Colonisation : dénis de mémoire

Dans une Europe en pleine crise identitaire, l’enseignement du passé colonial dans les écoles fait débat. Que disent vraiment les manuels scolaires sur cette période ? De Berlin à Londres, en passant par Bruxelles, Paris, Rome et Lisbonne, Jeune Afrique a mené l’enquête.

Une affiche de l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes, en France. © E.R.L./SIPA

Une affiche de l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes, en France. © E.R.L./SIPA

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Publié le 13 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Carte des possessions italiennes en Afrique (1896). © Bibliothèque nationale de France
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Colonisation : qu’en dit l’école ?

Dans une Europe en pleine crise identitaire, l’enseignement du passé colonial dans les écoles fait débat. Que disent vraiment les manuels scolaires sur cette période ? De Berlin à Londres, en passant par Bruxelles, Paris, Rome et Lisbonne, Jeune Afrique a mené l’enquête.

Sommaire

« Tous les manuels d’histoire du monde n’ont jamais été que des livrets de propagande », écrivait Marcel Pagnol, au terme d’une quête impossible : celle de la neutralité républicaine dans l’enseignement scolaire. À moins de six mois de l’élection présidentielle, c’est toute l’histoire de France qui est convoquée au cœur du débat politique, comme pour donner raison au romancier de La Gloire de mon père.

Une question clivante

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Le candidat de droite François Fillon, qui estime que les livres d’histoire sont rédigés par des « idéologues », lesquels voudraient « imposer leur vision de la société », promet de « remettre les pendules à l’heure et l’histoire de notre pays où elle doit être », en revenant aux sources du « récit national » et d’une histoire de vainqueurs écrite par des vainqueurs.

Dérive dangereuse, répond la ministre socialiste de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, pour qui ce serait « une lâcheté » que d’occulter dans le cadre de la scolarité « les heures les plus douloureuses de notre histoire ».

Si la France politicienne en est encore à polémiquer à propos de la place à accorder dans l’enseignement à Clovis, à Jeanne d’Arc, à Voltaire et à Napoléon, comment pourrait-elle aborder avec sérénité le chapitre colonial ? Comment y parvenir et même y songer à l’école, alors que, contrairement à la Grande-Bretagne par exemple, elle en est toujours à débattre du rôle positif ou négatif de la colonisation ?

La reconnaissance, un premier pas

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Il faut rendre cette justice à François Hollande : jamais un président français n’est allé aussi loin dans l’introspection coloniale. Que ce soit à propos de la guerre d’Algérie, du massacre de Thiaroye, au Sénégal, de la sanglante répression des soulèvements camerounais et malgache, Hollande a fait bouger les lignes, reconnu les crimes et rendu hommage aux victimes – même s’il n’a jamais prononcé les termes d’excuse ou de repentance et même si le rôle de la France avant et pendant le génocide rwandais demeure tabou.

Mais de là à faire passer ces velléités d’écriture de l’histoire dans les livres scolaires, lesquels ne font qu’effleurer la période coloniale – seule la guerre d’Algérie, parce qu’elle fut aussi une affaire de politique intérieure française, a vraiment voix au chapitre –, il y a plus qu’un pas à franchir. Un pas, qui plus est, totalement réversible.

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Si tant est que les livres d’histoire reflètent et révèlent les croyances des gouvernants du moment, ceux que l’école de François Fillon distribuera aux élèves seront d’un positivisme digne d’Ernest Lavisse et de Jacques Bainville, chantres du « roman national » cher à Nicolas Sarkozy et à Marine Le Pen. Discours de Sablé-sur-Sarthe, le 28 août 2016 : « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord. »

Ou la colonisation réduite au rang de simple « partage », voire d’un dialogue des civilisations… « Non, la France n’a pas inventé l’esclavage. » Certes, et nul ne le prétend, mais elle l’a pratiqué, avec zèle, pendant un siècle et demi. En écho, le déni outré, par le même François Fillon, de la participation des forces françaises à la répression des maquis upécistes du Cameroun, il y a soixante ans (« C’est de la pure invention ! ») et l’hommage rendu le 24 septembre au bachaga Boualem, archétype du notable harki pendant la guerre d’Algérie.

Du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy à celui de Sablé, signé François Fillon, c’est une France plutôt fière de son passé colonial qui s’exprime, à la fois décomplexée par rapport à son histoire et tétanisée à l’idée de voir son identité se diluer – et sans doute est-elle, aujourd’hui, majoritaire. On peut donc compter sur elle pour que, dans les livres d’école, les secrets de famille soient bien gardés. Quitte à ne rien comprendre le jour où, lasse de ce prisme franco-centré, l’Histoire se montrera rancunière…

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