Paul Kaba Thiéba : « Il faut briser les contraintes pour asseoir une croissance forte »

Le chef du gouvernement burkinabè pilotait, en ce début de décembre, une levée de fonds à Paris pour financer sa stratégie de développement. Il a expliqué ses priorités à JA.

Le Premier ministre est titulaire d’un doctorat en finance. © Sophie Garcia/Hans Lucas pour JA

Le Premier ministre est titulaire d’un doctorat en finance. © Sophie Garcia/Hans Lucas pour JA

Publié le 15 décembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Lever plus de 5 500 milliards de F CFA (8,4 milliards d’euros). C’est l’objectif que s’était fixé le gouvernement du Burkina Faso, qui organisait les 7 et 8 décembre à Paris une réunion avec les bailleurs de fonds et des investisseurs privés. Ce montant représente 36 % du coût total (15 400 milliards de F CFA) du Plan national de développement économique et social (PNDES), élaboré par le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, élu fin 2015 à la tête du pays. Finalement, le 9 décembre, le Burkina Faso a annoncé avoir récolté 16 milliards d’intentions de financement de la part des entreprises du secteur privé, qui viennent s’ajouter aux 12 milliards d’euros de promesses de dons des bailleurs internationaux.

Pour renouer avec une croissance forte et durable – avec un objectif à plus de 8 % -, le Premier ministre veut booster les dépenses d’investissement, qui devraient avoisiner 1 230 milliards de F CFA dès 2017 (+ 73 % sur un an). Pour Paul Kaba Thiéba, 56 ans, ancien haut cadre de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), il s’agit d’ »opérer la transformation structurelle de l’économie, moderniser l’administration, former une masse critique de compétences et créer 50 000 emplois par an ».

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Jeune Afrique : Alors que vous lancez une levée de fonds pour financer votre prochain plan de développement, quel bilan pouvez-vous dresser de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (Scadd) mise en œuvre entre 2011-2015 ?

Paul Kaba Thiéba : La Scadd a engrangé des acquis importants, comme le développement du pôle agro-industriel de Bagré, et a permis d’enregistrer une croissance moyenne du PIB de 5,5 % par an. Cependant, près de 41 % des Burkinabè vivent encore en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 13 000 F CFA par mois, et l’indice de développement demeure faible.

Le Plan national de développement économique et social s’attaque donc aux lacunes de la Scadd et prône une croissance forte, profitable à tous les Burkinabè. Nous allons agir sur le rythme de la croissance, mais aussi promouvoir la planification familiale pour ramener l’accroissement naturel de la population de 3,1 % à 2,7 %. C’est en agissant sur ces deux leviers que nous parviendrons à accroître le revenu par habitant.

Onze mois après votre nomination, que faut-il retenir de votre action à la tête du gouvernement ?

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Notre priorité a été de contenir les dépenses courantes, qui absorbaient la totalité des recettes internes et que nous avons ramenées à une proportion de 80 %. Les régies financières (douanes, impôts…) sont plus performantes. Nous avons également mis en place un comité interministériel chargé de travailler sur les indicateurs « Doing Business » pour améliorer le classement de notre pays dans ce rapport sur le climat des affaires publié par la Banque mondiale. Nous voulons être parmi les dix pays africains les plus performants en ce domaine.

Pour cela, nous agissons sur les délais et les coûts de création des entreprises, l’allègement des procédures pour l’accès à l’eau et à l’électricité ainsi que sur la célérité dans le traitement des contentieux commerciaux. Des pôles judiciaires consacrés aux infractions économiques et financières ont ainsi vu le jour à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Le gouvernement s’est en outre attelé à la mise en œuvre des promesses urgentes du programme présidentiel, comme la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes.

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Votre gouvernement est sous le feu des critiques, y compris dans votre propre famille politique. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne suis pas sous pression car je sais exactement où je veux aller. Les partenaires sociaux doivent comprendre que les revendications doivent être en phase avec l’augmentation de la productivité des travailleurs et de la richesse nationale.

Le PNDES s’attelle à briser les contraintes et les obstacles à la croissance forte et inclusive que nous cherchons à asseoir. Il s’agit des problèmes d’éducation, d’énergie, de transport, de productivité agricole ou encore d’emploi des jeunes qui pénalisent notre compétitivité. J’en appelle par ailleurs au civisme fiscal pour permettre au gouvernement de disposer de ressources suffisantes pour financer le développement.

J’en appelle au civisme fiscal pour doper les ressources de l’Etat

Le géant américain des semences Monsanto a suspendu ses activités au Burkina Faso. Les producteurs de coton lui réclament une compensation financière pour la dégradation de la qualité de leur fibre. Quels sont vos objectifs pour cette filière ?

Le coton transgénique a dégradé la réputation de qualité du coton burkinabè sur le marché mondial. Le cumul des pertes entre 2011 et 2015 atteint 48 milliards de francs CFA. L’enjeu est d’obtenir une participation de Monsanto au financement de ces pertes, mais les discussions sont ralenties par la question de son rapprochement avec Bayer. Le retour au conventionnel nous a permis de retrouver une production de qualité.

Nous espérons que cela va mettre un terme à la décote sur le marché. Selon les projections de la campagne 2016-2017, nous attendons 750 000 tonnes de coton-graine. Le gouvernement souhaite aider ce secteur stratégique à se développer et à contribuer davantage à l’économie. Nous voulons créer des filatures, des huileries et des industries textiles pour tirer parti de cette culture.

Vous avez procédé à la réforme du code minier. Dans quel but ?

Il s’agit de maximiser l’apport de ce secteur [qui représente aujourd’hui 63 % des recettes d’exportation] dans le développement tout en préservant l’attractivité que nous avons su créer. C’est pourquoi, dans les décrets d’application, nous avons veillé à trouver un équilibre avec la Chambre des mines.

Les relations entre le Burkina Faso et Pan African Burkina Limited, qui détient le permis sur le gisement de manganèse de Tambao, sont tendues. Un rapport du Parlement recommande le retrait du permis et la mise en accusation de la société et de son dirigeant, l’Australo-Roumain Frank Timis. Allez-vous suivre les députés dans leur logique ?

Ce rapport nous donne des éléments que nous allons analyser pour avancer dans l’assainissement du secteur minier. Mais, du fait de la séparation des pouvoirs, c’est à la justice, et non au gouvernement, de décider de l’opportunité d’une mise en accusation.

Frank Timis vous réclame désormais 4 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros) pour agissements illégaux à son encontre. Comment gérez-vous cette affaire ?

Le gouvernement est déterminé à défendre les intérêts nationaux, la société n’ayant pas tenu ses engagements contractuels dans cette affaire. Ce dossier est soumis à l’avis du Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou, grâce auquel nous espérons parvenir à une solution consensuelle. Mais comme la procédure est en cours, je n’en dirai pas plus.

Le différend avec Pan African sur Tambao compromet-il la réhabilitation de l’axe Abidjan-Kaya, confiée au groupe Bolloré dans le cadre de la boucle ferroviaire ?

Le groupe Bolloré doit bientôt démarrer les travaux de la première tranche de réhabilitation du chemin de fer, conformément au traité d’Amitié et de Coopération ivoiro-burkinabè, conclu à Yamoussoukro en juillet dernier.

Ces travaux, d’un montant de 130 millions d’euros, dureront deux ans. La réalisation du deuxième volet, d’un coût de 270 millions d’euros, se fera si le trafic atteint au moins 3 millions de tonnes. Dans ces conditions, il est certain que nous aurions souhaité que Tambao soit opérationnel. Je dois reconnaître que la boucle ferroviaire ouest-africaine est un peu dans l’impasse.

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