France : Rama Yade, candidate à la présidentielle, veut « briser le plafond de verre »
L’ex-enfant terrible du sarkozysme, candidate à la présidentielle française, évoque son parcours, ses liens avec l’Afrique, ses démêlés avec Kadhafi… Et aussi ses concurrents, de Fillon à Macron.
C’était l’une des égéries de Nicolas Sarkozy. Ex-secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme, puis aux Sports, seule ministre à avoir eu le front de s’opposer à la venue de Mouammar Kadhafi en France en 2007, Rama Yade, 40 ans, est aujourd’hui candidate à la présidentielle de mai 2017 sous les couleurs de son mouvement, La France qui ose. Le 10 décembre, elle a inauguré son QG de campagne, rue de Lévis, à Paris.
Parmi la centaine de personnes venues soutenir cette proche de l’ancien ministre Jean-Louis Borloo – elle avait rejoint le Parti radical après son départ du gouvernement en 2010 avant d’en être exclue en 2015 –, des orphelins du sarkozysme, des déçus du socialisme, des Franciliens de tous âges. Pas de ténors des grands partis, mais des élus indépendants qu’elle a rencontrés au cours de son tour de France (60 000 km !) à la recherche des cinq cents parrainages nécessaires à la validation de sa candidature.
Son programme, Rama Yade le résume dans un essai, À l’instant de basculer (Les Éditions du Net). Prônant « une politique alternative » et vantant les bienfaits d’une économie collaborative, loin des « rentiers » et des « héritiers » qu’elle déteste, elle dit représenter la « France périphérique », celle des oubliés, qui n’en est pas moins combative et créative : les jeunes, frappés par un taux de chômage de 20 %, les quartiers populaires, parce qu’elle en vient, les femmes, parce qu’elle en est, les territoires ruraux, dont, en sa qualité d’administratrice au Sénat, elle connaît les besoins. Entretien.
Jeune Afrique : Dans votre livre, vous dressez un tableau inquiétant de la France d’aujourd’hui…
Rama Yade : La France est à un moment critique de son histoire, et il lui faut faire le bon choix. Pour cela, elle doit se souvenir des grands principes qui ont contribué à son prestige. Les garder à l’esprit au moment de voter est essentiel si nous ne voulons pas basculer du mauvais côté. En 1971, Simone de Beauvoir rédigeait le Manifeste des 343 salopes [réclamant la dépénalisation de l’avortement] ; en 2013, le polémiste Éric Zemmour est à l’initiative du Manifeste des 343 salauds [signé par des hommes qui ne supportent plus la « féminisation » de la société].
Comment en est-on arrivé là ? Je reviens aussi, dans mon livre, sur le 17 juin 1940, jour où Jean Moulin tente de se suicider pour ne pas livrer des tirailleurs sénégalais aux nazis. Manière de rappeler que ces immigrés africains que l’on stigmatise aujourd’hui sont morts pour la France. Et que des Français leur sont redevables.
Vous sillonnez la France profonde. La présidentielle se jouera-t-elle à ce point sur la proximité ?
Proximité et authenticité sont mes deux mots d’ordre. Aux États-Unis, Donald Trump, qui incarnait le rejet de l’establishment, a su porter les aspirations du peuple et déceler sa soif de changement. C’est un mouvement général, auquel la France n’échappe pas.
Quant à l’authenticité, on voit déjà les effets de son absence. Les dinosaures qui en étaient dépourvus ont tous échoué à la primaire de leurs partis respectifs : Cécile Duflot a voulu faire croire qu’elle était écologiste, alors que cela fait dix ans qu’elle ne parle plus d’écologie. Alain Juppé a voulu nous persuader qu’il était devenu sympathique et drôle. Il n’est ni l’un ni l’autre. Sarkozy se présentait en homme neuf alors qu’il était président il y a cinq ans.
Avec Emmanuel Macron, ça se terminera de la même manière. Il parle des entrepreneurs, mais n’a jamais pris le risque de créer une entreprise. Il se prétend antisystème, mais il est soutenu par le système financier. Les Français ne sont pas dupes.
François Fillon a gagné, lui…
Il a été très authentique. Pendant plusieurs mois, les rares journalistes qu’il croisait lui conseillaient de retirer sa candidature. Il n’a jamais dévié de sa ligne, même lorsque ses soutiens le quittaient peu à peu.
Vous lui devez votre entrée au gouvernement en 2007…
Le Fillon d’aujourd’hui apparaît plus conservateur et plus libéral qu’il ne l’est en réalité, ou qu’il ne l’était à l’époque. Quand on se revendique de l’héritage de Philippe Séguin, on n’est pas libéral. Et puis, il a écrit un livre sur le terrorisme islamique. Je ne l’avais jamais entendu aborder ces sujets-là auparavant.
Pourquoi ne jugez-vous pas Emmanuel Macron crédible ?
J’ai dix ans de vie politique, lui, deux ; il a 39 ans, moi, 40 ; j’ai un programme, lui non ; j’ai réussi le concours d’administrateur du Sénat, plus difficile que celui de l’ENA, auquel il a été admis. Et on l’imagine à l’Élysée, et moi non ! On a raillé ma candidature. Qu’on me donne les raisons de ce deux poids, deux mesures ! Macron est un envoyé du système, je n’en suis qu’une invitée à peine tolérée. Voilà le plafond de verre qu’il me faut briser.
Peut-on gagner une présidentielle sans le soutien d’un appareil politique ?
C’est difficile, j’en conviens, mais la période est particulière : 70 % des Français s’abstiennent ou votent en faveur des extrêmes. Il faut inventer d’autres moyens de faire de la politique.
Parmi les raisons qui vous poussent à vous présenter, il y a l’envie de prouver à ceux qui vous ressemblent que rien n’est interdit. Devez-vous cet engagement à l’Afrique ?
Je m’intéresserai toujours au destin du continent africain, qui a profondément changé ces dix dernières années, au point que six des dix pays affichant le plus fort taux de croissance du monde en font partie. Il est convoité par toutes les grandes puissances. Et la France est larguée. En considérant l’Afrique uniquement comme une menace démographique, elle est passée à côté de la révolution en cours, a perdu ses marchés et ses positions.
Je rêve d’une sorte de New Deal, que leur histoire commune justifie, et qu’on dissipe les malentendus : le sort réservé à Senghor lors de ses obsèques [où les plus hautes autorités françaises étaient absentes], l’immigration, les petites phrases des présidents français, la manière dont on traite les étudiants, la question des visas… Tout cela a nui à la relation. L’Afrique est passée de la colère à l’amertume, puis à l’indifférence. À la France de regagner sa confiance.
Vous vous êtes récemment rendue dans plusieurs villes du continent, dont Abidjan. Avez-vous redécouvert l’Afrique ?
Elle ne m’a jamais quittée. Mes grands combats, lorsque j’étais secrétaire d’État, ont été le Darfour, la RD Congo – notamment la situation au Kivu : si on voulait réellement régler le conflit, vingt-quatre heures suffiraient.
Je ne vais pas critiquer Nicolas Sarkozy : il m’a permis d’entrer en politique
Avec le recul, critiqueriez-vous de la même manière Kadhafi ou Denis Sassou Nguesso ?
Ce que j’ai pu dire au nom des droits de l’homme, je ne le regrette pas. Les maladresses que j’évoque dans mon livre sont d’ordre politique. La politique politicienne m’ennuie. Je voulais que l’on comble le fossé qui sépare l’élite politique de la population. On n’allait pas assez vite. Pis, on ne faisait pas ce qu’on devait. J’étais exaspérée et je l’ai souvent montré, sans prendre le temps de la négociation. Pas sûr d’ailleurs que ça aurait mieux fonctionné si j’avais arrondi les angles.
À tort ou à raison, Kadhafi passait pour un panafricaniste…
Les Subsahariens ont été à l’origine du panafricanisme. De grands hommes, comme Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Thomas Sankara… Pourquoi aurait-ce été à Kadhafi d’incarner cette idée ? Des Français ont été victimes du terrorisme libyen. Et que dire du traitement infligé aux prisonniers politiques ou aux immigrés africains dans le désert libyen ? Je n’ai aucun regret, et la suite m’a donné raison : celui qui l’avait reçu en grande pompe à Paris a été à l’origine de la guerre en Libye, que je n’ai pas approuvée.
Avez-vous revu Nicolas Sarkozy ? Que dit-il de vos ambitions présidentielles ?
Je ne l’ai pas revu, mais son discours, au soir de sa défaite, était plutôt émouvant. Je ne vais pas le critiquer : il m’a permis d’entrer en politique. Il a fait des erreurs, nous avons eu des désaccords profonds, mais, maintenant qu’il a quitté la scène, je ne veux retenir que ce qui a été positif.
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