simplement lui envoyer une convocation », explique un proche du chef de l’État. Ajavon en garde à vue, l’affaire prend une tout autre tournure.
Pendant une semaine, alors qu’il compte les heures dans le bureau du commandant de brigade de la compagnie de gendarmerie, ses équipes mettent une pression énorme sur le régime, agitant les réseaux sociaux et les rues de Cotonou. Des cars sont affrétés, les tee-shirts de campagne ressortis, des personnalités politiques de premier plan prennent position.
Leader de l’opposition béninoise ?
Plus de trois semaines après la libération d’Ajavon, difficile de savoir réellement quel est son état d’esprit. En coulisses, un groupe d’hommes politiques (dont certains ont soutenu Talon au second tour) le poussent à prendre la tête d’une grande coalition de l’opposition. Le souhaite-t‑il vraiment ? Il veut prendre le temps de la réflexion. Le 17 novembre, il a d’ailleurs rendu visite à l’ancien président Nicéphore Soglo, qui, à l’issue de leur tête‑à-tête, a proposé d’entamer une médiation.
« L’image du pays a failli être déchirée dans cette affaire. Néanmoins, Dieu est au contrôle et aime le Bénin. Que l’apaisement revienne dans le pays. Nous n’allons pas refuser de discuter. Nous devons trouver des solutions », a déclaré Ajavon. Si ces événements l’ont assuré de sa popularité, ils ont aussi confirmé ses craintes. « Ajavon estime que le chef de l’État l’a trahi, explique un de ses proches. Mais il est conscient que celui-ci ne fait pas de cadeau. Il sait qu’on ne l’attaque pas comme ça. »
Financiers
Car si les deux hommes n’ont jamais été amis, Ajavon connaît parfaitement Talon. En 2011, quand il cherche à obtenir la gestion du programme de vérification des importations (PVI), qui supervise le trafic du Port autonome de Cotonou, Talon promet à Ajavon que ses marchandises seront épargnées. Ce dernier accepte de le soutenir, mais se rendra rapidement compte que le roi du coton n’a pas tenu ses promesses. Il considère depuis que l’actuel président n’est pas fiable.
Les deux hommes continuent pourtant de se côtoyer. Quand la brouille entre Talon et Thomas Boni Yayi éclate, Ajavon tente même de les réconcilier. Au cours de l’été 2015, les deux opérateurs économiques se voient régulièrement à Paris. Ajavon tente de dissuader Talon de se présenter à la présidentielle d’avril 2016 – « Nous sommes des financiers, restons dans les affaires », lui dit-il. En vain. Il décide alors de se lancer lui aussi dans la course.
Pas forcément taillé pour la politique, il se prend au jeu. Il mène une campagne presque démesurée, dépense des milliards de F CFA, y croit dur comme fer mais ne parvient pas à se hisser au second tour. Sa décision d’accorder son soutien à Patrice Talon fut par la suite pragmatique. Ajavon était persuadé que Zinsou ne gagnerait pas et ne voulait pas mettre ses affaires en péril.
Le richissime homme d’affaires le sait : il doit une bonne partie de sa fortune aux faveurs que lui ont accordées les régimes successifs. « Au Bénin, sous Mathieu Kérékou et Boni Yayi, comme au Nigeria, Ajavon a toujours bénéficié de tarifs douaniers avantageux, ce qui lui a permis de proposer le meilleur rapport qualité-prix », explique un de ses amis, qui précise que « c’est surtout grâce au marché nigérian qu’il a fait fortune ».
Des mises en péril
Fils d’un gros négociant de Cotonou, le natif de Grand-Popo fait ses classes comme directeur commercial de la poissonnerie familiale. « Ses parents avaient réussi, ils avaient des moyens », raconte un ami. Dans les années 1990, il se spécialise dans l’importation de volaille congelée puis élargit son empire au transport de marchandises, parvenant rapidement à maîtriser sa filière d’importation de bout en bout. Ses cargaisons arrivent à Cotonou avant d’inonder le marché ouest-africain.
Aujourd’hui, propriétaire du groupe JLR (46 milliards de F CFA de chiffre d’affaires annuel, soit 70 millions d’euros), il possède le plus important réseau de distribution entre le Bénin et le Nigeria. Chaque jour, des centaines de camions et de camionnettes pleines de poulets surgelés quittent ses entrepôts et traversent la frontière en payant des taxes de douane à rendre malades ses concurrents.
Alors, en juillet dernier, quand le gouvernement avait voulu baisser les tarifs douaniers de la filière des produits congelés importés, Ajavon avait fait des pieds et des mains pour bloquer la mesure, et avait obtenu gain de cause. Pas sûr qu’il en soit longtemps ainsi : le 21 novembre, il s’est vu retirer l’accès direct à son terminal à conteneurs de Djeffa. Il sait que, s’il décide de s’opposer frontalement au chef de l’État, il devra en payer le prix.
D’où venait la drogue ?
Le 4 novembre, la justice béninoise a relaxé Sébastien Ajavon « au bénéfice du doute » et pour « insuffisance de preuves ». Bien aidée par le manque de professionnalisme et la précipitation de la gendarmerie, elle a fait voler en éclats la thèse du trafic de drogue et l’implication directe de Sébastien Ajavon – même si l’origine de sa fortune fait l’objet des spéculations les plus folles.
Mais elle n’a pas répondu à la question que tout Cotonou se pose : d’où venaient les 18 kg de cocaïne découverts dans le conteneur de la société Comon Cajaf ? Et si manipulation il y a eu, alors d’où venait-elle ? Pointant du doigt le fait que les plombs d’origine avaient été modifiés, l’homme d’affaires a dénoncé un complot politique. Il a notamment cité le nom de Pamphile Zomahoun, directeur des services de liaison et de la documentation (DSLD, le service de renseignements de la présidence).
C’est lui qui, selon les autorités, a reçu des informations précises émanant d’un service étranger. Ce commandant de gendarmerie n’est pas un inconnu. Accusé par l’ancien régime d’avoir voulu commettre un attentat contre la personne de Boni Yayi, il avait été arrêté en mars 2013 et incarcéré pendant plus d’un an avant que le président béninois accorde son pardon à Patrice Talon.
D’autres évoquent la possibilité d’un règlement de comptes économique. « Ajavon a beaucoup d’ennemis dans le monde des affaires. Il étouffe ses concurrents, que ce soit au Bénin au Nigeria ou au Ghana », rappelle une source.
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