RDC : Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout
Après dix mois de facilitation chahutée, l’ancien secrétaire général de l’OUA et ex-Premier ministre du Togo a déposé (provisoirement ?) les armes. En exclusivité pour JA, et alors que les Congolais retiennent leur souffle dans la perspective de la fin du mandat du président Kabila, le 19 décembre, Edem Kodjo raconte ici son parcours du combattant.
Comment (et pourquoi) j’ai mis les pieds dans le « marigot »
Je n’ai rien sollicité, c’est venu à moi. Je me trouvais par hasard à Brazzaville un jour de janvier 2016, lorsque j’ai reçu un appel du commissaire Paix et Sécurité de l’Union africaine, l’Algérien Smaïl Chergui. « Mme Dlamini-Zuma souhaite savoir si vous accepteriez une mission de bons offices en RD Congo, me dit-il. Il s’agit de mettre en place un dialogue entre le pouvoir et l’opposition et de déboucher sur un accord politique en vue de l’élection présidentielle. »
Rien de moins ! Réponse prudente de ma part : « Laissez-moi vingt-quatre heures de réflexion. » Cela tombe bien, un chef d’État d’expérience et qui connaît la RD Congo comme sa poche, le président Sassou Nguesso, loge à deux pas. Il me reçoit, je lui soumets la proposition, et il m’encourage aussitôt à dire oui : « Je connais tes convictions panafricaines, je ne vois donc pas comment tu pourrais te défiler. Je vais t’aider. » Ma décision est prise : j’accepte.
Vous ne vous en doutiez pas, mais la deuxième personne à qui j’ai parlé de cette mission, c’était vous-même. Je me souviens de votre question : « Edem, qu’allez-vous faire dans ce marigot ? » Et de ma réplique : « Il faut bien que quelqu’un se sacrifie. »
Premiers pas encourageants
Muni du mandat de Mme Dlamini-Zuma, qui fait de moi un facilitateur du dialogue, je débarque à Kinshasa, résolu à entrer en contact avec toutes les parties. Paradoxal, au vu de ce qui allait advenir, mais vrai : c’est de la part du principal parti de l’opposition, l’UDPS d’Étienne Tshisekedi, que je reçois le meilleur accueil. Deux délégations viennent me voir pour me féliciter, se réjouir du choix d’« un grand médiateur africain » (je les cite) et me prier de me rendre au plus vite à Bruxelles pour y rencontrer le « líder máximo ». Ce qui, pour moi, allait de soi.
Un oui de « Monsieur Non »
Le 4 février, j’effectue mon premier déplacement dans la capitale belge, à la rencontre de celui que vous avez surnommé, à JA, « Monsieur Non ». Tshisekedi me reçoit, entouré de son fils Félix, de l’abbé Tshilumba, son directeur de cabinet, et de son inséparable assistant Gilbert Kankonde. Cette fois, il dit oui. Oui au dialogue, sans réserves apparentes. Bien qu’une partie de la mouvance de l’opposition s’obstine à me regarder avec suspicion, le fait d’être soutenu par l’UDPS m’encourage. Début mars, je tombe malade et me fais soigner à Paris.
C’est là que le directeur de cabinet du président Kabila, Néhémie Wilondja, vient me rendre visite à mon appartement du XVIIe arrondissement pour m’annoncer qu’une délégation de la sensibilité présidentielle et une autre de l’UDPS se trouvent dans la capitale française pour y discuter du dialogue. Les deux parties, ajoute-t-il, demandent que je préside aux pourparlers. Convalescent, mais requinqué par la nouvelle, j’accepte et choisis le lieu : l’hôtel Raphael. Le 26 mars 2016, veille de Pâques, on s’installe : six côté mouvance, six côté UDPS, et moi au milieu.
Ce n’est pas la première fois que les uns et les autres discutent. Pour le pouvoir, rechercher un accord avec Tshisekedi est une constante, en fonction d’un calcul simple : mouvance présidentielle + UDPS = majorité absolue, plus besoin des autres.
Un dialogue réussi hôtel Raphaël
Ils se sont déjà vus à Venise, puis à Ibiza, sans résultats. Y parviendront-ils à Paris ? La réunion dure deux heures, et je dois dire que nous faisons un excellent travail. Nous réglons tous les problèmes, ou presque, et nous signons un accord portant sur le comité préparatoire au dialogue, son règlement, son ordre du jour et surtout sa composition. Trente membres au total : douze pour la partie présidentielle, six pour la société civile et douze pour l’opposition. Certes, l’opposition, ce n’est pas que l’UDPS, mais il est clair que cette dernière entend garder la main.
Munie d’un mandat dûment signé de Tshisekedi lui-même, dont j’ai exigé et conservé copie (on n’est jamais trop prudent !), la délégation UDPS au Raphael est conduite par deux de ses proches, Floribert Tendayi et Papis Tshimpangila. Elle comprend aussi l’un des propres fils du Vieux, Christian Tshisekedi, et l’un de ses neveux, Bona Kabongo. Comme rien n’est simple dans cette famille, Félix Tshisekedi me dira plus tard, sur le ton du reproche, que son frère Christian n’y connaît rien en politique puisque c’est un homme d’affaires.
Comme si j’avais moi-même composé cette délégation ! Toujours est-il qu’en ce 26 mars l’UDPS nous annonce qu’elle se réserve le droit de nommer elle-même les douze personnalités de l’opposition qui participeront au comité préparatoire. Explication : « On se connaît entre nous, hors de question de nous laisser infiltrer par de faux-vrais opposants ! » Après tout, c’est son affaire. On se sépare donc bons amis.
De retour à Kinshasa, je reçois le secrétaire général de l’UDPS, Bruno Mavungu, accompagné de Félix Tshisekedi. Félix joue les durs, et je m’aperçois rapidement qu’il a pris l’ascendant sur Mavungu, mais il ne remet rien en question. Il ne me reste plus qu’à recevoir la liste des opposants membres du comité préparatoire. On me l’annonce d’une heure à l’autre. Je suis confiant, presque euphorique. À tort.
Quand Tshisekedi tourne casquette
J’ai en main les listes de la mouvance présidentielle et de la société civile, mais, côté UDPS, rien ne vient. Une, deux, trois semaines, rien. Je me rends donc de nouveau à Bruxelles pour y rencontrer Étienne Tshisekedi. Il me reçoit le 5 mai dans un hôtel de la capitale belge, entouré, cette fois encore, de Félix, de l’abbé Tshilumba et de Gilbert Kankonde. Je les sens un peu crispés, exigeant notamment ce qu’ils appellent un renforcement de la facilitation. Mais comme ils ne me montrent aucune hostilité, je sors de l’entretien rassuré, même si je n’ai toujours pas obtenu la fameuse liste.
Encadrement recommandé
Retour à Kinshasa. Au sein de la mouvance présidentielle et de l’opposition non UDPS, on s’impatiente et on me critique. À leurs yeux, je favorise l’UDPS, je fais tout pour ressusciter Tshisekedi et le remettre en selle. C’est alors que surgit cette étrange idée de panel de personnalités censées m’épauler et m’encadrer, afin de « remettre le dialogue sur les rails ». Puisque le facilitateur piétine, entend-on dire, aidons-le à s’en sortir. C’est évidemment tout sauf désintéressé car derrière ce schéma se profile l’ombre des Américains, en particulier celle de l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, Tom Perriello.
Via le panel, dont ils seraient membres, les États-Unis, puissance extracontinentale, souhaitent être directement au cœur du dialogue, ce qui à mes yeux n’est pas souhaitable. J’ai rapidement vu la manœuvre, d’où la contre-idée, lancée par moi, d’un groupe de soutien à la facilitation, composé de l’UA, de l’ONU, de l’Union européenne, de l’OIF et des organisations régionales africaines. Cris d’orfraie de la part des Américains et des politiciens congolais qui leur sont proches !
Le soudain manque de coopération de l’UPDS
Début juin, je suis à nouveau à Bruxelles, face à Tshisekedi. Je demande un tête-à-tête. On me le refuse, non sans une certaine indignation : « Le président ne voit jamais personne en tête à tête ! » Va donc pour l’inévitable duo Tshilumba-Kankonde, témoins muets de notre échange. « Grand frère, lui dis-je. J’attends les noms de vos représentants au dialogue depuis deux mois, quand les aurai-je ? » Réponse : « Petit frère, nous sommes jeudi. Lundi, dans quatre jours, vous les aurez. »
Je saurai plus tard que la liste, effectivement, était prête. Elle ne m’a jamais été remise. Qui l’a fait passer à la trappe ? Mystère. Pendant des jours, j’ai cherché à le joindre depuis Kinshasa, en vain. Il a fallu m’y résoudre : Tshisekedi avait tourné casquette. Pourquoi ? Je me souviens que, pendant l’entretien, il n’avait cessé de me répéter que j’étais trop seul et que la formule du panel, qui avait la faveur des Américains, était à ses yeux la meilleure pour m’entourer. Est-ce là la clé de sa volte-face ? Je l’ignore.
Avec Katumbi, un rendez-vous manqué
Heureusement, l’iceberg de l’opposition commence à craquer. Le député Samy Badibanga, qui deviendra Premier ministre en novembre, puis d’autres, manifestent avec insistance le souhait de participer au dialogue. Au même moment se pose le problème de Moïse Katumbi. J’avais prévu de le rencontrer peu après mon second séjour à Bruxelles, début mai. Mon projet était d’aller le voir chez lui, à Lubumbashi, ce qui d’ailleurs ne plaisait guère au pouvoir en place à Kinshasa, qui estimait que c’était là une sorte de reconnaissance.
Menacé à Lubumbashi
La veille du jour fixé pour notre rendez-vous, l’un de ses proches, l’ex-président de l’assemblée provinciale du Haut-Katanga, Gabriel Kyungu, connu pour la brutalité de son langage, se livre dans les médias locaux à une violente diatribe contre moi, avant de conclure que je ne serai pas le bienvenu à Lubumbashi. Dans la foulée, le G7, regroupement d’anciens kabilistes ralliés à Katumbi, publie une déclaration de la même eau à mon encontre, avant d’en appeler, lui aussi, comme par hasard, à la mise en place du fameux panel cher à M. Perriello.
J’annule donc mon déplacement et appelle Katumbi pour le lui signifier. L’échange est aigre-doux : « Kinshasa vous a empêché de venir me voir ! » me dit-il. « Pas du tout, c’est votre ami Kyungu et vos alliés du G7 qui, manifestement, ne le souhaitent pas. Ma sécurité n’est pas assurée à Lubumbashi, pourquoi viendrais-je ? »
La conversation terminée, je joins aussitôt Mme Dlamini-Zuma pour lui proposer de faire venir Moïse Katumbi en terrain neutre, à Addis-Abeba, afin que nous parlions avec lui. Le principe est rapidement acquis lorsque surviennent l’affaire dite des mercenaires et l’ouverture d’une procédure à l’encontre du candidat.
« Le jardin des États-Unis »
Depuis lors, je suis intervenu à sa demande pour faciliter son départ à l’étranger, mais nous ne nous sommes toujours pas rencontrés. Dois-je préciser que je n’ai aucun problème avec M. Katumbi, qui porte le même prénom que celui de mon père ? J’entends souvent dire qu’il est « l’homme des Américains ». Je l’ignore, même s’il en est notoirement proche. Et dans ce cas, il n’est pas le seul. Son grand frère, Katebe Katoto, que j’ai rencontré à Bruxelles, était un ardent défenseur de la formule du panel et un critique acerbe de la facilitation que je menais, au point que j’ai dû lui dire, les yeux dans les yeux : « Moi, Monsieur, je ne suis pas achetable ! »
Au cours de cette même rencontre, un membre du G7 s’est levé : « Vous, vous avez un mentor qui s’appelle la France, a-t-il commencé. Eh bien, sachez que la RDC, c’est le jardin privé des États-Unis ! » Mon sang n’a fait qu’un tour : « Je ne sais pas si vous êtes conscient de ce que vous venez de dire, ai-je rétorqué. À votre place, je ferais tout pour que ça ne sorte pas de cette salle. Sinon l’Afrique entière va se moquer de vous ! »
Coup de foudre à Kinshasa
Nous sommes en juin. L’UA a avalisé mon projet de groupe de soutien à la facilitation, et je décide d’envoyer une nouvelle mission auprès de Tshisekedi à Bruxelles. À Genval, banlieue chic de la capitale belge, l’opposition, UDPS et G7 notamment, vient de lancer le Rassemblement anti-Kabila. Le ton s’est durci, et je crains que ma délégation, composée des Algériens Saïd Djinnit et Smaïl Chergui, ainsi que d’un diplomate belge, ne trouve porte close. Il n’en est rien, et le rapport de quelques lignes que me font ces émissaires est totalement anodin, ce qui m’étonne un peu.
Tensions
Était-ce pour m’endormir ? Le réveil sera brutal. Le 4 juillet, une réunion du groupe de soutien à Addis-Abeba débouche sur une demande qui est presque une injonction : le facilitateur est prié de mettre en place le comité de préparation au dialogue d’ici à la fin du mois. Une date est retenue : le samedi 30 juillet. Mais il y a un problème : de retour à Kinshasa le 27, Étienne Tshisekedi a prévu de tenir un mégameeting le 31 juillet.
Si traître il y a, l’insulte convient à celui qui a signé un accord et ne l’a pas respecté
L’UDPS hurle au complot : c’est du sabotage ! D’ailleurs, me dit-on, vos émissaires à Bruxelles se sont entendus avec nous pour que les deux événements ne coïncident pas – si c’est exact, cela m’a été caché ; pourquoi ? Où était mon intérêt dans cette affaire, alors que je me battais depuis des mois pour inclure Tshisekedi dans le jeu ? A-t-on voulu me piéger, me discréditer afin de mettre quelqu’un d’autre à ma place ? Je n’en dirai pas plus, mais Mme Dlamini-Zuma, à qui j’ai fait, fin octobre, un compte rendu détaillé de ma mission, connaît les tenants et aboutissants de toute cette histoire.
Lors de son meeting devant des dizaines de milliers de personnes, Étienne Tshisekedi m’injurie. Je ne m’y attendais absolument pas. Il me traite de « petit kabiliste partial » et ajoute que je suis « un traître ». Oui, « un traître » ! Passé l’instant de sidération, je réfléchis. Si traître il y a, l’insulte convient à celui qui a signé un accord et ne l’a pas respecté. Or, Tshisekedi a violé l’engagement que ses délégués, mandatés par lui, ont conclu à Paris en ma présence. Donc le traître, c’est Tshisekedi. Partial ? C’est risible.
Pendant longtemps, la majorité présidentielle et une partie de l’opposition, dont Vital Kamerhe, le G7 et la Dynamique, m’ont accusé de favoriser l’UDPS et son vieux leader ! Ce discours m’est tombé dessus comme un coup de foudre. Je ne pardonne pas à Tshisekedi de s’être montré aussi injuste à mon égard. Il ne s’en est jamais excusé ni expliqué. Lorsqu’un ami commun, Mgr Monsengwo, a voulu que j’aille le voir chez lui, à Limete, pour recoller les morceaux, j’ai refusé. Peut-être nous reverrons-nous, mais ce ne sera pas à son domicile. Tshisekedi ne me connaît pas. S’il veut la guerre, je vais le démolir !
L’Église catholique : pêchez en paix
Certes, l’Église est une institution en RD Congo. Certes, je suis moi-même un catholique pratiquant et je me dois de passer le manteau de Noé sur ce que fait ma hiérarchie et qui ne me plaît pas toujours. Je ne dirai donc rien sur le cardinal Monsengwo, que je connais bien et que je respecte. Mais tout de même. J’ai beaucoup compté sur la conférence épiscopale, la Cenco, pour qu’elle m’aide dans ma tâche de facilitation. Au sein du comité préparatoire au dialogue, le représentant de la Cenco, l’abbé Donatien Nshole, avait le beau rôle.
Proches du pouvoir
Idem lorsque, le 1er septembre, s’est ouvert le dialogue lui-même. Surviennent alors les tragiques émeutes des 19 et 20 septembre à Kinshasa, lesquelles – il convient de le préciser, car j’en ai été le témoin – ont commencé par le saccage des sièges des partis membres du dialogue, perpétré par des militants du Rassemblement de l’opposition radicale. Avant que les jeunes kabilistes aillent à leur tour mettre le feu aux locaux de l’UDPS. C’est alors que les curés de la Cenco ont changé de ton. Après avoir exigé une semaine de deuil, ils sont venus poser des préalables au dialogue qui ne figuraient pas dans nos accords. J’y ai consenti à une condition : qu’ils restent dans la salle.
Libre à eux, par ailleurs, d’aller à la pêche miraculeuse et de ramener dans leurs filets les opposants au dialogue. À l’heure où je vous parle, la pêche continue, et je souhaite qu’elle soit fructueuse. D’autant que Joseph Kabila, vous l’aurez remarqué, joue le jeu et encourage les évêques. Cela s’est discuté fin octobre à Luanda, en marge du sommet des chefs d’État de la région, qui a entériné l’accord politique du 18 octobre.
Denis Sassou Nguesso et José Eduardo dos Santos ont suggéré à Kabila de tendre la main au Rassemblement de l’opposition, via la Cenco, ce qu’il a fait. Je crois que tout le monde est un peu tétanisé à l’idée qu’il se passe quelque chose le 19 décembre à minuit et que chacun cherche à conjurer les risques de dérapages.
Présidentielle : 2018 ou le chaos
Les Américains, les Européens, la Cenco, le Rassemblement : tous ou presque « exigent » que l’élection présidentielle se tienne en 2017. Mais c’est impossible avant avril 2018 ! Cette échéance n’est pas le fruit du hasard : le fichier électoral est corrompu, tout le monde l’a dit, sa refonte est indispensable. La RD Congo, c’est 2,5 millions de km², 136 000 bureaux de vote, 20 000 tonnes de matériel électoral à transporter, le plus souvent par voie aérienne ou fluviale.
Un report plus que nécessaire
La commission électorale, les experts de l’ONU et de l’OIF, le général malien Siaka Sangaré, que je considère comme le meilleur expert électoral d’Afrique francophone et que j’ai fait venir… Tous sont formels : on ne peut pas, en resserrant au maximum les délais, aller plus vite. Le fichier électoral sera fiable et complet début octobre 2017, il faut ensuite six mois pour organiser le scrutin. À condition, bien sûr, que son financement – près de deux milliards de dollars – soit assuré. Préconiser une présidentielle bâclée l’an prochain, c’est irresponsable.
J’ai entendu récemment Jean-Marc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères, critiquer l’accord du 18 octobre et remettre 2017 sur le tapis. Cela m’a étonné : son ambassadeur à Kinshasa ne lui a donc pas fait rapport ? Il parle en méconnaissance de cause. Autre revendication de l’opposition radicale et de ceux qui la soutiennent : que Kabila démissionne au soir du 19 décembre 2016 et laisse la place à une période transitoire spéciale, avec à sa tête le président du Sénat, Léon Kengo Wa Dondo, qui organisera les élections.
Ce n’est ni constitutionnel – la Cour suprême a tranché, et les participants au dialogue en sont convenus – ni réaliste. Le mandat de Kengo est forclos depuis quatre ans, faute d’élections provinciales et sénatoriales tenues dans les délais. Quelle est sa légitimité ? Sur le plan strictement juridique, le fait que Kabila demeure en place jusqu’à l’élection de son successeur est objectivement la moins mauvaise des solutions.
Une classe politique brillante, mais toxique
J’ai eu affaire à une classe politique à la fois brillante, adepte des faux-fuyants, intelligente, toxique… L’argent joue un rôle prépondérant : en Afrique de l’Ouest, les gens pensent qu’ils sont riches quand ils ont 100 millions de F CFA. Ici, ils le sont quand ils ont la même somme, mais en dollars. Autre caractéristique : un sentiment national et identitaire à vif. Est-ce un héritage du mobutisme triomphant ?
C’est possible, mais les Congolais en général sont allergiques à toute interférence, en particulier occidentale – sauf bien entendu quand elle sert leurs intérêts et qu’ils peuvent l’instrumentaliser à leur profit. Aussi les chefs d’État africains, qui connaissent ce sentiment, sont-ils prudents dès qu’il s’agit de se mêler des affaires congolaises.
Sassou Nguesso joue un rôle positif, Dos Santos aussi, ainsi – et c’est moins connu – que Faure Gnassingbé. Le président togolais entretient des relations étroites aussi bien avec Kabila qu’avec Vital Kamerhe. Si Kamerhe ne nous avait pas rejoints, il n’y aurait jamais eu de dialogue, et Faure a été décisif dans son ralliement, tout comme son « envoyé spécial », le ministre Gilbert Bawara, très introduit à Kinshasa.
Pourquoi (et comment) j’ai mis les pieds dans le « marigot » : suite et fin
Ce n’est pas l’argent qui m’a motivé, et je voudrais être clair, voire trivial à cet égard : Kabila ne m’a pas payé, ce n’est pas lui qui a réglé mes frais de mission ni mes per diem. C’est l’UA qui m’a pris en charge, et il ne m’a rien donné. On a, à ce sujet, raconté n’importe quoi. Je me souviens du jour où je suis allé visiter le fameux barrage d’Inga et survoler l’embouchure du fleuve Congo, spectacle dont j’ai toujours rêvé.
Une compagnie pétrolière avait mis un hélicoptère à ma disposition à cet effet. Le lendemain, des journaux ont écrit que, ça y est, Kodjo est dans le pétrole, Kabila l’y a mis pour l’acheter ! Par contre oui, mon ego, ma place dans l’Histoire, la volonté de sortir par le haut, de ne pas partir sur un échec, celle aussi de démontrer à M. Tshisekedi, qui m’a trahi, que je n’étais pas un nègre de service, tout cela m’a motivé et a forgé ma résilience.
J’espère que Kabila ne me décevra pas !
J’ai rencontré Joseph Kabila quatre fois en dix mois de facilitation. C’est à la fois peu, pour ceux qui croyaient que je le voyais chaque matin, et beaucoup, pour qui connaît l’homme. Il m’a rendu hommage à l’issue de l’accord du 18 octobre, ce qui était, je pense, la moindre des choses : un bon ouvrier aime que l’on reconnaisse qu’il a fait du bon travail. Pour le reste, que dire de lui ? C’est un homme secret, peu disert, simple, dont la sensibilité est à la fois vive et rentrée. J’éprouve pour lui un certain sentiment de compassion, car je sens qu’il n’est pas à l’abri de tout danger, plus précisément de toute menace physique.
Cela joue sans doute dans le ressenti positif que m’inspire celui qui reste pour moi un jeune homme. Autre chose : à titre personnel, en tant qu’Africain ayant longtemps milité pour le panafricanisme, je suis choqué par la façon dont les puissances étrangères font pression sur Kabila et s’immiscent dans les affaires du Congo. De simples chargés d’affaires d’ambassades occidentales se permettent d’exiger n’importe quoi et convoquent des réunions sur l’avenir du pays, des représentants d’ONG et des médias étrangers distribuent bons et mauvais points sur un ton comminatoire. À partir du moment où Kabila fait front contre ces pressions, il me devient sympathique.
Maintenant, je sais que la question se pose – tout le monde se la pose : Joseph Kabila est-il sincère quand il assure qu’il respectera la Constitution, laquelle stipule qu’il ne peut postuler à un troisième mandat ? À cela, je réponds : je le crois sincère, jusqu’à preuve du contraire.Et j’espère qu’il ne me décevra pas.
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