Hommage : Ousmane Sow, le magicien de la terre

Le sculpteur sénégalais, qui avait célébré les Noubas, les Peuls, les Masaïs, les Cheyennes et les Sioux, est décédé le 1er décembre à Dakar. Ses obsèques auront lieu mardi 6 décembre à Dakar, en présence du président sénégalais Macky Sall.

Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow lors de sa réception à l’Académie française, le 11 décembre 2013, à Paris. © Remy de la Mauviniere/AP/SIPA

Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow lors de sa réception à l’Académie française, le 11 décembre 2013, à Paris. © Remy de la Mauviniere/AP/SIPA

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 5 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

La lumière était magnifique, ce jour-là, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse. Tranquillement attablé au soleil, dans un restaurant, Ousmane Sow laissait errer son regard au-delà des grands arbres, y notant sans doute un scintillement, une matière, une vibration que ses yeux d’artiste transmettraient ensuite à ses mains d’artiste pour qu’elles modèlent la terre à l’image du monde et lui insufflent la vie.

S’il était à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, en banlieue parisienne, c’était pourtant pour transformer cette terre d’Afrique malaxée à sa sauce en bronze indestructible, à la manière des sculpteurs occidentaux que fascinent la durabilité prétentieuse du marbre ou du métal. « Je fais des choses qui sont appréciées et qui émeuvent, mais ce ne sont que des objets, confiait-il alors. Mes sculptures ne peuvent pas se déplacer quand il pleut. Toutes les créatures de Dieu peuvent, elles, aller s’abriter. »

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Un héritage éternel

Bien que tout à fait conscient de la vanité de l’art, l’artiste sénégalais avait finalement décidé, après bien des hésitations, de faire couler en bronze certaines de ses œuvres les plus emblématiques. Il avait fait confiance pour cela à la Fonderie de Coubertin, où des dizaines d’artisans l’avaient aidé à rendre la texture de sa matière, si personnelle, avec un métal aux propriétés bien différentes.

Les fantômes de Bourdelle et de Rodin hantaient les lieux, où l’odeur de la cire chaude, la poussière de plâtre réfractaire, les étincelles des chalumeaux et le métal en fusion créaient une atmosphère de forge infernale. En démiurge attentif, Ousmane Sow présidait à la seconde naissance de ses œuvres, le geste doux, la voix grave et puissante.

Il faut faire comme si l’on avait mille ans à vivre et être conscient qu’on peut mourir d’un instant à l’autre

À l’époque, il envisageait de bâtir un panthéon à son goût, son musée des grands hommes où il aurait placé d’abord son père, Moctar, puis tous ceux qui avaient tant compté pour lui et pour l’Afrique : Nelson Mandela, bien sûr, mais aussi Mohamed Ali, Toussaint Louverture, Charles de Gaulle, Gandhi, Rosa Parks, Martin Luther King, voire l’héroïne de la résistance en Casamance, Aline Sitoé Diatta. « Je voudrais voir ce projet réalisé avant de partir, affirmait-il. Comme je le dis souvent, il faut faire comme si l’on avait mille ans à vivre et être conscient qu’on peut mourir d’un instant à l’autre. »

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La mort, toujours présente

L’instant est venu à Dakar le 1er décembre 2016, à 5 h 30 du matin. Celle qui fut sa compagne et, d’une certaine manière, son imprésario, la réalisatrice Béatrice Soulé, l’a annoncé avec un message sobre : « Ousmane nous a quittés ce matin, emportant avec lui rêves et projets que son organisme, trop fatigué, n’a pas voulu suivre. Depuis six mois où il a été de nombreuses fois hospitalisé, il a été très entouré affectivement et très bien pris en charge médicalement, tant à Paris qu’à Dakar, à l’hôpital Pompidou comme à l’Hôpital principal. » Ousmane Sow avait 81 ans.

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Quand il évoquait son enfance, l’artiste pouvait se montrer sentimental, rappelant l’importance de la figure paternelle dans son éducation, évoquant une sombre période de l’Histoire. « Ma jeunesse a coïncidé avec la guerre, confiait-il. J’ai eu très rapidement un contact avec la mort. » Cette mort, elle était venue avec la bataille de Dakar, qui, en septembre 1940, avait opposé au large de la ville et sur la presqu’île du Cap-Vert les Forces françaises libres et leurs alliés britanniques aux forces de Vichy.

Cette mort, elle était venue aussi avec l’épidémie de peste qui avait frappé, en 1944, à la porte de la famille Sow. Inutile de se lamenter, pourtant, l’artiste était un incurable optimiste, et les souvenirs de son enfance étaient heureux : « On avait l’impression qu’il n’y avait pas de vie individuelle, pas de personnalité distincte tellement on s’entendait bien. »

S’exprimer avec la terre

À 22 ans, en 1957, Ousmane Sow rejoint la France, où il multiplie les petits boulots et, sans abri, passe bien des nuits dans des commissariats où, à l’époque, il est possible de trouver refuge. « Désormais, et même s’il a ses papiers, un immigré n’ira pas demander le gîte à la police, racontait-il en riant. Cette histoire a l’air de dater de cent ans, mais elle montre bien l’évolution des mentalités… »

Devenu kinésithérapeute, il rentre au pays au début des années 1960. La sculpture l’accompagne depuis longtemps, depuis qu’il taille des morceaux de calcaire ramassés sur la plage, mais il prend son temps, rien ne presse. Quand il n’est pas content, il détruit. Quand des amis essaient de l’en empêcher et entendent récupérer l’objet de son dédain, il leur dit : « Dans ce cas-là, tu ne me verras plus chez toi. »

En 1980, travaillant la terre à sa manière, il trouve enfin son langage et s’engage corps et âme dans la période la plus créative de sa vie

En 1980, travaillant la terre à sa manière, il trouve enfin son langage et s’engage corps et âme dans la période la plus créative de sa vie. Le « Nouba assis » et le « Nouba debout » inaugurent les séries qui assureront sa célébrité internationale : Nouba, Zoulou, Masaï. En 1999, l’exposition organisée par Béatrice Soulé sur le pont des Arts, à Paris, attirera quelque trois millions de visiteurs. Avec une pièce maîtresse exceptionnelle, visionnaire, La Bataille de Little Big Horn.

En forgeant dans la terre africaine la grande victoire des Sioux et des Cheyennes rassemblés par Sitting Bull et emmenés par Crazy Horse, il noue un lien profond entre les peuples opprimés, par-delà le ventre de l’Atlantique, où périrent tant d’Africains. Massives, enracinées telles des baobabs dans le sol où elles sont nées, les sculptures de Sow expriment une violence contenue, une vitalité tellurique, une puissance mêlant le minéral, le végétal et l’animal. Elles ne sont pas mortes, elles résistent au poids du ciel, s’arc-boutent, s’étreignent, s’enlacent.

Un « anartiste » de renom

Créateur solaire et solitaire habité par sa vision, Ousmane Sow ne s’imaginait pas en chef de file. « Je n’ai rien à apporter aux jeunes artistes du point de vue technique, disait-il. Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur ce qu’ils font. Tout juste puis-je dire si ça me plaît. Je crois que seule ma démarche peut leur servir : ne pas être pressé d’arriver, ne pas dépendre d’une institution comme le gouvernement. »

Une position de retrait calculé qui, au fond, l’éloignera d’un marché de l’art contemporain qui le regardait de haut. « On n’est pas pressés, on ne se rue pas sur les trucs à la mode, et, jusqu’à présent, ça nous a plutôt réussi, poursuivait-il. Les galeristes vous demandent de créer avec une cadence qu’ils déterminent. Moi, je prends mon temps. »

Présentées en vente aux enchères en décembre 2009, seules deux œuvres originales d’une série de dix trouveront preneurs chez Christie’s (pour 100 000 et 60 000 euros). Déception ? Sans doute un peu, mais « l’anartiste » suit son propre tempo, vivant de la vente de petits bronzes et de commandes publiques pour des villes comme Genève ou Besançon, où se dressent aujourd’hui son Immigré et son Victor Hugo.

Diamniadio, près de Dakar, aura bientôt la sienne, Le Paysan, commandée par la présidence de la République. Cela aurait pu arriver avant, puisque Ousmane Sow en avait parlé à Abdoulaye Wade. Mais l’ancien président sénégalais avait préféré un style asiatique bien particulier.

« Wade m’a dit qu’il voulait faire une statue plus grande que celle de la Liberté, à New York, sans même se demander si le sol pouvait la porter, racontait-il, un brin amer. Aujourd’hui, je demande d’avance pardon aux Sénégalais pour ce qu’ils vont voir. Les Nord-Coréens sont en train d’apprendre à leurs dépens que réaliser une sculpture avec un paysage, ce n’est pas faire le portrait de Kim Il-sung ! » Ainsi est né le Monument de la renaissance, aux Almadies.

Académicien

Fidèle à la France, qu’il voulait généreuse et qui le fut avec lui, Ousmane s’était installé à l’Académie des beaux-arts en décembre 2013, dans la section membre associé étranger, alors que le monde pleurait le héros de la lutte contre l’apartheid. « Comme mon confrère et compatriote sénégalais Léopold Sédar Senghor, élu à l’Académie française il y a trente ans, je suis africaniste, avait-il alors déclaré. Dans cet esprit, je dédie cette cérémonie à l’Afrique tout entière, à sa diaspora, et aussi au grand homme qui vient de nous quitter, Nelson Mandela. »

Trois ans plus tard, c’est lui qui s’en va, emportant hors de notre vue sa silhouette prométhéenne, ses mains d’artiste et ses yeux pétillants de joie. Il avait conclu un pacte avec la terre, elle lui sera légère.

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