États-Unis : en provoquant la Chine, Donald Trump sait-il ce qu’il fait ?
En esquissant un dialogue direct avec Taïwan avant même son entrée en fonction, le futur président américain s’est attiré les foudres de Pékin. Dangereuse provocation ou risque parfaitement calculé ?
Des bombardiers chinois H-6K armés d’ogives nucléaires affolent les radars de l’armée taïwanaise. Leurs missions se sont intensifiées ces dernières semaines au-dessus du détroit de Formose, qui sépare Taïwan et la Chine continentale. Ces appareils poussent également plus loin, vers les bases d’Okinawa, au Japon, où se trouve la plus importante garnison américaine à l’étranger. Huit chasseurs F-15 japonais les prennent en chasse. L’armée taïwanaise est en état d’alerte…
Ceci n’est plus un scénario de guerre-fiction mais une réalité, dont l’Académie stratégique de l’université Renmin (à Pékin) vient de se faire l’écho : Donald Trump, s’inquiète-t-elle, va jouer la carte de l’indépendance taïwanaise pour affaiblir la Chine. Et, pour commencer, va soutenir militairement Taipei. Ce think tank proche du Parti communiste chinois se fonde évidemment sur le fameux coup de fil du 3 décembre au cours duquel Trump a échangé avec Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, avant de publier des tweets peu amènes à l’égard de Pékin. Non content d’avoir sidéré les cercles diplomatiques et suscité l’ire des Chinois, Trump a provoqué un nouveau coup de tonnerre en déclarant une semaine plus tard sur la chaîne Fox News : « Je ne veux pas que la Chine me dicte ma conduite. Et je ne vois pas pourquoi nous serions liés à la politique d’une Chine unique. »
En prononçant ces mots, le futur président remet en question quarante ans de diplomatie américaine. Taïwan est de facto séparé de la Chine depuis la fin de la guerre civile, qui, en 1949, vit les troupes nationalistes de Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek), défaites par Mao, se réfugier sur « l’île rebelle ». Trois décennies plus tard, à l’initiative de Richard Nixon, les États-Unis finirent par reconnaître la Chine communiste et par rompre leurs relations diplomatiques avec Taipei. Depuis 1979 et jusqu’à cette sortie de Trump, aucun président américain n’avait donc parlé – officiellement du moins – à un dirigeant taïwanais, s’en tenant à la politique d’une « Chine unique ». Un sujet particulièrement sensible pour Pékin, qui considère Taïwan comme partie intégrante de son territoire, susceptible d’être reprise par la force. Dans les couloirs d’ordinaire feutrés du Palais du peuple, on évoque en effet de plus en plus ouvertement la possibilité d’un retour de l’île dans le giron communiste. Il arrive même qu’on cite 2019 comme date butoir pour une réunification.
Véhicules amphibies
Or, durant toutes ces années, les États-Unis n’ont cessé de cultiver l’ambiguïté. S’étant engagés à assurer la sécurité de Taïwan, ils sont (devant la France, les Pays-Bas et Israël) le plus gros fournisseur d’équipements militaires de Taipei. Leur fer de lance : cent cinquante chasseurs F-16. Destroyers, sous-marins d’attaque, hélicoptères Chinook, véhicules amphibies, batteries antimissiles Patriot, matériels destinés à la guerre électronique… La liste des dernières acquisitions taïwanaises est impressionnante, comme l’a bruyamment rappelé Donald Trump. Ne cachant pas son désir de vendre davantage d’armes à Taïwan pour relancer l’économie américaine, le milliardaire s’est entouré de fervents défenseurs d’un réchauffement des relations bilatérales, en particulier Reince Priebus, le futur secrétaire général de la Maison Blanche.
« La Chine n’a pas peur de Trump, commente Shen Dingli, professeur de relations internationales à l’université de Fudan (Shanghai). Face à ce fauteur de troubles, on garde un calme respectueux. Mais s’il persiste dans cette attitude après sa prise de fonctions, la Chine l’assommera. »
Cordon ombilical
Alors que des rumeurs faisaient état d’une possible rencontre en janvier, à Washington, entre la présidente taïwanaise et des membres de l’entourage de Donald Trump, Pékin a demandé le 7 décembre aux États-Unis d’interdire à Tsai Ing-wen de transiter par leur territoire. « Notre position est claire : il n’y a qu’une seule Chine, et seul le gouvernement de la République populaire a toute légitimité pour la représenter. Ce principe constitue le fondement politique de nos relations avec les États-Unis », répète Lu Kang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Seuls vingt-trois États, situés pour la plupart dans le Pacifique, en Amérique centrale ou dans les Caraïbes, reconnaissent le régime de Taipei. Parmi eux également, trois pays africains (Burkina Faso, Swaziland, São Tomé-et-Príncipe), qui ne peuvent donc entretenir de relations diplomatiques avec Pékin. C’est encore trop aux yeux des nationalistes chinois, qui voudraient isoler totalement Taïwan en coupant le cordon ombilical qui le relie encore aux États-Unis.
« Face à Trump et afin de protéger nos intérêts, nous devons augmenter nos dépenses militaires, fabriquer davantage d’armes nucléaires stratégiques et hâter le déploiement du missile balistique intercontinental DF-41 », a ainsi exhorté le Global Times, un journal que le pouvoir chinois utilise souvent pour faire passer des messages de fermeté. « Nous devons être mieux préparés militairement pour faire en sorte que ceux qui militent en faveur de l’indépendance de Taïwan soient sanctionnés et être en mesure de répondre à d’éventuelles provocations américaines en mer de Chine méridionale », poursuit l’éditorialiste sans préciser quelle pourrait être la nature de ces sanctions. Pékin, on le sait, dispose d’un vaste arsenal de mesures de rétorsion, qui pourrait aller jusqu’au boycott des produits américains.
Monnaie d’échange
Alors que Donald Trump n’a cessé, durant sa campagne, de dénoncer la sous-évaluation du yuan, les délocalisations et les barrières douanières érigées par la Chine, Taïwan pourrait servir de monnaie d’échange dans les négociations commerciales qui s’ouvriront en 2017 entre la nouvelle administration américaine et le régime de Pékin. Une aubaine aux yeux de certains qui, comme le député démocrate taïwanais Shen Fu-hsiung, y voient « peut-être une occasion de promouvoir la cause indépendantiste ». Mais soutenir Taipei pour faire plier la Chine communiste pourrait se révéler dangereux et inciter Pékin à punir Taïwan, dont l’économie dépend largement du marché continental.
Afin peut-être de calmer le jeu, Donald Trump a nommé Terry Branstad ambassadeur en Chine. Ce gouverneur républicain de l’État rural de l’Iowa vend du maïs aux Chinois et entretient des relations cordiales avec le président Xi Jinping depuis 1985. À l’issue de leur rencontre au Palais du peuple en 2011, l’Américain avait invité celui qui était alors vice-président de la Chine à revenir dans la ville de Muscatine, sur le fleuve Mississippi, où, au temps de sa jeunesse, il était venu s’intéresser aux techniques d’élevage de porcs et de culture du maïs dans le cadre d’un accord de coopération sino-américain. En 2012, juste avant de prendre les rênes de son pays, Xi, accueilli par Terry Branstad, avait refait ce voyage et alors signé un accord agricole de plusieurs milliards de dollars.
C’est désormais ce gouverneur, qui était encore à Pékin le mois dernier pour y vendre de la viande, qui a pour mission d’arrondir les angles entre les deux superpuissances. La tâche ne s’annonce pas aisée…
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