Libye : quand l’Histoire permet de décrypter l’actualité

Avec son nouveau livre, l’écrivain Jean-Marie Blas de Roblès ausculte l’histoire complexe du pays à travers l’actualité récente, les ruines antiques, les trésors subaquatiques et la littérature.

Le site archéologique de  Leptis Magna, en Libye, le 7 novembre 2011. © David Mac Dougall/AP/SIPA

Le site archéologique de Leptis Magna, en Libye, le 7 novembre 2011. © David Mac Dougall/AP/SIPA

Publié le 8 décembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Pour tenter de comprendre l’actualité d’un pays, ses soubresauts et ses déchirements, rien ne vaut le recul. « À observer les troubles qui agitent les tribus libyennes en 2016 et persistent, hélas, à maintenir dans le pays une anarchie politique et religieuse extrêmement nocive, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître comme en miroir la Libye du tout début du XIXe siècle […] » peut-on lire en introduction du nouveau livre de Jean-Marie Blas de Roblès, En Libye sur les traces de Jean-Raimond Pacho.

Historien de formation, membre de la mission archéologique française en Libye, l’écrivain a participé, quinze années durant, aux fouilles sous-marines d’Apollonia de Cyrénaïque, de Leptis Magna et de Sabratha en Tripolitaine. Autant dire que l’histoire du pays de feu Kadhafi, il la connaît sur le bout des doigts.

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Ce qui lui donne une certaine légitimité pour juger l’intervention française : « Je me suis insurgé, à l’époque, et je m’insurge toujours, contre le cynisme politique de cette intervention. Il était évident que la disparition de Mouammar Kadhafi produirait le chaos qui a suivi. J’aurais préféré m’être trompé », confie-t-il.

Origine grecque

Son livre nous plonge dans le XIXe siècle des explorateurs occidentaux pour mieux remonter jusqu’aux Carthaginois, aux Phéniciens, aux Grecs et aux Romains, quand la civilisation antique s’épanouissait dans les sables du désert. Il rappelle, au passage, le prestige oublié de ce foyer antique : « La Libye a longtemps désigné chez les auteurs anciens l’ensemble de l’Afrique du Nord, c’est-à-dire la partie connue du Maghreb, qui s’étendait, d’ouest en est, du Maroc actuel jusqu’à l’Égypte et, vers le sud, jusqu’aux confins du Sahara. »

Et il nous apprend que « les Grecs semblent avoir forgé le mot “Libyè” à partir du nom d’une tribu berbère, les “Libou”, attestée par nombre d’inscriptions égyptiennes ».

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Révélé au grand public grâce au succès de Là où les Tigres sont chez eux (Zulma), prix Médicis 2008, Jean-Marie Blas de Roblès a aujourd’hui les honneurs de la mythique collection « Terre humaine ». Ce maître du « roman total » livre à nouveau un ouvrage inclassable et passionnant. En Libye tient à la fois du récit de voyage à deux voix, de l’anthologie et de l’essai historico-archéologique (avec illustrations). Cette somme d’érudition dévoile le patrimoine oublié d’un pays, les splendeurs de civilisations enfouies dans les sables et sous les eaux.

Pour l’écrivain, ce livre est avant tout un hommage à un explorateur injustement méconnu. Parti d’Égypte, le Niçois Pacho a visité la Cyrénaïque de 1824 à 1825 et redécouvert des vestiges grecs de l’actuelle Libye. Il mit fin à ses jours à l’âge de 35 ans, après avoir laissé un livre éblouissant, publié en 1827, Relation d’un voyage dans la Marmarique, la Cyrénaïque et les oasis d’Audjelah et de Maradèh.

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Des peuples disparates

Ce témoignage a bouleversé Blas de Roblès : « Pacho… derrière ce nom un peu ridicule, il y avait une voix, un style, un tempérament. J’explorais une Cyrénaïque à peine différente de celle qu’il avait parcourue cent soixante ans auparavant, avec le même émoi […]. Son livre fut ma bible, mon secours. » Et une source inépuisable de connaissance.

« Si l’on observe l’histoire du pays depuis l’Antiquité, il n’y a jamais eu réellement de nation libyenne. Les semblants d’unification des peuples autochtones ont toujours été le fait d’un pouvoir colonial. Pacho évoque cette disparité entre tribus, et leur refus épidermique d’une autorité centrale. Il souligne à quel point la Cyrénaïque grecque et la Tripolitaine carthaginoise constituaient déjà deux entités distinctes, réunies artificiellement par l’Empire romain. » Une manière d’expliquer, grâce à l’éclairage du passé, le chaos actuel.

Blas de Roblès s’est intéressé à la Libye « par hasard », dit-il, grâce à un ami archéologue. Mais comment ne pas y voir la main du destin quand on sait que l’écrivain est né à Sidi-bel-Abbès, en 1954. « Je suis resté en Algérie jusqu’en 1962. Le fait d’être pied-noir contribue sans nul doute à une sensation de déracinement perpétuel. Ma patrie, c’est la France, bien sûr ; mais ma terre natale reste l’Algérie et le pourtour méditerranéen. »

Les fouilles sous-marines auxquelles il a participé en Libye – totalisant 900 heures de plongée – lui ont permis de retrouver la mer dans laquelle il aimait plonger, enfant. Et de conjuguer ce plaisir avec sa passion pour l’histoire : « Le patrimoine archéologique subaquatique est souvent plus homogène et mieux conservé que son équivalent terrestre. Les fouilles sous-marines, celles des épaves notamment, sont des sources documentaires irremplaçables. »

Une partie de l’histoire enfouie sous les eaux

Même si, explique-t-il, « les méthodes de l’archéologie terrestre et subaquatique sont identiques, sous l’eau, ces techniques sont simplement plus compliquées à mettre en œuvre et nécessitent un matériel spécifique. Pioches et truelles sont remplacées par une pompe aspirante qui permet de désensabler le site avec la précision requise. » Malgré les difficultés, le résultat des missions françaises menées sous les eaux libyennes n’a pas été décevant.

« Une découverte archéologique est “belle” dans la mesure où elle fait avancer la connaissance. Notre équipe s’honore surtout d’avoir contribué à une meilleure compréhension du site portuaire d’Apollonia, en y démontrant par exemple le niveau d’enfoncement (3,70 m) de la plaque terrestre depuis l’Antiquité. »

S’il y est surtout question de l’Antiquité, l’ouvrage de Blas de Roblès nous plonge aussi dans la Libye du XIXe siècle grâce à de larges extraits du récit de voyage de Pacho. Une réelle découverte car de la glorieuse époque des orientalistes et des romantiques, l’Histoire, souvent ingrate, n’a pas retenu son nom. « Contrairement à la plupart des intellectuels du début du XIXe siècle, Pacho reste fidèle à l’esprit des Lumières.

Une vision prophétique de l’Afrique

S’il n’est pas “antiraciste” au sens strict du terme, son discours humaniste détonne dans un milieu qui a intégré l’infériorité raciale des “sauvages” ou des “nègres que le monde européen s’apprête à coloniser”. » De même, à propos de l’islam, Pacho prend soin de distinguer musulmans tolérants et intolérants.

Et son évocation de l’Afrique du XIXe siècle peut sembler étrangement prophétique : « Le fanatisme musulman, bien autrement funeste que les déserts et les climats, entoure de toutes parts la malheureuse Afrique […]. Ce monstre gagne toujours du terrain. Déjà il a envahi plusieurs provinces de l’intérieur : il règne dans le Soudan ; il campe dans le désert avec les nombreux Touaregs […] et Tombouctou est à demi soumise à ses lois. »

L’Histoire a souvent tendance à se répéter… Explorateurs et archéologues ne peuvent que le constater. Blas de Roblès a eu l’humilité de laisser la conclusion de son livre à Jean-Raimond Pacho : « Livrée à des hordes barbares, Cyrène gît maintenant ignorée. Le temps, qui rassembla tour à tour plusieurs peuples dans son enceinte, en a confondu les traces ; il en a dispersé les ruines. »

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