France : bienvenue en Françoifrique !

Le vainqueur de la primaire de la droite et du centre connaît mieux le continent qu’on ne pourrait l’imaginer. Voyages, amitiés, réseaux… Tour d’horizon.

François Fillon, en avril. © Pascal SITTLER/REA

François Fillon, en avril. © Pascal SITTLER/REA

Christophe Boisbouvier

Publié le 8 décembre 2016 Lecture : 5 minutes.

François Fillon s’intéresse-t-il à l’Afrique ? Au vu de sa dernière tribune sur la politique étrangère, la question peut se poser. Le 25 novembre, deux jours avant sa large victoire à la primaire de la droite et du centre, il présente dans le journal Le Monde les grandes lignes de la diplomatie qu’il mettrait en œuvre s’il était élu à la présidentielle en mai. Mais à l’Afrique il ne consacre que trois mots au détour d’une liste des atouts dont disposerait la France pour « tenir son rang ».

Parmi ces atouts, il cite la langue française, « qui rayonne dans le monde et d’abord en Afrique, continent de l’avenir ». Il est vrai que son adversaire Alain Juppé, qui est invité au même exercice, n’en dit pas beaucoup plus à ce sujet. Actualité oblige, tous deux préfèrent s’attarder sur la Russie et le Moyen-Orient. Pourtant, quand on étudie le parcours de l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, on s’aperçoit qu’il connaît assez bien le continent et qu’il a, sur la relation franco-africaine, quelques idées bien arrêtées.

Devant la baie d’Alger, en juin 2008. © Mohamed Messara/EPA/Maxppp

Devant la baie d’Alger, en juin 2008. © Mohamed Messara/EPA/Maxppp

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Honneur à la colonisation

Le 28 août dernier, François Fillon crée un début de polémique en déclarant : « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord. » Pour beaucoup, cette phrase renvoie au fameux article 4 de la loi de février 2005 sur « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » – dont le deuxième alinéa provoqua un tel scandale en Algérie que Jacques Chirac finit par le faire supprimer.

Deux mois plus tard, le 27 octobre 2016, lors d’un débat télévisé sur France 2, le syndicaliste guadeloupéen Élie Domota accuse François Fillon de « racisme ». Réplique immédiate du candidat à la primaire : « C’est évidemment parfaitement scandaleux de me traiter de raciste. […] Bien sûr que la colonisation, avec les critères qui sont les nôtres aujourd’hui, est un crime. Mais la colonisation a été le fait de tous les peuples de la terre, y compris des sociétés africaines. »

Pour François Fillon, le passé colonial de la France n’appelle donc aucune repentance. À une exception près, il ne nie pas les crimes de la colonisation, mais les relativise. L’exception, c’est le Cameroun, et cette petite phrase de mai 2009 à Yaoundé, dans laquelle celui qui était alors Premier ministre « nie absolument que des forces françaises aient participé en quoi que ce soit à des assassinats au Cameroun ».

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À ses yeux, c’est la mémoire d’un tout autre drame qu’il faut honorer. Au début de 2016, quand François Hollande décide de commémorer tous les 19 mars le cessez-le-feu du 19 mars 1962 en Algérie, le député de Paris rétorque qu’au lendemain de cet accord « des centaines de milliers de harkis ont été massacrés […] et des centaines de milliers de Français, qu’on appelle des pieds-noirs, des Français d’Algérie, ont dû tout abandonner et rentrer en France. Donc, célébrer le 19 mars, c’est exprimer à l’égard des victimes une forme de mépris ».

Ami des dirigeants africains

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Quel intérêt réel François Fillon porte-t-il au continent ? Quand il était Premier ministre, il s’y est rendu assez souvent. À Alger, en juin 2008, il passe plus de deux heures en tête à tête avec le président Abdelaziz Bouteflika. À Rabat, en avril 2008, il copréside avec son homologue Abbas El Fassi la 9e Rencontre franco-marocaine entre chefs de gouvernement. Et deux ans plus tard, lors de la 10e Rencontre, à Paris, il lance à propos du Sahara occidental : « La proposition marocaine d’autonomie constitue la base la plus pertinente pour sortir de l’impasse. »

Fillon connaît le Cameroun depuis longtemps. En 1991, alors jeune député, il se rend à Douala pour soutenir un ami, le dentiste Bernard Zipfel, candidat à une assemblée des Français de l’étranger. Le Gabon lui est aussi assez familier. En juillet 2011, le président Ali Bongo Ondimba, sachant sa passion pour la course automobile, lui fait visiter le parking souterrain du Palais du bord de mer. « Je me suis cru au Salon de Genève », racontera ensuite le Premier ministre français à son ami l’avocat Robert Bourgi – le Salon automobile de Genève est le grand rendez-vous des marques de luxe et de sport.

Preuve de son intérêt pour le Gabon : en juillet dernier, Fillon reçoit longuement à déjeuner, près de son fief de Sablé-sur-Sarthe, le candidat Jean Ping en compagnie de Robert Bourgi, désormais adversaire résolu d’Ali Bongo Ondimba. Puis, quelques jours après la présidentielle du 27 août, il lâche sur France Info : « Le sentiment qu’on a en écoutant les observateurs sur le terrain, c’est que le président Bongo n’a pas gagné cette élection. »

En Afrique de l’Ouest, les deux pays que François Fillon connaît le mieux sont sans doute le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Il a rencontré le président Macky Sall à plusieurs reprises à Dakar et à Paris. « La dernière fois, c’était il y a quelques mois dans un grand hôtel de la rue de la Paix », témoigne Robert Bourgi. En juillet 2011, plusieurs semaines après son arrivée au pouvoir avec le soutien de l’armée française, Alassane Ouattara le reçoit longuement à Abidjan. « La France n’a pas l’intention de rabaisser les couleurs ni de plier bagage », déclare alors fièrement le Premier ministre français.

Un choix difficile

À l’époque, Jean-Marc Simon est ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il se souvient : « Pendant la bataille d’Abidjan, avant certains conseils de défense à Paris, François Fillon m’appelait pour avoir d’autres informations que les notes de cabinet et les notes des services [secrets] qu’il recevait sur son bureau. Quand on est ambassadeur, un coup de fil de Premier ministre, c’est rare. Et quand il m’appelait, je voyais qu’il s’intéressait au dossier et qu’il posait les bonnes questions. »

S’il est élu en mai prochain, à qui Fillon confiera-t-il sa politique africaine ? Bernard Debré, 72 ans, le soutient depuis des mois. Ministre de la Coopération de 1994 à 1995, le médecin urologue est un intime des familles Bongo et Eyadéma. Il pourrait reprendre du service. Secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie de 2008 à 2010, Alain Joyandet, 62 ans, est aussi un bon connaisseur du continent. Problème : jusqu’au soir du premier tour de la primaire, il a soutenu Nicolas Sarkozy.

Mais, entre les deux tours, il s’est rallié à François Fillon et lui a proposé la mise en place d’un think tank sur l’Afrique. « Bonne idée », a répondu le vainqueur. Et il y a bien sûr l’ombre de Robert Bourgi. Celui qui, aux yeux de ses détracteurs, passe pour l’archétype de la « Françafrique de papa » cultive aujourd’hui une proximité avec « François » comme hier avec « Nicolas » (Sarkozy) ou « Dominique » (de Villepin). Quel rôle exact jouera-t-il à ses côtés en cas d’entrée à l’Élysée ? Ce sera un bon test.

Lors de sa visite au Cameroun en 2009, Fillon a eu cette phrase insolite : « La France aime l’Afrique. Cette relation affectueuse, nous la considérons comme un trésor. » Réflexion de l’un de ses anciens collaborateurs : « Juppé voyait l’Afrique comme un technocrate. Avec Fillon, malgré son air renfrogné, ce sera plus sentimental. »

Bloc-CourrierDesLecteurs

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