Génocide au Rwanda : le repentir a minima de l’Église catholique

L’enthousiasme provoqué par l’annonce d’excuses officielles de l’Église catholique concernant le génocide des Tutsis est vite retombé : ce n’est pas l’institution, encore moins le Vatican, mais des individus qui auraient failli en 1994.

Pendant le génocide, des milliers de personnes ont été exterminées dans l’église de Nyamata. © Sven Torfinn/PANOS-REA

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Publié le 2 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

«L’Église catholique du Rwanda s’excuse pour son rôle dans le génocide de 1994, vingt-deux ans après ! Mieux vaut tard que jamais ! » Le 20 novembre, réagissant sur Twitter à la demande de pardon formulée quelques heures plus tôt par la Commission épiscopale rwandaise, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, est sans doute allée un peu vite en besogne.

Lue dans plusieurs églises du pays, la déclaration symbolique des neuf évêques apparaît en effet plus circonscrite que les apparences ne le laissaient supposer. « Nous demandons pardon au nom de tous les chrétiens pour toute forme de péché commis. Nous regrettons que des membres de l’Église aient violé leurs vœux d’allégeance aux commandements de Dieu », écrivent les prélats.

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Des mains pas très propres

De là à reconnaître une responsabilité de l’institution dans le génocide commis contre les Tutsis d’avril à juillet 1994… Mgr Philippe Rukamba, le président de la Conférence épiscopale, a tenu à clarifier : « L’Église n’a pas participé au génocide », et elle ne l’a « jamais commandité ».

« C’est un grand classique pour l’Église catholique de s’excuser au nom de ses ouailles mais pas en son nom propre », analyse l’historien belge Léon Saur, spécialiste du rôle de l’Église au Rwanda et auteur d’un ouvrage de référence, Le Sabre, la Machette et le Goupillon (Mols, 2004).

Tout en reconnaissant le mérite de ces « expressions individuelles de repentir », le gouvernement rwandais rappelle quant à lui que « l’analyse des données historiques contredit [cette volonté] d’exonérer l’institution de toute responsabilité en rapport avec le génocide ». En 2014, lors de la 20e commémoration du génocide, le président Paul Kagame lui-même avait accusé l’Église catholique d’avoir « pleinement participé » à la mise en place de l’idéologie coloniale ayant créé un clivage mortifère entre Hutus et Tutsis. « Certes, l’Église n’a pas appelé à commettre le génocide, mais elle a soutenu pendant plus de trente ans un régime racialiste et raciste », ajoute Léon Saur.

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Organisation d’une stigmatisation

Décédé en Suisse en 2003, Mgr André Perraudin, longtemps archevêque de Kabgayi, a enfanté l’idéologie pernicieuse qui allait servir de carburant au génocide des Tutsis. À la fin des années 1950, le Rwanda est largement imprégné des préceptes d’une anthropologie raciale héritée du XIXe siècle que les missionnaires d’Afrique, les Pères blancs, ont contribué à répandre.

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Dans ce royaume à l’organisation sociale complexe, ils identifient trois races distinctes (Hutus, Tutsis et Twas) et imposent cette mythologie aux autochtones. Les Tutsis, perçus comme de lointaine ascendance caucasienne, sont choyés par l’administration coloniale et l’Église. Mgr Léon-Paul Classe, un missionnaire français devenu premier vicaire apostolique du Rwanda, fut un théoricien fervent de cette ethnogenèse frelatée.

Bien qu’appartenant lui aussi à la congrégation des Pères blancs, André Perraudin prendra le contre-pied de cet élitisme pro-Tutsis. À l’aube de la guerre froide, il craint de voir ces derniers basculer dans le communisme et s’émanciper de la tutelle de l’Église. En mars 1957, neuf intellectuels hutus qui lui sont proches publient une note connue sous le nom de Manifeste des Bahutu. Ce texte, qui stigmatise le « Hamite » (le Tutsi), pose les bases de l’idéologie « hutuiste ».

Deux ans plus tard, à l’occasion du carême, André Perraudin rédige une lettre pastorale qui fera date. « Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont en grande partie liées aux différences de races », écrit-il. Après les avoir longtemps marginalisés, l’Église catholique encourage les opprimés d’hier à prendre leur revanche.

Une violence croissante

En novembre 1959 éclate la Toussaint rwandaise, soutenue par l’Église. Sous prétexte de « révolution sociale », des pogroms sanglants visent les Tutsis, qui doivent fuir le pays par dizaines de milliers. Des vagues de massacres se produiront pendant plus d’une décennie, sous le regard complaisant de Mgr Perraudin. Le président de la République, Grégoire Kayibanda, n’est-il pas un ancien séminariste, un temps rédacteur en chef de la revue catholique Kinyamateka ?

En 1973, un officier hutu, Juvénal Habyarimana, renverse Grégoire Kayibanda. Les massacres contre les Tutsis perdent en intensité, mais le régime met en place un strict apartheid, qui restreint leur accès à différentes fonctions comme à l’éducation. La collusion entre l’Église et le régime se poursuit, symbolisée par l’allégeance du nouveau primat, Mgr Vincent Nsengiyumva, archevêque de Kigali, mais aussi membre dévoué du comité central du parti unique de Habyarimana, le MRND – il en démissionnera en 1990, à la demande du Vatican, à la veille de la visite au Rwanda du pape Jean-Paul II.

Lors de ce séjour, le souverain pontife se rend à Kabgayi, où il rend hommage au promoteur du suprémacisme hutu. « Je voudrais exprimer ma grande joie de trouver dans cette cathédrale l’évêque qui a pendant si longtemps comme missionnaire été votre pasteur, Mgr Perraudin », déclare-t‑il.

Un mois plus tard, le Front patriotique rwandais (FPR), une rébellion essentiellement composée de Tutsis, déferle sur Kigali depuis l’Ouganda. Durant les trois années de guerre qui suivront, « les évêques témoigneront leur soutien total au régime, condamnant le FPR et cautionnant la politique des quotas ethniques », rappelle Jean-Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG).

Églises transformées en abattoirs

En avril 1994, lorsque débute le génocide, les prêtres tutsis sont pourchassés. Jusque-là préservées des tueries, les églises, où de nombreuses personnes menacées ont cru pouvoir trouver asile, se transforment en abattoirs. Tandis que certains prêtres hutus tentent de s’interposer, de nombreux autres se feront les auxiliaires zélés des tueurs.

Le 19 avril 1994, le président de la Conférence épiscopale rwandaise publie dans L’Osservatore Romano, organe officiel du Vatican, un communiqué dans lequel il assure d’un soutien inconditionnel le gouvernement intérimaire et l’armée gouvernementale, pourtant principaux fers de lance des massacres. Le 5 juillet suivant, toujours dans L’Osservatore Romano, le cardinal Etchegaray, envoyé au Rwanda par le pape Jean-Paul II, exhorte les Rwandais à être « des frères ruisselants de pardon mutuel », alors que le pays est encore un charnier à ciel ouvert. Pour le Vatican, la « réconciliation » est censée faire litière de la justice.

« L’Église catholique a été, au Rwanda, le vecteur historique, théologique et politique d’une pastorale racialiste, estime le Français Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique critique Golias et auteur de nombreuses enquêtes sur le rôle des représentants de l’Église durant le génocide. Elle a formaté les consciences pour accomplir la basse besogne et vient aujourd’hui réaffirmer le concept d’une institution infaillible qui met sur le dos du pécheur la charge de la responsabilité du crime. » Un repentir à la fois tardif et incomplet.

Un pas vers la reconnaissance du génocide

«Cette demande de pardon marque une étape importante car elle clarifie la position des évêques rwandais, qui reconnaissent désormais sans détour le génocide des Tutsis », admet Jean-Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG). Une avancée qui, selon cet ancien séminariste longtemps exilé en France, n’était pas acquise : « Les premiers écrits niant le génocide des Tutsis sont l’œuvre de missionnaires belges. »

La Lettre des prêtres du Rwanda réfugiés à Goma, adressée au pape Jean-Paul II le 2 août 1994, est un monument de négationnisme. La responsabilité du génocide y est attribuée au FPR par une trentaine de prêtres manifestement imprégnés de l’idéologie du Hutu Power.

Plus préoccupante encore est la déclaration publiée dans L’Osservatore Romano en juin 1999. La thèse d’un double génocide y est affirmée explicitement, de même que les critiques du Vatican à l’égard du gouvernement rwandais, accusé de fomenter une « campagne de dénigrement » contre l’Église.

À l’époque, la tension entre Rome et Kigali a atteint son paroxysme en raison de la mise en cause, pour participation présumée au génocide, de l’évêque de Gikongoro, Augustin Misago, placé en détention provisoire deux mois plus tôt. En juin 2000, ce dernier est acquitté pour charges insuffisantes. Un jugement perçu par certains observateurs comme un compromis diplomatique consenti par Kigali afin de tourner la page.

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