Saleh Kebzabo : « La solution économique au Tchad est d’abord politique ! »
Après avoir appelé fin août à un dialogue entre les forces sociopolitiques pour sortir le pays du gouffre, le chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, expose ses principaux griefs. Et ses solutions.
Pétrole et terrorisme : double choc pour le Tchad
Le pays est confronté à la fois à une crise financière sans précédent et aux attaques de Boko Haram. Idriss Déby Itno est contraint d’entamer son cinquième mandat sous le signe de l’austérité. Et de convaincre qu’il n’a pas d’autre choix.
Président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) et, à ce titre, coordinateur du Front de l’opposition nouvelle pour l’alternance et le changement (Fonac), le député Kebzabo se remet difficilement de sa défaite à la présidentielle du 10 avril, dont il conteste encore les résultats. L’ancien journaliste, entré en politique en 1992, a été plusieurs fois ministre et candidat à la magistrature suprême. À 69 ans, il n’a rien perdu de sa combativité et reste le leader incontesté de l’opposition. C’est dans son agréable villa, à N’Djamena, qu’il a reçu Jeune Afrique – dont il fut collaborateur, à la fin des années 1970 – pour faire le point sur la crise financière et sociale que traverse son pays.
Jeune Afrique : Si vous étiez au pouvoir, quelles mesures prendriez-vous pour relancer l’économie ?
Saleh Kebzabo : D’abord, un contrôle des finances publiques ! Le Tchad fait partie des pays cités dans le scandale des Panama Papers, pour plus de 10 milliards de dollars. J’ai demandé des audits autour des grands travaux présidentiels, pour récupérer l’argent qui s’est évaporé dans les paradis fiscaux, mais on ne nous écoute pas.
De nouvelles infrastructures bien concrètes – des routes, des hôpitaux, etc. – ont tout de même été réalisées…
Oui, mais leur qualité est souvent douteuse. Elles ont surtout permis l’enrichissement personnel. On n’a jamais eu les coûts exacts des infrastructures prévues pour le sommet de l’Union africaine, qui n’a finalement jamais eu lieu. Je crois qu’ils ne le savent pas eux-mêmes.
Les problèmes du Tchad sont structurels, ils ne sont pas financiers
Que faire pour sortir de la dépendance au pétrole ?
Nous constatons que le Tchad d’avant le pétrole vivait mieux que celui d’aujourd’hui. Il faut gérer les ressources pétrolières autrement, en créant notamment une commission nationale autonome, composée de gens capables de résister financièrement aux tentations. Il faut aussi réorganiser nos systèmes de recettes douanières, de taxes et d’impôts pour couvrir les besoins courants, en particulier les salaires, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Que préconisez-vous pour diversifier l’économie tchadienne ?
On ne peut pas parler d’économie dans notre pays. Les rares industries qui existent datent de l’époque de François Tombalbaye ou de Hissène Habré. Je n’ai cependant pas de rêves démesurés avec de grandes industries, on n’a pas besoin de ça ici ! Mais les Tchadiens pourraient se lancer dans la petite transformation, notamment dans le secteur de l’élevage, qui est, je crois, la principale richesse du pays. On continue d’exporter notre viande au Cameroun et en Libye, alors que nous n’avons même pas une simple tannerie. On pourrait récolter du lait, s’organiser pour le vendre au niveau national, le transformer… Mais on ne fait rien.
Il faut aussi creuser du côté des énergies renouvelables pour faire baisser de manière drastique le coût de l’électricité. Les investisseurs qui viennent au Tchad se rendent vite compte que leurs plans d’investissement sont plombés par les coûts de l’énergie, et ils s’en vont. Enfin, notre pays n’offre aucune garantie, et l’État se comporte comme un prédateur.
Pourtant la communauté internationale continue de soutenir financièrement le Tchad, c’est une preuve de confiance…
Les problèmes du Tchad sont structurels, ils ne sont pas financiers. On pourra donner tout l’argent qu’on veut à l’État, il ne s’en sortira pas. Idriss Déby Itno n’a aucune vision, ni politique ni économique, il fait tout au jour le jour. Le mal du pays vient de là. La solution pour l’économie est d’abord politique ! Le moins que Déby puisse proposer, ce n’est pas seize mesurettes, mais un dialogue inclusif, qui mène à de nouvelles élections dans les prochains mois.
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