Chine : chers camarades musulmans
Le pays compte plus de 20 millions de sunnites. Parmi eux, les Huis. Contrairement à leurs frères ouïgours, turcophones, ces descendants des commerçants de la route de la soie se fondent dans le paysage. Et se lancent dans le business du halal.
Grande prière du vendredi, à la mosquée Huaisheng de Canton. Au cœur du delta de la rivière des Perles, c’est le plus ancien édifice religieux hui du pays. Fondé, selon un manuscrit du XIIIe siècle, par Abi Waqqas, un proche du prophète Mohammed. On croise ici des croyants venus de tout le Proche-Orient, d’Afrique et du Pakistan. Et surtout des Huis, ces musulmans chinois qui semblent tout droit sortis des déserts d’Asie centrale et que l’on reconnaît à leurs petits bonnets blancs traditionnels.
Importée par les commerçants
L’islam existe en Chine depuis plus d’un millier d’années. Les commerçants arabes l’ont importé, dans leurs caravanes, par la mer et la célèbre route de la soie. Le pays compte aujourd’hui plus de 20 millions de sunnites, et huit instituts d’études islamiques, bien entendu administrés par l’État. La majorité de ces musulmans sont des Huis. Un nom officiel que le gouvernement leur a donné et qui regroupe en réalité plusieurs minorités ayant l’islam en partage.
À la différence des Ouïgours, uniformément turcophones, la plupart des Huis sont des descendants directs des voyageurs de la route de la soie. Arabes, perses et même hans [ethnie chinoise majoritaire]… leurs origines sont très variées.
Et justement, les voilà aujourd’hui au cœur d’un ambitieux projet gouvernemental : « la nouvelle route de la soie » – un vaste réseau d’infrastructures destiné à écouler vers l’Europe et l’Afrique les produits made in China. Imaginé par le président Xi Jinping, il consiste à construire un maillage de ponts, d’autoroutes et d’aéroports reliant la Chine au reste du monde. Le tout sur les traces de Marco Polo et pour un budget estimé à 1 000 milliards de dollars !
Pour Pékin, les Huis font figure de modèle. N’incarnent-ils pas un syncrétisme où cultures han et musulmane se mêlent en permanence ? Un mélange parfaitement assumé, dans lequel les autorités voient la réussite d’un islam à la chinoise.
« Un islam libre et tolérant »
À la mosquée Huaisheng, sous l’œil toujours attentif des agents en civil de la sécurité publique, l’imam vante un « islam libre et tolérant » et une pratique religieuse qui s’exerce toujours « dans le respect des lois ». Lesdites lois placent les sept cents imams officiels du pays sous le contrôle direct du Parti communiste, qui les nomme tous, à l’instar des évêques catholiques. Plus loin, une banderole rouge avec le slogan : « Aimer le pays, aimer la religion ». La prière terminée, les fidèles repartent vers les rues animées de Canton, cette mégalopole du Sud qui compte plus de 20 000 Africains résidents permanents, ainsi qu’un grand nombre de Huis.
D’ici à 2025, on estime que le tiers des habitants de la planète sera de confession musulmane
Dans un pays où la liberté religieuse n’existe pas, ces derniers jouissent d’un (certes tout relatif) traitement de faveur. Sans doute parce qu’ils n’ont pas de revendications politiques et de penchants indépendantistes, contrairement aux turbulents Tibétains et aux Ouïgours du Xinjiang, dont les manifestations de juillet 2009 hantent encore les esprits. Et puis, à la différence de ces deux derniers peuples, les Huis sont disséminés aux quatre coins du territoire.
À Pékin, Xi’an, Zhengzhou, Kaifeng… Et, surtout, dans la province du Ningxia (Nord-Ouest), où vit un cinquième de cette communauté. Au fil des siècles, beaucoup de ses représentants se sont mariés avec des Hans et font désormais partie intégrante du paysage chinois. Ils sont souvent propriétaires de restaurants, de petites boutiques, d’échoppes et de commerces halal.
Le succès du halal
Le halal… Une industrie en plein développement dans le monde, avec un marché de 670 milliards de dollars. En Chine, son premier producteur est le Ningxia. « Sur le chapitre de la nourriture, le Coran est très strict, explique un commerçant hui. C’est un avantage pour notre minorité, parce que chacun sait que nous préparons cette nourriture de manière très hygiénique, avec des aliments naturels, sans aucun produit chimique. Tout le monde sait que c’est bien fait, et notre minorité est très respectée ».
D’ici à 2025, on estime que le tiers des habitants de la planète sera de confession musulmane. Les produits halal pourraient alors représenter 20 % des échanges mondiaux dans l’agroalimentaire. Une véritable mine d’or pour le Ningxia… Même si ce secteur ne représente encore que 0,1 % du marché mondial, la Chine mise sur les Huis pour le développer. Le pays, qui compte déjà plus de cinq cents usines certifiées, exporte de plus en plus en Asie du Sud-Est (en Malaisie et en Indonésie principalement), en Europe, aux États-Unis, en Afrique et au Moyen-Orient.
Contrôle
Quelques problèmes subsistent. Si la Chine possède son propre système local de certification halal, celui-ci ne permet pas toujours aux entreprises d’être reconnues au-delà de leurs frontières. Et les scandales alimentaires défraient régulièrement la chronique. En septembre 2013, les fonctionnaires de la province du Shanxi ont ainsi saisi plus de 18 tonnes de viande de porc que les contrevenants faisaient passer pour du bœuf.
L’an dernier, des centaines de musulmans sont descendus dans la rue, à Xi’an, pour protester contre la vente d’alcool dans des restaurants halal. Et au Qinghai, une foule en colère a détruit une boulangerie après la découverte de jambon et de saucisses de porc dans un camion de livraison. Plusieurs entreprises locales ont même avoué avoir utilisé une fausse certification malaisienne pour doper leurs ventes sur le marché chinois…
Bref, si les « produits aux saveurs ethniques musulmanes » sont présents dans toutes les épiceries du pays, leur conformité au halal est souvent discutable. Le système chinois de certification est en effet un millefeuille de réglementations locales, dont la rigueur est très, très variable. Les responsables des mosquées ont théoriquement le droit d’inspecter les installations, mais le dernier mot revient au Bureau local des affaires ethniques et religieuses.
Invoquant le principe suprême de laïcité, le Parti communiste refuse en effet de se placer sous le contrôle d’une quelconque autorité religieuse. Résultat, les produits chinois peinent à s’imposer sur les tables du monde musulman. Il n’empêche, Pékin compte plus que jamais sur les Huis et leur savoir-faire pour légitimer son offensive sur ce marché prometteur.
Ouïgours : insoumis et punis
Alors que les Huis, industrieux, commerçants et parfaitement intégrés, passent aux yeux de Pékin pour des musulmans modèles, leurs cousins ouïgours, turcophones, sont, eux, sous surveillance étroite. Rattaché à la Chine communiste en 1950, l’Ouïgouristan, rebaptisé Xingjiang, a connu de graves émeutes en 2009. Depuis, cette vaste province du Nord-Ouest, au riche sous-sol (pétrole, gaz, charbon, minerais et métaux précieux) est régulièrement le théâtre d’attaques attribuées à des Ouïgours, qui se disent opprimés et dénoncent les privilèges dont jouissent les Hans, l’ethnie chinoise majoritaire.
Alors qu’une partie du Xinjiang est interdite d’accès aux médias étrangers, les autorités locales ont donné un nouveau tour de vis. Une loi, entrée en vigueur le 1er novembre en Chine, interdit aux musulmans locaux de transmettre leur religion à leurs enfants mineurs.
« Aucun parent, responsable ou proche d’un mineur ne doit organiser, pousser ou forcer celui-ci à participer à des activités religieuses », stipule ce texte, qui précise que les adultes « ne doivent pas diffuser une idéologie extrémiste, ou pousser les mineurs à porter des vêtements ou insignes extrémistes ». Certaines villes du Xinjiang interdisent déjà depuis un an les transports publics aux femmes voilées et aux hommes portant la barbe.
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