Maroc : Samira Sitaïl, reine du PAM

Louée par les uns, honnie par les autres, la directrice générale de l’information de 2M ne laisse personne indifférent. Portrait de Samira Sitaïl, figure de proue du paysage audiovisuel marocain (PAM).

Samira Sitail, directrice adjointe et de l’information de la chaîne de télévision publique Marocaine 2M, casablanca, 05 décembre 2013 © Guillaume Mollé pour JA

Samira Sitail, directrice adjointe et de l’information de la chaîne de télévision publique Marocaine 2M, casablanca, 05 décembre 2013 © Guillaume Mollé pour JA

fahhd iraqi

Publié le 14 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Pour ce patron d’un grand parti politique, « 2M, c’est Samira Sitaïl ! Mais Samira Sitaïl n’est pas que 2M ! » C’est ainsi qu’il fait le parallèle entre la chaîne de télévision la plus influente du royaume (30 % de parts d’audience) et sa directrice générale chargée de l’information, non moins influente. Le nom de Sitaïl est effectivement cité pour tout ce qui a trait à la chaîne casablancaise. Souvent, c’est pour pointer, à tort, la médiocrité de la chaîne et décrédibiliser sa directrice de l’information.

Dernier exemple en date, le 23 novembre, quand 2M diffuse dans une émission féminine un sujet sur les techniques de maquillage permettant aux femmes de dissimuler les traces de coups. Un angle tordu pour couvrir la Journée mondiale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La bourde va alors rapidement enflammer la « twittoma », qui de nouveau demande la tête de Sitaïl. Mais la grande prêtresse du paysage audiovisuel, qui en a vu d’autres, garde la tête froide.

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Deux jours plus tard, le présentateur du JT lit un communiqué de 2M où la chaîne présente ses « excuses » pour cette « erreur d’appréciation éditoriale », tout en soulignant que l’émission en question relève de la direction des programmes. En clair, la direction de l’information, qui dépend de Samira Sitaïl, n’est pas concernée.

Féministe

C’est que Samira Sitaïl n’est pas femme à se laisser marcher sur les pieds. Et ce n’est certainement pas sur le terrain du féminisme qu’on risque de la prendre en faute. « Si je m’appelais Samir et non Samira, j’aurais certainement subi moins d’attaques », affirme cette féministe de la première heure. Ce sont d’ailleurs ses premiers reportages sociétaux sur le sida ou la prostitution qui ont fait sa réputation lorsqu’elle était à la Radio télévision marocaine (RTM), où elle est entrée à 23 ans.

« Ces sujets étaient encore tabous à une époque où on avait un ministère de l’Intérieur et de l’Information », se rappelle-t-elle. Le journalisme, elle y est tombée un peu par hasard. « Enfant, je ne me suis jamais dit que j’allais faire de la télévision », nous confie-t-elle.

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C’est d’ailleurs lorsqu’elle parle de son enfance et de ses parents que Samira Sitaïl fend sa carapace de « dame de fer » pleine d’assurance pour dévoiler une fragilité touchante. Native de Bourg-la-Reine, en région parisienne, elle est la cadette d’une fratrie de neuf enfants. Son père fait partie de cette première vague d’immigrés recrutés pour reconstruire la France.

« Il a travaillé toute sa vie dans le bâtiment et nous a inculqué ses valeurs, qui sont le travail, le patriotisme, la tolérance, la famille et la franchise », lance-t-elle en essuyant une petite larme du revers d’une main et en saisissant une cigarette de l’autre. « Je me suis remise à fumer quand j’ai appris sa mort, à l’été 2015, alors que j’avais arrêté depuis quatre mois. J’étais en Floride, à 10 000 km de la famille, je ne trouvais pas de vol, j’ai failli devenir folle… », nous souffle-t-elle.

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Du baby-sitting au JT

Son visage s’illumine quand on évoque son premier mentor : Hubert Machtou, journaliste émérite et ancien conseiller de Raymond Barre. « C’est une amie qui m’avait trouvé un job de baby-sitter chez lui. Il m’a fait aimer le métier de journaliste », nous raconte celle qui poursuivait à l’époque des études de langues entre Paris VII et l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Son concours raté à l’Institut français de géopolitique ne la dissuade pas pour autant de poursuivre dans cette voie.

Elle se rabat alors sur l’École supérieure de réalisation audiovisuelle. « J’avais fait à peine quelques stages à TF1, Canal+ et Antenne 2. Je n’en suis donc pas revenue lorsque la RTM m’a proposé un job, alors que je voulais juste y tenter ma chance pendant mes vacances au Maroc », se souvient-elle. Le pays, elle ne le quittera plus, et sa carrière va connaître un essor fulgurant. Elle devient au bout de quelques mois la présentatrice du journal télévisé en français de la RTM et elle est naturellement repérée pour rejoindre l’équipe de 2M, créée en 1989 par ONA, le groupe privé de feu Hassan II, avant d’être nationalisée quelques années plus tard.

L’intervieweuse en chef voit défiler sur son plateau des personnalités de poids comme Nelson Mandela

Au sein de la nouvelle chaîne casablancaise souffle un vent de liberté, et Samira Sitaïl en devient très vite la vedette incontestée, une intervieweuse en chef qui voit défiler sur son plateau des personnalités de poids comme Nelson Mandela. Son émission Pour tout vous dire devient la vitrine d’information par excellence de la chaîne, avant qu’elle l’arrête une fois nommée directrice de l’information, en 2001.

Déjà à l’époque, le microcosme médiatique ne donnait pas cher de sa peau, mais Samira Sitaïl est restée fidèle au poste contre vents et marées. « Si le conseil d’administration de la chaîne avait trouvé que je manquais de professionnalisme ou de rigueur, il m’aurait remercié il y a des années de cela », lance-t-elle pour expliquer sa longévité à cette fonction qui n’existait pas avant son arrivée.

Un travail apprécié par le roi

Pourtant, ce ne sont pas les crises qui ont manqué. Quelques années seulement après sa nomination, la nouvelle directrice doit mater la rébellion de certains journalistes qui menacent de faire la grève du JT. Sitaïl doit aussi faire face aux virulentes critiques de ses anciens collègues. Elle est aussi vilipendée par ceux qui la considèrent comme la communicante en chef du Makhzen. Mais elle reste imperturbable et continue de tracer sa voie.

Même le Parti de la justice et du développement (PJD), arrivé au pouvoir en 2011, a tout essayé pour la faire éjecter. Il a non seulement échoué mais a se résigner à essuyer ses attaques frontales, Samira Sitaïl n’hésitant pas à comparer publiquement le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, à Kadhafi ou à Fidel Castro. « Comment qualifier un responsable politique qui exige que sa déclaration de sept minutes passe en intégralité dans un JT qui dure vingt minutes ? » se justifie-t-elle.

Nombreux néanmoins sont ceux qui font le lien entre la longévité de Sitaïl à ce poste et les rapports qu’elle entretient avec le premier cercle du pouvoir. Sa proximité avec le conseiller royal Fouad Ali El Himma est un secret de polichinelle. « C’est une amitié de longue date dont je suis fière et qui n’interfère en rien dans mon travail », se défend-elle. L’influence de Samira Sitaïl est telle, selon certains, qu’elle aurait l’oreille de Mohammed VI en personne.

« C’est un fantasme comme tant d’autres qui sont entretenus à mon sujet. Les gens qui se targuent d’avoir une relation privilégiée avec Sa Majesté sont méprisants envers les autres Marocains », rétorque-t-elle. Pourtant, il y a des signes qui ne trompent pas. C’est bien le cabinet royal qui l’a chargée du pôle communication au sein du comité de pilotage de la COP22, qui s’est tenue récemment à Marrakech.

Pendant plusieurs mois, Sitaïl et ses équipes ont travaillé pour assurer un maximum de visibilité médiatique à l’événement. Résultat : quelque 1 500 journalistes sont venus des quatre coins du monde pour couvrir les travaux du sommet sur le climat. Une efficacité à mettre au crédit de la méthode Sitaïl.

Madame l’ambassadrice

Certains s’amusent à l’appeler Monsieur Sitaïl. Samir Addahr vient de rejoindre son nouveau poste d’ambassadeur à Athènes après avoir passé huit ans à Bruxelles. Les mauvaises langues n’hésitent pas à faire, là encore, le lien entre sa carrière et l’influence que l’on prête à son épouse, Samira Sitaïl. Mais c’est méconnaître le parcours de ce diplomate qui a gravi les échelons un à un depuis qu’il a rejoint les Affaires étrangères en 1989.

Ce n’est d’ailleurs qu’en 2008 qu’il a été nommé ambassadeur, après avoir travaillé dans l’administration et occupé le poste de consul général à Bordeaux. Samira Sitaïl, qui lui a donné deux enfants, est la première groupie de ce quinquagénaire à lunettes. « Nous avons chacun notre carrière, et je suis admirative de la sienne, nous explique-t-elle. Maintenant que la COP est passée, je vais pouvoir le rejoindre quelques jours à Athènes et jouer mon rôle de femme d’ambassadeur. »

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