Trouver un financement pour créer son entreprise, un parcours de combattante
Pour celles qui veulent créer leur entreprise, les difficultés sont nombreuses. La plus grande : réunir les fonds nécessaires. Les banques vont-elles enfin s’intéresser au formidable potentiel que les futures patronnes représentent ?
Femmes d’affaires : le parcours des combattantes
Pour celles qui veulent créer leur entreprise, les difficultés sont nombreuses. La plus grande : réunir les fonds nécessaires. Les banques vont-elles enfin s’intéresser au formidable potentiel que les futures patronnes représentent ?
Elles représentent 50 % de la force de travail du continent, elles participent activement à la vie économique et génèrent 70 % des revenus domestiques.
Les femmes africaines sont largement présentes au sein de secteurs comme l’agriculture – dont elles constituent les deux tiers de la main-d’œuvre –, le commerce et les services, ou dans des microentreprises et des coopératives (plus que dans des PME), souvent dans le secteur informel, « où elles exercent des activités à faible valeur ajoutée et aux rendements marginaux », rappelle l’indice 2015 de l’égalité du genre en Afrique, publié par la Banque africaine de développement (BAD).
Un cruel manque d’information
Si leur impact sur la société est majeur et s’accroît, les femmes doivent toujours se battre pour se faire une place parmi leurs homologues masculins et devenir de véritables actrices décisionnaires à tous les échelons économiques. Il y a 30 % à 35 % d’entrepreneuses en Afrique, 60 % en Côte d’Ivoire. Cependant, quand elles veulent créer leur entreprise, elles rencontrent d’importantes difficultés, à commencer par l’accès aux financements.
« En Ouganda, 38 % des sociétés enregistrées appartiennent à des femmes mais seulement 9 % des facilités financières leur sont accordées. Il en est de même au Kenya, où 48 % des micro- et petites entreprises, contrôlées par des femmes, ne recueillent que 7 % du total des crédits consentis », d’après l’étude « New Deal, New Game for Women in Africa », de Roland Berger, parue en septembre.
Ce n’est pas seulement le fait de préjugés, mais aussi un problème d’information et d’insertion dans un réseau d’affaires, assurent les spécialistes. « Les femmes savent moins où chercher l’information, alors que les solutions à leurs problèmes de financement existent. Elles ne savent pas vers quel guichet se tourner ni quel produit choisir, du capital à court ou à long terme ou du crédit-bail… », commente Oulimata Sarr, conseillère régionale de l’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, une ancienne de la Société financière internationale (IFC). Certaines s’enregistrent même en tant qu’ONG – « auxquelles on n’accorde pas de facilités ».
Eloignées des structures financières et de leur fonctionnement
Autre barrière : les formalités pour obtenir un prêt. Elles doivent fournir des historiques de crédits qu’elles n’ont pas en leur possession ou montrer des titres de propriété pour les hypothèques, alors que, dans certains pays, elles n’ont pas le droit de posséder de terres. En RD Congo par exemple, il leur faut requérir l’aval de leur mari pour enregistrer leur raison sociale. Et puis, faute de formation, elles maîtrisent très mal les domaines comptable et managérial.
Autant de handicaps qui expliquent que « les banques ne puissent pas évaluer leur bilan et leur fournir des garanties tangibles », indique Patience Barandenge, responsable nationale du marché des femmes entrepreneurs au sein de Rawbank, en RD Congo. Ce qui découragera les candidates d’aller plus loin. « Finalement, les femmes deviennent méfiantes à l’égard des institutions financières. Elles craignent d’être mal reçues. Le modèle des banques s’appuie sur une logique financière très masculine construite sur la confiance, or peu d’établissements prennent le temps de tisser ce type de lien avec les femmes », analyse Anne Valko Celestino, experte en questions de genre à la BAD.
« Dès lors, on les cantonne à la microfinance, alors qu’elles ont besoin d’outils et de conseils plus sophistiqués. Nous sommes reléguées au domaine social, réduites à être un objet de RSE [responsabilité sociétale des entreprises] au lieu de devenir la clé du business », regrette Oulimata Sarr.
Discrimination positive
Ayant néanmoins compris le potentiel de l’entrepreneuriat féminin et souhaitant les accompagner dans leurs démarches, certaines banques déploient des offres et des lignes de crédit spécifiques. Rawbank a ainsi mis en place en 2010 le programme Lady’s First en RD Congo, destiné aux PME dirigées par des entrepreneuses. À l’époque, seules 23 d’entre elles disposaient de comptes sur un total de 160 000 clients. Elles sont aujourd’hui 3 700 sur 350 000, grâce aux formations dispensées et à l’accompagnement assuré.
« Un progrès important par rapport à 2010, mais encore bien trop insuffisant à l’échelle des 84 millions d’habitants de la RD Congo », reconnaît Patience Barandenge. Dans ce pays, les femmes tiennent les rênes de 23 % des entreprises enregistrées.
D’autres « banques de femmes » se sont créées, inspirées de ce qui se fait en Afrique anglophone, tel The Affirmative Finance Action for Women in Africa (Afawa) Fund, (« discrimination positive en matière de financement pour les femmes d’Afrique ») de la BAD, doté de 300 millions de dollars (environ 268 millions d’euros) ; l’Alitheia Identity Fund, au Nigeria et en Afrique du Sud ; ou le Women’s Investment Club, au Sénégal, doté pour le moment de 500 000 dollars, monté par une cinquantaine de femmes et appelé à investir dans des entreprises tenues par leurs consœurs.
Ces initiatives ont notamment démontré que les femmes étaient de meilleures gestionnaires que les hommes. « Elles sont plus sûres de leurs choix d’investissement, remboursent et épargnent mieux car elles tiennent plus compte de leurs responsabilités. Et elles craignent aussi beaucoup plus d’échouer… On constate très peu de défaillances », remarque la Congolaise.
De plus en plus présentes dans les conseils d’administration
Si les femmes doivent lutter sur le front de l’entrepreneuriat, elles doivent aussi, pour peser dans la société, s’imposer aux tables des conseils d’administration. Les Africaines y font déjà bonne figure, meilleure en tout cas que leurs homologues des autres continents. D’après les données fournies en août dans le rapport « Women Matter » (« les femmes comptent »), du cabinet américain McKinsey, sur les 210 sociétés africaines cotées dans 24 Bourses (notamment au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Tunisie), 5 % des femmes sont directrices exécutives et 15 % occupent une place dans un conseil d’administration.
Mieux qu’en Asie, en Amérique latine et même en Europe pour les directrices exécutives. Avec des résultats éloquents, poursuit McKinsey : « Les sociétés dont le conseil d’administration compte plus de 31 % de femmes ont, toutes choses égales par ailleurs, un Ebit (bénéfice avant intérêts et impôts) supérieur de 20 %. Pour celles dont les conseils sont à 100 % masculins, la tendance est plutôt contraire : l’Ebit est inférieur de 17 % à celui des autres. »
Mais, pour que les femmes s’insèrent véritablement dans les boards, deux approches s’affrontent. « Celle, volontaire, qui passe par la définition d’un quota, comme le prône Muthar Kent, ex-PDG de Coca-Cola. Ou bien celle du “pipeline”, qui permettrait aux femmes des conseils d’administration d’être des modèles pour les plus jeunes et de les coopter », analyse Oulimata Sarr. Selon elle, les femmes prennent une bonne partie des décisions d’achat dans les familles et peuvent donc mieux percevoir les besoins du marché.
Des positions qu’elles doivent prendre à tous les niveaux de la pyramide. Chez Rawbank, seuls 35 % des 1 480 salariés sont des femmes, et seulement 24 % d’entre elles sont cadres, détaille Patience Barandenge.
Toujours moins payées
Question rémunération, de fortes inégalités persistent sur le continent puisque « pour chaque dollar gagné par un homme dans les secteurs de l’industrie manufacturière, des services et du commerce, une femme ne gagne que 70 cents », rappelle dans son édition 2016 le « Rapport sur le développement humain en Afrique », du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Un écart de 30 % qui n’est « que » de 10 % en France par exemple.
En Afrique de l’Ouest, les femmes représentent 70 % des revenus les plus bas tandis qu’elles ne perçoivent que 20 % des revenus les plus élevés, d’après le Pnud. « Si les femmes participent davantage au marché de l’emploi, leurs perspectives d’obtenir des postes bien rémunérés ne se sont pas améliorées pour autant », commente le rapport.
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