Côte d’Ivoire : les premières élections de la IIIe République s’annoncent mouvementées
Ce 18 décembre, les 250 députés de l’Assemblée nationale ivoirienne voient leurs mandats remis en jeu. Ce sont les premières élections de la toute jeune IIIe République.
Législatives ivoiriennes : en ordre de bataille
Plus de mille candidats, dont beaucoup d’indépendants, retour du FPI, alliance RDR-PDCI… Ce 18 décembre, les premières élections de la toute jeune IIIe République vont redistribuer les cartes. Et esquisser le futur politique du pays.
Fin novembre, parking de l’Assemblée nationale ivoirienne. Adossés à un imposant 4 × 4, deux députés du Rassemblement des républicains (RDR) évoquent les prochaines législatives. L’un d’eux, passablement frustré, lance : « Toi non plus, tu n’as pas été retenu ? Je n’en reviens pas. Je me présente quand même. Et toi ? »
1 337 candidats
Un peu plus d’un mois après la promulgation de la nouvelle Constitution, les premières élections de la IIIe République s’annoncent mouvementées. Le 18 décembre, 1 337 candidats tenteront de se faire une place au sein de la future chambre basse : 248 sous la bannière du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) – coalition qui réunit le RDR, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Mouvement des forces d’avenir (MFA) – ; 187 sous celle du Front populaire ivoirien (FPI) tendance Pascal Affi N’Guessan ; 14 représenteront le parti Liberté et démocratie pour la République (Lider), de Mamadou Koulibaly ; 23, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) ; et 25, l’Union pour la Côte d’Ivoire (UPCI).
Enfin, on comptera 740 indépendants. Un chiffre très sensiblement supérieur à celui des précédentes élections, symbole de cette période de transition politique que traverse le pays. Pour la première fois depuis 2011, un scrutin ivoirien présente de véritables enjeux. Huit mois après la fin de la crise postélectorale, le RDR et le PDCI s’étaient taillé la part du lion à l’Assemblée. Profitant du boycott du FPI pour s’imposer dans certains fiefs de Laurent Gbagbo, ils avaient remporté respectivement 127 et 77 sièges sur les 255 à pourvoir.
Aujourd’hui, la situation a évolué. Au point qu’une certaine fébrilité semble agiter le pouvoir. Le retour de la frange du FPI menée par Pascal Affi N’Guessan et l’explosion des candidatures indépendantes peuvent-ils contrecarrer la volonté du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) d’obtenir « une large majorité » ? Quels impacts aura la décision de l’UDPCI de présenter des candidats en dehors de la coalition, notamment dans l’Ouest montagneux ? La fronde sociale qui frappe la Côte d’Ivoire depuis près d’un an aura-t-elle des répercussions sur le vote ? Autant d’interrogations qui ont poussé le chef de l’État et son allié Henri Konan Bédié (HKB) à s’investir pleinement.
L’émiettement du PDCI au profit de l’alliance avec le RDR
Car, pour eux, ce scrutin fait office de répétition générale avant la formation du parti unifié RHDP. ADO a insisté auprès de HKB pour que RDR et PDCI présentent des listes communes sur l’ensemble du territoire, et ne procèdent pas au cas par cas comme cela avait d’abord été envisagé. La composition de ces listes s’est faite dans la douleur, les négociations ont parfois accouché de choix étonnants et ont clairement tourné à l’avantage du RDR.
Résultat, un groupe RHDP verra le jour au Parlement. Mais, au sein d’un PDCI en pleine crise existentielle, ils sont de plus en plus nombreux à estimer que l’alliance se noue au détriment de leur parti.
« Dans l’esprit du RDR, ces législatives sont un moyen de mettre en œuvre la stratégie d’étranglement du PDCI », estime un quadra du parti de Bédié. L’un de ses barons, qui souhaite lui aussi garder l’anonymat, poursuit : « Il y a eu les présidentielles de 2010 et de 2015, le découpage électoral de 2011, très favorable au RDR, la répartition des ministères et des postes…
Cela fait beaucoup de couleuvres et de sacrifices, mais on verra après les législatives qui obtient quoi. C’est le plus important. » De fait, les scores des deux formations détermineront leurs poids respectifs et ce à quoi chacun peut prétendre au sein du futur RHDP. « L’objectif est de contrôler le parti unifié, de s’assurer la maîtrise totale des élus et des structures pour que, au moment de la sélection du successeur de Ouattara, il n’y ait pas de contestation », analyse un observateur averti.
Défiance envers le parti
Dans ce contexte, la multiplication des candidatures indépendantes n’est plus « un signe de vitalité démocratique », comme l’affirmait ADO au soir des dernières législatives, mais une offense à la discipline du parti. « Chacun estime légitime de se présenter quelles que soient les directives. Cela montre que nos cadres ne sont pas suffisamment formés, ou ne le sont pas bien. Car quel que soit le mode de désignation, il faut trancher », juge un député RDR dont l’investiture n’a pourtant pas été retenue.
Face aux contestataires, le pouvoir et son allié se sont montrés particulièrement intransigeants. Les pressions sont venues de toutes parts, les sanctions se sont multipliées : des secrétaires départementaux du RDR et des membres du bureau politique du PDCI ont été suspendus, un conseiller technique du ministère du Pétrole et de l’Énergie a été limogé, un directeur régional des Eaux et Forêts s’est vu relevé de ses fonctions… « Chantage électoral », ont dénoncé certains. Mais un « chantage » efficace puisque plusieurs dizaines de candidats se sont retirés ou ont vu leurs candidatures invalidées parce que leurs suppléants s’étaient mystérieusement désistés.
Un tremplin pour 2020 ?
Les législatives du 18 décembre sont également cruciales pour qui ambitionne d’ancrer son nom dans un paysage politique en pleine mutation. Cela explique pourquoi, alors que beaucoup attendaient un renouvellement de l’offre politique, une majorité de députés sortants et de barons du PDCI et du RDR ont été désignés candidats . Amadou Gon Coulibaly – que tout le monde présente comme le successeur d’Alassane Ouattara –, Guillaume Soro, Hamed Bakayoko et tous ceux qui pourraient ambitionner de se présenter en 2020 tenteront d’asseoir ou d’étendre leur zone d’influence. Certains d’entre eux n’ont d’ailleurs pas hésité à soutenir discrètement des indépendants…
Le cas du président de l’Assemblée nationale, à qui la réforme constitutionnelle a fait perdre son statut de dauphin, sera suivi de près. Si dans son camp on assure qu’Alassane Ouattara lui a récemment réitéré sa promesse de le maintenir à son poste, et que plusieurs proches de Soro ont été reconduits candidats, l’investiture du RHDP a tout de même été refusée à certains. Lui qui, par le passé, avait hésité à créer son propre parti, se lancera-t-il au soir du 18 décembre ?
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