Cinéma : Hafsia Herzi, graine d’avenir
À l’affiche du film « Sex Doll », la jeune pousse découverte par Abdellatif Kechiche joue encore une fois la jolie plante pour le cinéma français. Mais elle commence à s’émanciper.
Les joues sont peut-être un peu plus creusées, les paupières plus lourdes… mais Hafsia Herzi, à 29 ans, a toujours des airs d’adulescente. Top rose pailleté, baskets, sac Lacoste, la Lolita des quartiers nord de Marseille affleure encore dans ses mines parfois boudeuses. Dans cette manière de claquer sans façon la bise aux copines du bureau de presse Guerrar and Co avant l’entretien. Dans l’accent qu’elle a essayé d’aplatir à coups de cours de diction, à Paris, mais qui revient, insoumis, chanter sur sa langue.
On se dit que peut-être la jeune fille en fleur qui crevait l’écran dans La Graine et le Mulet, le long-métrage réalisé par Abdellatif Kechiche, n’a pas tant changé que ça, même si neuf années ont passé depuis la sortie du film. On aurait tort. César du meilleur espoir féminin, alors qu’elle n’avait presque aucune expérience de la caméra, la jeune pousse a gagné en maturité. Elle n’a pas ménagé ses efforts pour se faire durablement une place dans le milieu du cinéma, échapper aux clichés et faire entendre sa propre voix.
Une facilité d’adaptation aux personnages incarnés
Sex Doll, de Sylvie Verheyde, qui sort en France le 7 décembre, permet peut-être à la bientôt trentenaire de boucler la boucle. Ado devenant femme chez Kechiche, hypnotisant le public dans l’une des danses du ventre les plus sensuelles du cinéma, elle incarne cette fois une petite fille coincée dans un corps de femme. Son personnage, Virginie, est ce que l’on appelle pudiquement une call-girl, une prostituée de luxe qui se vend aux hommes d’affaires de Londres.
Mais la professionnelle du coït, experte dans les jeux érotiques les plus tordus, ne connaît rien à l’amour. Dans Sex Doll, son prince charmant se présente sous les traits de Rupert (l’acteur et mannequin britannique Ash Stymest), un petit dur tatoué à gueule d’ange qui tente de briser des réseaux de jeunes prostituées.
À en croire la cinéaste Sylvie Verheyde, Hafsia Herzi s’imposait naturellement pour le premier rôle féminin : « Hafsia était l’actrice idéale parce qu’elle a une palette de jeu incroyable. Elle peut être tour à tour douce, dure, fragile, avoir l’air d’une femme et la seconde suivante ressembler à une gamine de 12 ans. » Actrice élastique, Hafsia change même de corpulence au gré des rôles.
« Pour La Graine et le Mulet, il avait fallu que je prenne quinze kilos pour la danse du ventre, cette fois, j’ai dû en perdre cinq en salle de sport avant le tournage pour être crédible ! Ces filles sont ultra fit et musclées. En plus de ça, des talons à leur maquillage, elles sont nickel, des pieds à la tête. » Elle et la réalisatrice ont rencontré trois « escorts », dans des cafés, et parlé longuement avec elles. Une requête de l’actrice pour pouvoir aborder sérieusement son rôle.
Incontournables origines maghrébines
Hafsia Herzi avoue avoir été impatiente de tourner. « On ne m’a jamais vue comme ça », lance-t-elle. On rétorque qu’elle a déjà plusieurs fois campé des filles de joie : dans L’Apollonide, de Bertrand Bonello, ou dans Fugues marocaines, de Caroline Link. « Oui, mais cette fois c’est une prostituée de luxe ! Pas une prostituée du bled… Je sors de mon milieu. » C’est dire à quel point la jeune femme incarne une sensualité « exotique » à l’écran, descendante lointaine des beautés du harem, de cet Orient lascif qui faisait tant fantasmer l’Occident colonial du XIXe siècle. C’est dire aussi qu’elle est très souvent renvoyée à ses origines maghrébines.
Cette fille d’un père tunisien et d’une mère algérienne, née à Manosque, se définit avant tout comme une actrice française. Si elle ne s’est pas rendue souvent sur les terres de ses parents étant petite, par manque d’argent, elle a néanmoins déjà beaucoup tourné en Afrique du Nord, notamment pour l’Algérien Mahmoud Zemmouri (Certifiée halal), les Tunisiens Raja Amari (Les Secrets) et Mehdi Ben Attia. Le film de ce dernier, L’Amour des hommes, prévu pour 2017, raconte la quête amoureuse et sexuelle (encore) d’une jeune femme à Tunis.
« Je ne vois pas spécialement de différence entre les manières de concevoir le cinéma d’une rive à l’autre de la Méditerranée, remarque-t-elle. Tout dépend surtout de l’univers du réalisateur. Après il faut dire la vérité : au bled il n’y a pas trop de moyens. En Algérie, c’est souvent le bordel. Le secteur manque d’argent, de professionnels techniques bien formés… Ce que je sais en tout cas, c’est que lorsque je tourne en Afrique du Nord je me sens bien. »
Petit à petit, avec l’âge et le métier, l’actrice échappe aux stéréotypes. On la verra bientôt dans le rôle d’une policière dans Fleuve noir, d’Erick Zonca. Et elle reprend du service pour Abdellatif Kechiche, dans son prochain film, Mektoub Is Mektoub, où elle incarne, révèle-t-elle, « une femme plus mature, une tata ». Compagnon de route depuis La Graine et le Mulet, vrai ami, Kechiche est aussi le producteur du premier long-métrage que Hafsia Herzi a commencé à tourner : Bonnes Mères.
Un hommage à sa mère
Car c’est aussi en passant derrière la caméra que la jeune femme se réinvente. Et pour ce premier film, elle a choisi un sujet autobiographique. « C’est l’histoire d’une mère de famille maghrébine d’une soixantaine d’années, dans les quartiers nord de Marseille, femme de ménage dans les avions, que l’on suit jusqu’au procès de l’un de ses fils. » Cette mère courage pourrait être la sienne, qui s’est occupée seule de sa famille après la disparition du père.
Mais le projet de Hafsia Herzi est plus ambitieux. « Je veux montrer l’abandon de ces quartiers, de ces gens, le chômage, ce que c’est que de vivre dans un trou insalubre… Je sais qu’on ne fera pas 10 millions d’entrées, que le sujet est difficile, même si je n’ai jamais autant rigolé que là-bas. »
Elle raconte le tournage à Marseille, fauché. « Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude du système D, ça m’arrive aussi de jouer gratuitement si le projet me tient à cœur », précise-t-elle. Son frère Mohammed, propulsé directeur de casting, qui se prend un peu trop au jeu. « Il poussait les candidats à bout pour voir ce qu’ils avaient dans le ventre ! Il leur criait dessus, cassait des chaises, faisait tellement de boucan que les vigiles de l’immeuble dans lequel ça se passait sont intervenus ! »
Et sa mère à qui elle racontait le scénario, et qui y reconnaissait des tranches de vie. « Je lui devais ce film, à elle et à toutes celles qui se battent pour les autres dans l’indifférence. Toutes celles qui sont là mais qu’on ne voit plus, comme si elles étaient des fantômes de la société. » Enfin, visiblement émue par son sujet, Hafsia Herzi cesse d’être un corps pour devenir une voix.
La poupée qui dit non
Amateurs d’érotisme appâtés par les lèvres de Hafsia Herzi se détachant en rose bonbon sur l’affiche, passez votre chemin. La sensualité est bien peu présente dans Sex Doll. Au mieux aperçoit-on en très gros plan les visages blanchâtres de gras Britanniques défigurés par la jouissance. Dans ce long-métrage, le sexe tarifé est administré de façon chirurgicale, sans sourire et sans plaisir.
D’ailleurs le vrai sujet n’est pas là, mais bien dans la quête intime du personnage principal, Virginie, qui cherche l’amour mais aussi, comme l’explique la réalisatrice Sylvie Verheyde « une part d’enfance, d’innocence dans le monde cruel qu’elle s’est choisi ». Filmé avec peu de moyens, en un mois seulement, ce conte de fées moderne peine néanmoins à décoller.
Londres est tout juste esquissé, les personnages sont souvent étrangement désincarnés, et l’intrigue tarde à se mettre en place. Bref, cette Sex Doll, malgré de bonnes idées de réalisation, manque un peu trop de chair pour qu’on se sente vraiment happé par son histoire.
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