Tunisie : le grand réveil économique ?

L’enveloppe allouée par les partenaires du pays pour financer le plan quinquennal de développement a pulvérisé toutes les attentes et pourrait marquer un nouveau départ. À condition d’être honorée et utilisée à bon escient.

Cérémonie d’ouveture de Tunisia 2020. De g. à dr. Abdelmalek Sellal, Mohamed Ennaceur, Cheikh Tamim, Béji Caïd Essebsi, Manuel Valls,Youssef Chahed et Marie-Claude Bibeau © Nicolas Fauqué/ JA

Cérémonie d’ouveture de Tunisia 2020. De g. à dr. Abdelmalek Sellal, Mohamed Ennaceur, Cheikh Tamim, Béji Caïd Essebsi, Manuel Valls,Youssef Chahed et Marie-Claude Bibeau © Nicolas Fauqué/ JA

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 13 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Trente-quatre milliards de dinars – environ 14 milliards d’euros – seront mobilisés d’ici à 2020 par les partenaires de la Tunisie pour appuyer l’investissement et financer les projets du plan quinquennal de développement. Le chiffre a pulvérisé toutes les attentes. Le pari était loin d’être gagné. Les organisateurs de la conférence internationale Tunisia 2020, pilotée avec brio par Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement et de l’Investissement, s’étaient d’ailleurs prudemment abstenus de communiquer des objectifs chiffrés avant le grand rendez-vous des 29 et 30 novembre.

Beaucoup, à Tunis, pensaient qu’il était illusoire d’attendre de la communauté internationale un quelconque soutien appuyé. Chacun avait en mémoire les promesses non tenues du sommet du G8 à Deauville, en mai 2011. Les difficultés de la transition politique, la lenteur des réformes, l’instabilité gouvernementale – un remaniement avait été opéré en août –, le terrorisme, les tensions sociales et la montée des populismes en Europe et aux États-Unis, autant d’éléments qui, il est vrai, n’incitaient guère à l’optimisme et risquaient fort d’occulter les atouts et l’attractivité de la Tunisie en tant que site prometteur.

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Et une contradiction : l’investissement, tombé à un taux historiquement bas (19,4 % du PIB), est le talon d’Achille d’une économie tunisienne pourtant diversifiée, riche en compétences, aux portes de l’Europe et qui offre des coûts de production compétitifs.

Retour en force de la Tunisie

Le succès de Tunisia 2020 est donc une formidable opération de communication à double usage, externe et interne, qui va restaurer la confiance. « Tunisia is back », se plaisaient à répéter les participants à la conférence, sur laquelle a soufflé un fort vent d’optimisme deux jours durant. L’organisation a reçu 4 500 demandes d’accréditation, alors que le Palais des congrès ne pouvait accueillir que 2 000 personnes !

Des mesures exceptionnelles ont été prises pour assurer la sécurité du périmètre de la manifestation sans perturber outre mesure la circulation, ce qui est une réelle prouesse. La cérémonie officielle d’ouverture s’est déroulée pratiquement sans fausse note.

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Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha, Yassine Brahim, celui d’Afek Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nidaa Tounes, Ahmed Néjib Chebbi, fondateur d’Al-Joumhouri, et les anciens Premiers ministres Ali Larayedh et Mehdi Jomâa étaient installés bien en vue au premier rang. Un seul siège est resté ostensiblement vide : celui de Moncef Marzouki.

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L’ex-président, pourtant invité, n’a pas jugé utile de faire le déplacement. L’intervention de Houcine Abassi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), colauréat du prix Nobel de la paix 2015, restera comme l’un des symboles marquants de cette matinée du 29 novembre. Le patron de la centrale syndicale, pourtant en conflit ouvert avec le gouvernement, a remercié les amis et les partenaires de la Tunisie et a lui aussi promis que le pays ne les décevrait pas.

Investissements étrangers

Côté invités étrangers, un chef d’État – Cheikh Tamim, l’émir du Qatar –, deux chefs de gouvernement, le Français Manuel Valls et l’Algérien Abdelmalek Sellal, et deux anciens présidents, l’Allemand Christian Wulff et le Suisse Samuel Schmid, ont fait le voyage. Tamim, qui a succédé à la tribune au président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a réitéré l’engagement de son pays (coparrain de la conférence, avec la France) aux côtés de la Tunisie.

Il a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 1,25 milliard de dollars (1,18 milliard d’euros) : une tranche de 500 millions sous forme de prêt, une autre sous forme de dépôt à la Banque centrale, pour stabiliser le cours du dinar, et 250 millions destinés à l’investissement. Les entreprises qataries sont venues en force dans le sillage de l’émir.

La chaîne hôtelière La Cigale injectera ainsi 200 millions de dollars pour transformer le mythique complexe Dar Naouar, à Gammarth. Les autorités tunisiennes ont également finalisé la cession de gré à gré à Qtel des 10 % qu’elles détenaient encore dans Ooredoo, premier opérateur privé de télécommunications.

La transaction, d’un montant de 240 millions de dollars, renflouera les caisses de l’État. L’axe Tunis-Doha, qui s’était formé entre 2011 et 2014 sous le gouvernement de la troïka, est donc ressuscité, au détriment de Riyad (l’Arabie saoudite, qui devrait mobiliser 500 millions de dollars, n’était représentée que par le vice-président du Fonds saoudien pour le développement).

nstallés bien en vue, les principaux acteurs politiques de la transition démocratique. © Nicolas Fauqué / JA

nstallés bien en vue, les principaux acteurs politiques de la transition démocratique. © Nicolas Fauqué / JA

Les Européens, très critiqués pour leur frilosité, ont cette fois répondu présent. L’Agence française de développement (AFD) mobilisera 250 millions d’euros par an jusqu’en 2020, a promis Manuel Valls. Le Premier ministre français était accompagné par une délégation d’une cinquantaine d’hommes d’affaires, et sa visite a aussi permis de nouer un partenariat industriel entre Peugeot et Stafim pour l’assemblage et la commercialisation d’un pick-up de la marque au lion en Tunisie. L’Allemagne s’est engagée pour 260 millions de dinars, tout comme la Suisse. L’effort le plus important sera consenti par la Banque européenne d’investissement (BEI).

Son président, Werner Hoyer, a signé une convention portant sur la mise à disposition de 2,5 milliards d’euros d’ici à 2020, auxquels il faudra ajouter, notamment, 123 millions d’euros pour la construction du pont de Bizerte, ainsi qu’un financement de 100 millions d’euros au profit de Tunisie Telecom afin de soutenir le développement du réseau wifi de quatrième génération dans les régions intérieures. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) va octroyer 600 millions d’euros pour appuyer les secteurs des infrastructures et de l’énergie.

Washington et Abou Dhabi, les grands absents

« Ces résultats sont au-delà de nos attentes, se réjouit Mourad Fradi, le commissaire général de la conférence, omniprésent tout au long des deux jours. Notre discours offensif a fini par porter. Nous avons un peu bousculé nos interlocuteurs, à Bruxelles, en expliquant que la conférence de novembre était le rendez-vous de la dernière chance pour aider la Tunisie. Le plus important, au-delà des chiffres, c’est la dynamique créée, qui va permettre aux investisseurs potentiels de mesurer le soutien dont bénéficie désormais notre pays. »

La montée des périls dans son environnement proche, avec le retour en force de la Russie, la dérive autoritaire turque, la désintégration de la Syrie et de la Libye et les incertitudes algériennes, expliquent sans doute le sursaut européen. L’UE a en effet intérêt à consolider les fragiles acquis de la transition tunisienne et l’ancrage démocratique du pays situé à sa frontière Sud.

Ces annonces européennes spectaculaires soulignent, par contraste, la faible implication américaine. Washington avait dépêché un simple secrétaire adjoint au commerce, Arun Kumar.

Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, a promis aux partenaires internationaux que le pays ne les décevrait pas. © Nicolas Fauqué / JA

Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, a promis aux partenaires internationaux que le pays ne les décevrait pas. © Nicolas Fauqué / JA

La victoire de Donald Trump, des intentions de qui on ignore tout, a bouleversé les plans de l’Administration Obama, qui avait initialement envisagé d’envoyer le vice-président Joe Biden ou le secrétaire d’État John Kerry. Mais l’absence la plus remarquable est celle des Émirats arabes unis, qui n’ont pas envoyé de représentant, signe que les relations entre Abou Dhabi et Tunis, parasitées par une série de frictions et de malentendus, sont au plus bas.

Jadis très présents et très impliqués dans de « grands projets immobiliers », qui ont pour la plupart avorté, à l’instar de la ville nouvelle de Sama Dubaï, à Radès, les Émiratis se désengagent. Emirates International Telecom va ainsi céder les 35 % des parts qu’il détient dans Tunisie Telecom et est entré en négociation exclusive avec le fonds d’investissement Abraaj Group, basé lui aussi à Dubaï : une solution qui présente l’avantage d’écarter les Turcs de Turkcell, également candidats au rachat de cette participation stratégique.

Nous ne pouvons pas nous permettre de dilapider le capital confiance qui s’est exprimé pendant cette conférence.

Cette pluie de dollars et d’euros change la donne, psychologiquement, mais cette euphorie ne fera pas disparaître les problèmes comme par enchantement. Les tensions autour du vote de la loi de finances 2017 demeurent, et l’UGTT, opposée au gel des salaires des fonctionnaires, a maintenu son appel à une grève générale dans la fonction publique le 8 décembre.

« Le dialogue va se poursuivre, mais nous allons tenir bon sur le budget, explique Iyed Dahmani, ministre des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement. Nous n’avons pas le choix. Il y va de notre crédibilité. Nous devons tous faire des efforts pour mériter la confiance. Il n’est pas question d’annuler, mais de reporter les augmentations salariales. Il existe un espace de négociation pour 2018, mais avant cela il faut impérativement stabiliser la masse salariale de la fonction publique en 2017, car elle représente 14 % du PIB, ce qui est énorme. Nous ne pouvons pas nous permettre de dilapider le capital confiance qui s’est exprimé pendant cette conférence. Le succès de celle-ci montre que, si nous faisons des efforts, nous serons récompensés. Je pense que ce langage de vérité peut être entendu et compris de tous. »

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