Musique : l’Afrique, un fantasme devenu créneau marketing pour les rappeurs français
Fin connaisseur de la mouvance tricolore, Thomas Blondeau signe un ouvrage sur trente-cinq ans de rap français. En toile de fond, l’Afrique, parfois chantée, souvent réduite à ses clichés.
Il faut l’imaginer au début des années 1990 déambuler avec son Discman, sa boule de cheveux fous et son baggy dans les rues de Bordeaux, près de sa ville natale de Bergerac. Thomas Blondeau, qui prête aujourd’hui sa plume à de nombreux journaux (Le Monde diplomatique, Les Inrocks, Jeune Afrique) et maisons d’édition, écoute alors ses premiers titres de rap. Fasciné.
« Pour la première fois, je pouvais mettre entre mes oreilles une musique qui n’était pas celle de mes parents. Je découvrais NTM, IAM, Assassin… et des discours politiques dans lesquels, enfin, je me reconnaissais. Des groupes comme Democrates D parlaient de Thomas Sankara, de Kwame Nkrumah, des noms qui ne m’étaient pas familiers, qui m’ont amené à creuser l’histoire politique des indépendances. »
Inspiration africaine
L’Afrique n’est pas le thème principal de l’ouvrage qu’il vient de publier aux éditions Tana, Hip Hop, une histoire française. Plutôt une toile de fond. « Pour les rappeurs français, ce qui compte, c’est l’Amérique. L’Afrique est un break, une virgule », explique le spécialiste. Mais un break qui s’étend sur de longues mesures, une virgule qui joue les points de suspension. Car s’ils ont le regard tourné outre-Atlantique les frenchies B-boys vont importer les revendications des rappeurs noirs américains.
« À commencer par celles de la Universal Zulu Nation et de son leader, Afrika Bambaataa, très influents en France. Dans sa chanson Peuple du monde, en 1990, Tonton David fait d’ailleurs une sorte de digest des codes de moralité que tout Zoulou doit respecter. »
Comme le remarque le journaliste, c’est donc d’abord en s’inspirant du discours des Africains-Américains que les rappeurs français commencent à évoquer un continent que, pour beaucoup, ils ne connaissent pas.
« Si certains avaient des parents immigrés africains, la plupart n’avaient jamais mis les pieds en Afrique. Ils avaient d’abord dans les années 1990 une vision fantasmée, festive de ce territoire ; presque une vision de colon ! » À l’écouter, on pense à certains titres de Bisso Na Bisso et à son « afro trip rap sauce n’gombo ».
Une meilleure connaissance de l’Afrique
Les premiers grands groupes se construisent en éclatant les identités. Dans Blanc et Noir, Suprême NTM rend ainsi hommage aux « Noir et blanc, blanc et jaune, jaune et rouge, rouge ou beur » qui se dressent face aux dictateurs. C’est à la fin de ces années que les revendications communautaires deviennent plus vigoureuses, avec par exemple le collectif Mafia K’1 Fry. « En même temps, cette jeunesse qui considère qu’elle vient d’ailleurs est d’abord française… La meilleure illustration de cette identité métisse, c’est le titre Tonton du bled, du 113. »
Pour le spécialiste, Mokobe, issu du 113, fait partie de la première génération de rappeurs qui évoque vraiment l’Afrique. « Aujourd’hui MHD ou même le collectif Sexion d’Assaut, dont certains membres sont nés sur place, ont une connaissance plus pointue de la région et de sa musique. » Des anciens jouent aussi plus facilement la carte africaine.
« Booba, par exemple, a toujours revendiqué ses racines sénégalaises, mais aujourd’hui il se positionne plus sur le créneau, rappelle Thomas Blondeau. Ce n’est pas seulement un calcul, il s’agit aussi d’étendre son business, il ne faut pas se leurrer. » Un titre de son prochain album, Le Duc de Boulogne, prévoit justement les « featurings » des chanteurs congolais Koffi Olomidé et Fally Ipupa.
La suite ? Le journaliste voit une Afrique qui ne soit plus en soi un sujet, mais qui s’intègre naturellement aux lyrics des rappeurs. « Il n’y a qu’à voir le groupe PNL : des gars de cité capables de mélanger argot italien, maghrébin et wolof… »
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