France : « Aborder la colonisation en classe demande parfois une grande pédagogie »

« Voilà vingt-cinq ans que j’enseigne, et les choses ont bien évolué. Au départ l’accent était mis sur les débouchés économiques de la colonisation, l’esprit d’aventure des colons et la course à la puissance, mais progressivement les questions des erreurs commises, de la perception et de l’exploitation du colonisé ont été placées au centre du cours », constate Ludovic Mouton, directeur du collège de l’Assomption-Lübeck, à Paris, où il enseigne l’histoire.

Dans une salle de classe, en France, en  octobre 2012. © Christophe Ena/AP/SIPA

Dans une salle de classe, en France, en octobre 2012. © Christophe Ena/AP/SIPA

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Publié le 13 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Carte des possessions italiennes en Afrique (1896). © Bibliothèque nationale de France
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Colonisation : qu’en dit l’école ?

Dans une Europe en pleine crise identitaire, l’enseignement du passé colonial dans les écoles fait débat. Que disent vraiment les manuels scolaires sur cette période ? De Berlin à Londres, en passant par Bruxelles, Paris, Rome et Lisbonne, Jeune Afrique a mené l’enquête.

Sommaire

Affirmation du « devoir de mémoire » dans les années 1990, promotion de la « diversité » contre le racisme et le communautarisme pendant la décennie 2000, ces grands débats qui ont animé – et souvent divisé – la société française ont influencé les contenus des programmes, à propos des colonies en premier lieu.

En 1985, l’actuel ministre des Finances, Michel Sapin, alors député socialiste, pouvait regretter à l’Assemblée nationale qu’une « présentation trop univoque de l’histoire trouble la perception que les enfants peuvent avoir de l’action de leurs parents ».

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En cause, les manuels scolaires des éditions Nathan édités en 1983, qui avaient osé briser le tabou du massacre de Sétif, en Algérie, où, en mai 1945, l’armée française avait étouffé des manifestations « indigènes » en faisant des milliers de morts. « Torture, exécutions sommaires sont cependant niées par les autorités, et les rares journaux français qui les dénoncent sont saisis », précisait le texte.

Des épisodes sanglants

Si la controverse est aujourd’hui dépassée, la même maison, dans son édition de 2012, consacrait deux pages d’études à « la mémoire de deux massacres à Paris : 17 octobre 1961 (manifestation du FLN) et 8 février 1962 (affaire de la station de métro Charonne) ».

Le cinquantenaire de la répression sanglante des manifestations pour l’indépendance de l’Algérie venait d’être célébré, et le président François Hollande avait déclaré : « La République reconnaît avec lucidité ces faits. » Sa repentance avait aussitôt déclenché les foudres de la droite, qui accusait le chef de l’État de mettre ainsi en péril la cohésion nationale.

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« Il y a dans l’élaboration des programmes une volonté de coller à l’actualité qui s’est traduite, dans ce cas, par des levées de boucliers des partisans de l’ex-Algérie française. Or il faut faire très attention car l’histoire doit enseigner comment vivre ensemble et veiller à ne pas monter les gens les uns contre les autres. Quand se côtoient dans les classes des descendants de tirailleurs, de rapatriés, de harkis et de combattants indépendantistes, aborder de tels épisodes demande une grande pédagogie », commente Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie.

Ludovic Mouton, qui a enseigné dans les 19e et 20e arrondissements de la capitale française avant d’exercer dans le 16e, bien plus bourgeois, confirme : « Il faut faire très attention à ce que l’on dit sur le sujet dans les classes marquées par une forte diversité. Ce chapitre fait partie d’une actualité brûlante pour les familles de ces élèves alors que, dans le 16e arrondissement, il est considéré comme faisant partie du passé. »

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Question algérienne

L’impact pédagogique des débats mémoriels sur la question algérienne est d’autant plus profond que celle-ci est centrale dans l’enseignement du passé colonial de la France. Si les manuels relèvent que « l’Algérie est l’unique colonie de peuplement française » (Magnard, classes de première, 2015), le programme officiel de l’Éducation nationale fait de son cas dramatique l’exemple des conquêtes et des indépendances.

Cette prépondérance algérienne réduit à la portion congrue la place accordée aux autres cas en Asie et en Afrique française, subsaharienne notamment. L’étude d’un texte d’Albert Londres sur le recours au travail forcé des populations indigènes pour la construction du chemin de fer Congo-Océan (20 000 morts) est ainsi la seule référence détaillée à la zone dans le manuel Magnard de première, tandis que, dans celui des éditions Hatier destiné aux élèves de troisième, la page de cours déjà très synthétique titrée « Indépendances et nouveaux États » résume ainsi la fin de la domination française dans les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale : « La décolonisation de l’Afrique noire a lieu pacifiquement au début des années 1960. »

Autre débat inscrit dans les manuels scolaires, celui sur « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Un aspect que le président Jacques Chirac avait, en vain, voulu faire graver dans le marbre de la loi en 2005. Éducation, santé et infrastructures… Les apports de la colonisation française ne sont pas ignorés mais très relativisés. Selon le livre de première de la maison Magnard, ces avancées « servent de justification à la domination ».

Certes, « les progrès font reculer les causes de mortalité infantile, mais des “cobayes humains” sont sacrifiés ». Et l’étude de cas de la ligne Congo-Océan rappelle le prix exorbitant payé par les colonisés pour des outils qui n’avaient d’autre finalité que l’exploitation des richesses locales par les colons.

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