Histoire et mémoire : l’Allemagne aussi a colonisé l’Afrique…

Privé de ses colonies à la fin de la Première Guerre mondiale, le IIe Reich fut présent en Afrique pendant trente-cinq ans. Une exposition à Berlin revient sur cette histoire, éclipsée dans la mémoire du pays par le conflit de 1939-1945 et par l’Holocauste.

L’empereur Guillaume II s’engagea dans une politique expansionniste et colonialiste. Ici en 1888. © Wikimedia Commons

L’empereur Guillaume II s’engagea dans une politique expansionniste et colonialiste. Ici en 1888. © Wikimedia Commons

Publié le 16 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Page 8 du Petit Journal, supplément du dimanche, datée 21 février 1904. Légende : « Combat sanglant dans le Sud-Ouest africain / La garnison allemande de Windhoek, assiégée par les Herreros [sic], débloquée » © Wikimedia Commons
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Colonisation : l’Allemagne aussi

Privé de ses colonies à la fin de la Première Guerre mondiale, le IIe Reich fut présent en Afrique pendant trente-cinq ans. Une exposition à Berlin revient sur cette histoire, éclipsée dans la mémoire du pays par le conflit de 1939-1945 et par l’Holocauste.

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«Cette exposition est importante, surtout pour nous, les Allemands, qui ne connaissons pas bien cette période de notre histoire, estime Hannah, étudiante en arts plastiques de 23 ans, la mine grave. Je dirai à mes amis d’y aller. » Pour la première fois, le musée d’histoire de Berlin consacre en effet à la colonisation allemande une grande exposition, sous le titre « Fragments d’histoire et du présent ».

Une démarche nécessaire, tant cette époque est longtemps restée méconnue du grand public. Après tout, l’empire colonial germanique fut de très courte durée, trente-cinq ans au total entre 1884 et 1919. En outre, après la Seconde Guerre mondiale, tout le travail de mémoire fut entièrement axé sur l’Holocauste et les horreurs nazies. Mais, depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’associations d’Africains d’Allemagne, le sujet revient peu à peu sur le devant de la scène.

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« Petit dernier »

Ainsi, sur 1 000 m2, près de 500 objets – journaux, cartes postales, instruments scientifiques, statuettes et masques africains, crânes d’animaux – viennent ressusciter ce passé oublié. Parmi les pièces maîtresses, on peut par exemple découvrir une horloge qui ornait les foyers allemands et vantait des colonies « où le soleil ne se couche jamais ».

Ou encore une affiche sur laquelle une indigène enlaçant un serpent invitait les visiteurs à venir découvrir au parc zoologique (!) de nouveaux compatriotes venus des îles Samoa… Tous ces artefacts entendaient démontrer que l’Allemagne jouait d’égal à égal avec les grandes puissances coloniales.

De fait, le pays a longtemps souffert du complexe du « petit dernier ». Bien que sa présence sur le continent africain soit avérée depuis le XVIIe siècle, surtout à travers des expéditions scientifiques, il n’avait pas de réelle politique coloniale. Alors que les autres nations se partageaient le monde (la France dès 1830 en Algérie, l’Angleterre en 1757 en Inde), l’Allemagne était encore trop occupée à réaliser sa propre unité, qui date de 1871. Ce n’est qu’à partir de 1884 que le chancelier Otto von Bismarck change de stratégie afin d’assurer à son pays des positions géostratégiques autour du globe.

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Conquête de l’Afrique

En novembre, il accueille ainsi la conférence de Berlin, lors de laquelle les 14 États invités entérinent leur partage du continent. Présenté au début de l’exposition, l’acte final de la conférence, signé le 26 février 1885, replace ainsi la colonisation allemande dans son contexte. « Nous ne voulons faire d’ombre à personne, mais nous réclamons aussi notre place au soleil », explique alors le ministre des Affaires étrangères, Bernhard von Bülow.

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En quelques années, le pays parvient à s’arroger une part du « gâteau ». À partir de 1884, il met la main sur ce qui deviendra la Namibie en Afrique du Sud-Ouest ainsi que sur le Togo et le Cameroun. Un an plus tard, c’est au tour de l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Rwanda, Burundi) et du Pacifique (une partie de la Nouvelle-Guinée, les îles Mariannes et l’archipel des Samoa) d’être colonisés.

Enfin, à partir de 1897, l’Allemagne prend possession de la ville chinoise de Qingdao, qui doit devenir une ville moderne et modèle. Loin d’égaler les autres puissances, l’Allemagne s’arroge tout de même une superficie de 2,9 millions de km2, soit plus de six fois sa propre taille.

Exploitation de matières premières sous un joug sévère

Mais, à la différence de la France ou du Royaume-Uni, elle n’aura jamais de colonies de peuplement. En 1913, moins de 30 000 colons blancs sont recensés, principalement des fonctionnaires, des missionnaires, des maîtres de plantation et des militaires. Les territoires d’outre-mer servent surtout à approvisionner la métropole en matières premières : minerais, diamants, fibres de sisal, coton, café, cacahouètes, coprah…

Pourtant, malgré le faible nombre de colons envoyés sur place, le régime est marqué par la discipline et la tyrannie. Au point que l’augmentation des impôts, la dureté des travaux d’infrastructures (chemin de fer, routes, ponts…) et les punitions corporelles conduisent à un soulèvement et à la guerre Maji-Maji en Afrique orientale. Entre 1905 et 1907, elle fera 180 000 morts au sein de la population, 450 parmi les soldats africains et 15 parmi les soldats allemands.

Pour les mêmes raisons, en Namibie, les Hereros et les Namas prennent les armes en 1904. Pour les réprimer, Lothar von Trotha, alors chef militaire en Afrique de l’Ouest, ordonne leur anéantissement.

Exterminations

Les survivants de la bataille de Waterberg (11 août 1904) se réfugient dans le désert, où ils meurent de faim et de soif, tandis que les autres sont envoyés dans des camps de concentration, les premiers du XXe siècle, où les conditions de vie sont épouvantables. Dans ce génocide, aujourd’hui reconnu par l’Allemagne, 80 % des Hereros (65 000 personnes) et la moitié des Namas (20 000 personnes) trouvent la mort.

Sur toute cette sombre période, la rétrospective présente de nombreux documents, dont des armes et les deux ordres d’extermination signés de la main de Lothar von Trotha. Elle n’occulte pas la dimension pseudoscientifique de l’ère coloniale, avec une étagère sur laquelle sont entreposés les moules des crânes d’Africains envoyés en Allemagne pour étoffer les théories raciales sur la supériorité des Blancs. À ce jour, plus d’un millier de ces restes humains seraient encore conservés dans les réserves des musées allemands.

« Mais nous avons aussi voulu donner la parole aux Africains et montrer qu’ils n’étaient pas que des victimes », souligne Sebastian Gottschalk, l’un des commissaires de l’exposition. Il montre ainsi un journal de langue anglaise, le Gold Coast Leader, qui offrait aux Africains une tribune sans censure pour y exposer leurs critiques de la colonisation allemande.

Une progression considérable du débat

L’exposition évoque aussi certaines élites africaines ayant tenté de s’insurger contre la domination germanique, dont le prince Mpundu Akwa. Ce dernier passa sa vie à alerter l’opinion publique sur le système colonial allemand, ce qui lui valut un procès en 1905, à l’issue duquel il fut acquitté. Ibrahim Njoya, roi des Bamouns (ouest du Cameroun) négocia quant à lui habilement avec les colonisateurs et parvint à conserver une certaine autonomie.

Un angle original, car l’histoire coloniale est bien trop souvent écrite par les colonisateurs. « C’est pourquoi nous avons choisi le titre de “Fragments du passé et du présent”, ajoute Sebastian Gottschalk. La vision de la colonisation est forcément biaisée, car elle est eurocentrée. Il est donc difficile de présenter les archives de manière équilibrée. »

À la sortie, ce constat n’a pas échappé aux visiteurs, et un tel sujet ne pouvait que susciter de nombreuses réactions. « Cette exposition est déjà un pas énorme, juge Heli, la soixantaine. Il y a cinquante ans, elle n’aurait pas été possible. Mais j’aurais voulu qu’ils aillent plus loin dans la condamnation de la colonisation. » À l’inverse, Hans, 45 ans, trouve que la scénographie manque d’objectivité. « Massacres, violence, tyrannie, n’y avait-il donc que cela ? Où sont les bons côtés ? » s’emporte-t‑il.

Une critique que Sebastian Gottschalk connaît bien. « On nous parle des infrastructures routières ou des écoles, indique le commissaire. Ils n’ont pourtant pas été construits pour le bien-être des Africains, mais pour le bon fonctionnement des colonies. Était-ce alors réellement positif pour les colonisés ? » L’exposition, très pédagogique, aura le mérite de soulever des questions et d’amener le débat sur la colonisation et ses répercussions actuelles sur l’ordre mondial. À voir jusqu’au 14 mai 2017.

Le colonialisme sans colonies

Après la capitulation de l’Allemagne en 1918, le pays perd toutes ses colonies au profit des vainqueurs. Une décision jugée injuste, qui laisse un goût d’inachevé aux Allemands. « L’Allemagne va alors plonger dans une période de révisionnisme, avec le mythe du bon colonisateur et la nostalgie du paradis exotique perdu », explique Sebastian Gottschalk. Les menaces pour l’économie allemande servent aussi la propagande : « Sans colonies, pas de matières premières, pas d’industrie et pas de prospérité.

Les Allemands doivent récupérer leurs colonies ! » peut-on lire sur une affiche de 1932. Ce n’est que dans les années 1960 que l’histoire coloniale est revisitée de manière plus objective. L’exposition présente ainsi la statue de Hermann von Wissmann, l’ancien gouverneur de l’Afrique orientale allemande, qui fut renversée par les étudiants de Hambourg en 1967.

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