Ces scrutins qui tuent

Personne n’avait vu venir l’hécatombe qui a frappé cette année de grands dirigeants politiques.

Scènes de liesse dans les rues de Banjul, le 2 décembre 2016, après l’annonce de la défaite de Yahya Jammeh à la présidentielle. © Benjamin Roger/Jeune Afrique

Scènes de liesse dans les rues de Banjul, le 2 décembre 2016, après l’annonce de la défaite de Yahya Jammeh à la présidentielle. © Benjamin Roger/Jeune Afrique

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Publié le 15 décembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Le premier à ouvrir le bal, le 23 juin, a été David Cameron : ses concitoyens ont dit oui au Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’Europe). Désavoué, le Premier ministre britannique a dû plier bagage et quitter le 10 Downing Street, sans délai.

Sa chute a été suivie par celle de la présidente du Brésil, Dilma Rousseff. La série de départs forcés a ensuite connu une accélération en novembre.

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Hillary Clinton : le 7 novembre, nous la voyions tous – et elle se voyait aussi – à la Maison Blanche, comme la première femme présidente des États-Unis ; le 9, son rêve s’est évanoui, et, à 69 ans, elle n’a plus aucun avenir politique. Elle a d’ailleurs disparu des écrans radars…

Au cours du même mois, en France, à la surprise générale, on a vu Nicolas Sarkozy mordre la poussière dès le premier tour de la primaire de la droite et, à sa suite, Alain Juppé, pourtant donné favori par tous les sondages tout au long des derniers mois.

Vient de les rejoindre François Hollande, qui, poussé vers la sortie, a été obligé, lui, d’annoncer qu’il ne briguerait pas sa propre succession. Ce qui, soit dit en passant, lui a permis, pour la première fois depuis quatre ans, d’émerger d’une impopularité abyssale.

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Quelques jours plus tard, c’était au tour de Matteo Renzi, jeune président du Conseil italien, porteur de l’espoir d’une Italie plus stable politiquement, d’être écarté du pouvoir par un vote hostile à sa réforme constitutionnelle.

Prochaine sur la liste : la présidente de la Corée du Sud.

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La divine surprise nous est toutefois venue, tout récemment, d’un petit pays d’Afrique, la Gambie.

Nous la croyions arrimée, depuis un quart de siècle, à son président – Yahya Jammeh – et devenue, en quelque sorte, sa propriété.

Mais les Gambiens ont massivement voté pour le candidat unique de l’opposition, ont forcé le destin et chassé Yahya Jammeh du pouvoir, réalisant ainsi une tardive, inespérée et belle alternance.

Contre toute attente, congédié par le vote de ses concitoyens, Jammeh a déclaré qu’il s’inclinait devant leur volonté et laissait la présidence à son rival, Adama Barrow, qui l’avait, il est vrai, largement distancé.

Quels enseignements tirer de ces départs surprises, tous provoqués par le verdict des urnes, à l’exception de Hollande, qui l’a cependant anticipé ? Peut-on en conclure que « trop de démocratie tue la démocratie » ? Doit-on, en conséquence, considérer l’exemple gambien, où l’on est venu à bout d’un dictateur par la voie électorale, comme l’exception qui confirme la règle ?

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Un courant d’opinion très puissant qui traverse le monde soutient qu’il est préférable d’avoir un dirigeant fort (strong leader) à la tête de l’État, un homme ou une femme dont l’action n’est pas entravée par un Parlement incontrôlable et des élections aux résultats imprévisibles.

Comme l’indique le graphique ci-contre, le pourcentage de personnes qui pensent qu’il est « très bon » ou, « en tout cas, bon » d’avoir un dirigeant à poigne a sensiblement augmenté au cours du dernier quart de siècle, particulièrement dans les pays émergents et aux États-Unis.

Mais il est quasi stable en Allemagne, où – est-ce un hasard ? – Angela Merkel dispose depuis plus de dix ans d’une aura plus large que son pouvoir réel.

Ne gouverne-t-elle pas à la tête d’une coalition ? Ne dit-on pas d’elle qu’elle est « un roc dans la tempête » ?

Son pouvoir est-il fondé sur autre chose que son bilan positif à la tête de gouvernements successifs qui ont réussi à réduire le chômage, à équilibrer le budget et à donner à l’Allemagne plus de prospérité ?

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Le World Economic Forum, apôtre du libéralisme économique, a publié, lui aussi, des sondages qui montrent que des leaders autoritaires inspirent davantage confiance que les politiciens. On cite Singapour et le Rwanda, mais également Poutine et Erdogan, voire Xi Jinping.

Le World Economic Forum précise que ce sentiment est très répandu dans les pays émergents, comme dans les démocraties.

Ceux qui le nourrissent et le répandent ont-ils raison ? N’avons-nous le choix qu’entre une démocratie débridée ou un pouvoir autoritaire flirtant avec les limites de la démocratie et qui risque même de les déborder ?

« La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres », a dit Churchill, et cela demeure vrai après le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

Les résultats de ces deux élections ne nous plaisent pas, mais ils expriment l’un et l’autre « le moment d’un peuple » et sont imputables aux erreurs des dirigeants politiques.

N’est-il pas déjà établi que Donald Trump n’aurait jamais été élu si le parti démocrate lui avait opposé un meilleur candidat que Hillary Clinton, et si celle-ci avait fait une campagne plus intelligente visant à obtenir plus de « grands électeurs » ?

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Reste « l’alternance gambienne ». Peut-on en conclure que même dans des pays où règne une dictature (ou une semi-dictature), il suffit à l’opposition de présenter un candidat unique de bon niveau pour l’emporter ? Je ne le pense pas.

Un extraordinaire concours de circonstances a produit le changement quasi miraculeux que vivent les Gambiens. Il ne se renouvellera pas de sitôt, ni en Afrique ni ailleurs.

Car, la plupart du temps, une dictature n’est abattue de l’intérieur que par une révolution, et de l’extérieur que par la guerre ou une irrésistible pression.

La guerre en vue d’éliminer un dictateur ? Cela a été tenté récemment en Irak puis en Libye. Avec les résultats funestes que les Irakiens et les Libyens subissent depuis des années.

L’irrésistible pression ? Elle a fait disparaître l’apartheid d’Afrique du Sud en 1990 et vient de réussir à faire passer Myanmar de l’ombre à la lumière.

Mais je crains que ni l’Europe, ni les États-Unis, ni l’ONU, ni a fortiori l’Union africaine ne soient disposés à exercer de pression suffisamment forte sur les dernières dictatures du monde, souvent africaines.

Il ne reste donc que la révolution, qui, elle aussi, nécessite un concours de circonstances favorables…

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