Nigeria : Muhammadu Buhari n’en a pas encore fini avec Boko Haram
La réforme de l’armée et une meilleure coordination avec celles de la région ont fait reculer le groupe islamiste Boko Haram. Mais son éradication est loin d’être acquise.
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Engagé dans la réforme du secteur pétrolier et dans la lutte contre la corruption, le chef de l’État nigérian doit aussi faire face à l’insécurité grandissante, entre Boko Haram et les attaques de pipelines par les militants du delta du Niger. Un combat sur plusieurs fronts auquel s’ajoutent les difficultés économiques que connaît le pays.
Nous sommes le 29 mai 2015. Muhammadu Buhari, nouveau président du Nigeria, a une mission claire : il lui faut anéantir Boko Haram. La population – comme les dirigeants des États voisins – attend des actes, là où son prédécesseur Goodluck Jonathan ne lui a offert que des faux-semblants.
Le chef d’État a un plan en tête, et il va le mettre en place méthodiquement. Il fait le ménage dans l’armée, au sens large : plus de 300 enquêtes sont lancées pour corruption dans le secteur de la sécurité, des militaires sont révoqués et certains, jetés en prison. Buhari limoge les chefs de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air, tous nommés par Goodluck Jonathan en janvier 2014.
Des hommes de confiance
Le Président place ses hommes aux postes clés et entend leur donner les moyens d’abattre Boko Haram en trois mois, comme il l’a promis à ses électeurs. Pour cela, il déplace le quartier général du commandement militaire mixte. Bye-bye Abuja et ses bureaux climatisés. Bonjour Maiduguri. Certains grincent des dents. Mais, dans les capitales de la sous-région, on attend l’heure de l’action.
Maiduguri, la capitale martyre du Nord, est au centre des attaques des jihadistes, et le chef de guerre Buhari veut rapprocher son commandement de la zone de conflits. Il a également l’intention de regagner la confiance des populations locales, plutôt hostiles à l’armée depuis 2009, et d’obtenir leur aide. Des comités de vigilance sont créés, chargés de surveiller et, surtout, de renseigner. L’armée nigériane, majoritairement composée de soldats du Sud, dispose ainsi de relais locaux, comme cela a été fait dans l’Extrême-Nord du Cameroun.
Né à Daura, près de la frontière avec le Niger, Muhammadu Buhari ne l’ignore pas : la confiance des populations est indispensable. Il promet donc beaucoup en matière de projets de développement, qu’il espère financer en assainissant le secteur pétrolier. Il obtient également un prêt de la Banque mondiale de 2,1 milliards de dollars (2 milliards d’euros) à cet effet. Enfin, Buhari tente de promouvoir un islam modéré dans la région, afin de couper Boko Haram de sa base fondamentaliste.
En mai 2016, le président invite le cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar et président du Conseil des sages musulmans, afin qu’il effectue sa première visite dans un pays d’Afrique subsaharienne. Celui-ci en profite pour désavouer Boko Haram, qui n’a selon lui rien à voir avec l’islam. L’enjeu est de taille : selon une étude du Pew Research Center publiée à la fin de 2015, 20 % des musulmans nigérians conservent une bonne image de l’État islamique, auquel s’est affilié Boko Haram.
Un rapprochement avec ses homologues
Sur le plan diplomatique, Muhammadu Buhari va rebattre les cartes. Sous Goodluck Jonathan, le Nigeria semblait se soucier comme d’une guigne de l’avis des pays voisins. L’ancien président avait des relations difficiles avec Paul Biya, était ouvertement critiqué par Idriss Déby Itno, et sa défaite à la présidentielle a été vue d’un bon œil au Niger. Son successeur se montre plus avenant. Les 3 et 4 juin 2015, pour ses deux premières visites officielles, il est au Niger et au Tchad. Le 29 juillet, il est à Yaoundé et, en mai 2016, c’est Paul Biya qui lui rend visite à Abuja.
Derrière ces échanges entre présidents, un objectif : la Force multinationale mixte (FMM), fruit de la mutualisation des armées nigériane, nigérienne, tchadienne et camerounaise contre Boko Haram. « C’est la grande réussite de Buhari », confie une source militaire. « Il a montré que l’instinct de souverainisme pouvait laisser place à la mutualisation des efforts », explique le colonel camerounais Didier Badjeck, qui salue sa décision de baser le commandement de la FMM, et son chef nigérian, au Tchad.
Peu à peu, la collaboration paie. Les soldats camerounais attaquant en territoire nigérian voient leurs homologues locaux prendre le relais dans les localités reconquises. « Auparavant, dès que nos troupes se repliaient, Boko Haram revenait », explique un responsable au ministère de la Défense du Cameroun. Même chose à la frontière du Niger, dans les localités proches de Damasak, reconquises par les armées nigérienne et tchadienne puis réinvesties par les jihadistes sitôt les soldats sur le départ. Elles sont aujourd’hui occupées par la force mixte.
Et maintenant ? Après une période d’ajustements, sous l’œil attentif et parfois impatient des Camerounais, des Nigériens et des Tchadiens, qui ne cessent de répéter que leurs plans sont prêts, Muhammadu Buhari met en branle l’armée nigériane. Celle-ci attaquera au nord-est de son territoire vers le bassin du lac Tchad et la forêt de Sambisa, base la plus importante de Boko Haram. Pendant ce temps, les Tchadiens et les Nigériens descendront le long de la frontière nigérienne, et les Camerounais agiront depuis leur Extrême-Nord.
« Auparavant, Boko Haram sentait qu’il pouvait attaquer chez les voisins puis se replier, et cela jouait sur le moral de nos troupes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, nous savons que nous avons des amis de l’autre côté de la frontière », détaille un haut gradé camerounais.
Un franc succès
Résultat de cette stratégie en tenailles : Boko Haram est affaibli comme jamais et ne semble plus capable d’opérer d’actions de grande envergure, la FMM est qualifiée de « collaboration excellente », et le soutien de la communauté internationale – États-Unis et Union européenne en tête –, mis en doute sous Goodluck Jonathan, est acquis. « Notre solution, basée sur la mutualisation de capacités africaines, pourrait devenir un exemple », s’enthousiasme Didier Badjeck.
« Muhammadu Buhari a changé la diplomatie militaire de manière remarquable », confie le ministre des Affaires étrangères nigérien, Ibrahim Yacouba. Mais il n’a cependant pas réglé définitivement le problème. « Abattre Boko Haram va nécessiter une présence permanente de l’État dans les zones libérées, la coopération de leaders locaux et de chefs religieux modérés, des programmes de développement et d’assistance humanitaire », détaille Alex Fielding, analyste pour le cabinet MAX-Security Solutions.
Or, avec la chute des cours du brut et un agenda qui pourrait lui faire porter le regard plus au sud, Buhari aura-t-il les moyens de donner l’estocade à l’organisation terroriste ? Il bénéficie encore de la confiance de ses voisins. Mais la patience ne sera peut-être pas leur fort si Boko Haram venait à reprendre du poil de la bête.
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